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il tenoit bon & ne fe retrouvoit fur fes quatre pattes qu'à l'ordre que lui en donnoit son Instituteur. Enfin dans cette Académie, le cours des études étoit complet; on y apprenoit à rapporter, à marcher fur les pattes de derrière, à aller à cheval fur le dos d'un autre, à danfer les olivettes, à mener une brouette, à monter la garde, faire l'exercice, éviter l'éclat de la bombe, & à jouer le rôle du déferteur auquel on caffè la tête. Monfieur Brasdefer varioit fes inftructions, & élevoit chacun de fes penfionnaires fuivant son caractère & fes difpofitions: ce qui n'eft pas la partie la moins difficile de l'éducation de la jeuneffe; & pour peu que l'on profitât de fes foins, on fe trouvoit propre à remplir, dans la fociété, tous les poftes où l'on pouvoit être appellé,

Pendant que mes camarades répétoient leurs leçons, comme novice, je n'y prenois part qu'en qualité de fpectateur. Affis fur mon derrière dans un coin de la chambre, je voyois tout cela avec plus de peine que de plaifir. Toutes ces folies ne me paroiffoient rien moins que gaies. Voilà donc, me disois-je, comme on inftruit la jeuneffe! On s'occupe à former

fon corps à toutes fortes d'exercices, à remplir fon efprit de connoiffances futiles, & l'on s'embarraffe peu des vices & des vertus qui peuvent germer dans fon cœur ; & tous ces jeunes infenfés prétendent à la gloire ! comme fi la gloire..... Pendant que

je m'abandonnois à ces fages réflexions, monfieur Brasdefer vint à moi. Son air fec & auftère, le gros bâton qu'il tenoit en fa main gauche, le grand fouet de pofte qu'il tenoit de la droite, enfin fa vilaine jambe de bois dont il fe fervoit avec une adreffe admirable pour lancer à dix pas de lui un écolier qui faifoit mal fon thême; tout cela jetta dans mon ame une frayeur qui reffembloit affez à celle que j'éprouvai la première fois que je le vis. Ho, ho, s'écria-t-il, en faisant retentir à mes oreilles le claquement de l'horrible filaffe, ho. Son difcours auffi expreffif que laconique, fes geftes, & mieux encore ce que je venois de voir faire à mes camarades, me firent comprendre ce qu'il défiroit de moi. Je me levai tout tremblant fur mes deux pattes de derrière; mais je n'étois pas fait à cette marche ridicule; mes jarets plioient fous moi, & ne pou

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voient foutenir le poids de mon corps. Mon Régent me prit par la patte, & me plaçant. le dos contre le mur, me procura ainfi un, troifième point d'appui. Quelle fotte figure je faifois en cet état ! A tout moment j'étois prêt à me rendre au vœu de la nature qui appelloit mes pattes de devant fur le carreau, mais au moindre mouvement qui indiquoit que j'allois céder, le fouet claquoit, & me faifoit redoubler d'efforts pour conferver mon équilibre.

Cette première leçon ne fut pas longue. Monfieur Brasdefer favoit proportionner les devoirs de fes élèves à leurs âges & à leurs forces; mais elle fe répéta plufieurs fois dans la journée ; & bientôt je paffai à d'autres

exercices.

D'abord je m'y pris mal, puis un peu mieux, puis bien. Puis enfin il n'y manqua rien.

En peu de tems je fçus parfaitement rapporter; frapper à la porte pour me faire ouvrir; attraper à la volée une balle qu'on me jettoit & qui, quand j'avois bien fait mon devoir, fe métamorphofoit en bon petit morceau de

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pain de creton, &c &c. Enfin en peu de tems mon éducation fut achevée. J'étois animé du defir de briller parmi mes camarades, immenfum gloria calcar habet. C'eft un des plus grands avantages que l'on trouve dans l'éducation publique. Et d'ailleurs comme je fuis Lévrier, menlieur Brasdefer avoit trop de bon fens pour vouloit m'apprendre toutes ces niaiseries, tous' cés tours de bateleurs qu'il enseignoit aux Epagneuls & aux Barbets.

Malgré cela, il ne manquoit pas de dire à monfieur de Grandtrain que j'avois la tête dure, que je n'étois pas des plus dociles; mais que cependant il efpéroit qu'à forcé de tems & de patience il viendroit à bout de faire de moi un joli fujet. Riches, voilà comme on vous trompe. Tous les menfonges de ce Pédagogue, n'étoient que pour fe faire valoir, avoir l'air de gagner son argent, & se ménager Je droit de demander une petite gratification quand mon tems feroit fini. Et le fieur de Grandtrain négligent fur tous fes intérêts ne me rendit pas une feule vifite pendant tout le cours de mon éducation.

Je demeurai fix femaines dans cette maifon.

Je n'entretiendrai pas mes Lecteurs de tout ce qui s'y paffoit : je ne leur parlerai pas des amitiés, des petites animofités, des petites jaloufies qui régnoient entre nous; des petites efpiégleries que nous faifions à madame Brasdefer, & du plaifir avec lequel nous rongions tour à tour un os de tête de mouton, que nous parvenions à lui dérober malgré toute fa vigilance. Le public s'embarrafferoit peutêtre fort peu de tous ces détails, quelque foit le plaifir que l'on éprouve à fe rappeller l'heureux tems de fon enfance.

Par un autre motif, je me garderai bien de lui peindre la fenfation que faifoit fur moi les coups de fouet que me donnoit de tems à autre ma vieille Gouvernante. Je ne me croirois pas affez autorifé par l'exemple d'un grave Philofophe, qui n'a pas manqué de faire part au public de cette partie auffi décente qu'intéreffante de fon hiftoire, & de fe confeffer du goût qu'il en a contracté pour le refte de fa vie. Des gens qui n'entendent pas raillerie fur cet article, pourroient prendre de l'humeur & me traiter de cynique, ce qui en bon français fe rend tout uniment par chien.

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