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voyage. J'étois jeune, je défirois voir le pays, & d'ailleurs je penfois que cette absence ne feroit que de peu de durée.

Après avoir fait mes adieux à ma mère, qui ayant plus d'expérience que moi, ne me vit pas partir fans répandre beaucoup de larmes; après avoir embraffé tous mes frères; reçu les careffes de Grégoire, celles de fa femme, de fes enfans, & de tous les habitans du pays, car j'étois chéri de tout le monde; je m'embarquai avec Urfule fur le coche d'Au

xerre.

Notre navigation fut heureufe, & ne préfente aucun fait digne d'être rapporté; ce qui eft fâcheux pour la dot de Rofe. Car un beau naufrage au milieu de la Seine; vingt perfonnes que j'aurois retirées de l'eau en m'élançant à travers les flots en courroux, & en expofant cent fois ma vie, répandroient un merveil leux intérêt fur mon affaire, & contribueroient infiniment au débit de mon Mémoire : mais la vérité feule conduit ma plume, & j'ignore l'art de feindre pour intéreffer.

Auflitôt mon arrivée à Paris, je fus pré fenté au fieur de Grandtrain. La joie qu'il

reffentit en me voyant. eft inexprimable. Il dit qu'il me trouvoit affez gentil, demanda fi je deviendrois bien grand, recommanda cà fon valet-de-chambre de prendre foin de moi, tournia les talons; & depuis ce moment, juf qu'au départ d'Urfule, je ne le revis plus.

Urfule refta huit jours à Paris, & je l'accompagnai dans toutes fes courfes. Que cette ville me paroiffoit belle! Quelle différence de cette fuperbe cité à mon trifte village! Tout m'y enchantoit; les palais, les mailons les équipages, les chevaux les hommes, les femmes, ce mouvement perpétuel, ces embarras qui fe renouvellent fans ceffe, ces cris qui fe con fondent de toutes parts; tout cela me paroiffoit merveilleux. Les chiens mêmes qui vont & viennent dans les rues, me fembloient d'une autre espèce, & d'une nature fupérieure à la mienne. Je croyois voir entr'eux & moi une diftance infinie je les abordois avec refpect, & ce n'étoit qu'en tremblant que j'allois derrière eux leur faire le falut en ufage parmi nous. Qu'on eft fot, quand on eft jeune ! mais auffi, on n'eft alors ni traître, ni méchant, ni fourbe, ni avare; on n'a pas encore appris à fes dépens

à hair fes femblables; avec moins d'expérience, on a moins de méfiance, plus de franchise & de fenfibilité.

Les huit jours écoulés, Urfule partit. Son bagage n'étoit pas volumineux, je ne le vis pas emporter. Elle me dit adieu, m'embraffa tendrement, mais fans affectation, & me défendit de la fuivre, m'affurant qu'elle alloit revenir, Urfule n'avoit été qu'une femaine à la ville, & Urfule fçavoit déja tromper! Je me rendormis tranquillement fans me douter du malheur qui m'accabloit. Mais ce calme fut de peu de durée, bientôt un domestique vient me prendre, & me porte au fieur de Grandtrain. Il m'examine de nouveau, demande à fes gens ce qu'ils penfent de moi, ce que je fais faire; fi je rapporte, fi je faute pour le Roi, pour la Reine, pour une jolie Femme, fi je fais l'exercice à la Pruffienne, fi je fais contrefaire le mort, rire, bâiller, enfin toutes les jolies chofes que n'ignore pas un chien qui a fait les études à la ville. On lui dit que je ne favois rien; mais que je paroiffois avoir de bonnes difpofitions, & que l'argent qu'on emploieroit à mon éducation ne feroit pas

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perdu. Alors il ordonna de me chercher une penfion où l'on pût m'enfeigner tout ce que doit fçavoir un chien de bonne maifon.

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De quel faififfement me frappa cet arrêt fatal! ce fut un coup de foudre qui m'anéantit. Je regardai derrière moi, & cherchaï à gagner la porte; elle étoit gardée. Ah! qu'alors Paris avec toute fa pompe me parut haïffable! que je regrettai l'humble ferme qui m'a vu naître ! que je m'en voulus d'avoir consenti à ce mal. heureux voyage. J'ignorois encore le marché conclu entre Grégoire & le fieur de Grandtrain, & je m'imaginois bonnement que le fermier ne m'avoit mis du voyage, que pour procurer à Urfule & à moi une partie de plaisir. Hélas! nous ne fommes donc heureux que quand nous vivons dans l'illufion?

Je paffai la journée dans la trifteffe & dans les larmes. Je me repréfentois le défespoir de ma tendre mère, le chagrin de mes frères ; le fouvenir de nos jeux innocents, étoit plus douloureux que confolant pour moi. J'étois même affez fimple pour m'affliger de la peine que je croyois qu'alloit reffentir Grégoire,

quand il verroit Urfule arriver faus moi, Ames fenfibles, pour qui le bonheur fuprême est de vivre dans votre patrie, au milieu de vos parents & de vos amis, vous vous ferez aifément un tableau de ma douleur.

L'heure du repas vint; je ne voulus pas manger. Le fieur de Grandtrain me trouva mauffade; & au lieu de careffes, j'en reçus un grand coup de pied. Quel mal pouvoit-t-il me faire ? la plaie étoit au fond de mon cœur, & l'oppreffion que j'éprouvois, anéantissoit chez moi toute autre fenfation.

Toute la journée je guettai l'inftant de pouvoir m'échapper; cela me fut impoffible. Le lendemain matin je fus plus heureux : le portier ouvre fa porte & va boire; & mòi je m'élance dans la rue, & m'enfuis à toutes pattes.

Après avoir parcouru plufieurs rues fans favoir où j'allois, & fans ofer regarder derrière moi, croyant avoir toute la maison du fieur de Grandtrain à mes trouffes, la fatigue me força de m'arrêter. Je me tapis près d'une borne, & je fongeai à ce que je devois faire. Mon parti fut bientôt pris. Perfuadé qu'Urfule étoit retournée en Bourgogne, je m'en allai

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