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cet homme, s'il eût renvoyé fon chien? Je 'ai pas heureusement une pareille horreur à lui reprocher. Il accueillit Bouleau avec des larmes de joie, le combla de caresses, & jura que la mort seule le fépareroit d'un ami f fidèle.

Et des rêveurs, des fonges-creux, difent qu'à eux feuls appartient l'intelligence, & que Rous ne fommes que des automates.

Et voilà cependant ce que Defcartes appelle
Simple reffort, mouvement machinal..
Je ris de voir le fage, & toute fa fequelle,
Par le phyfique, expliquer le moral.
La Fontaine le dit, je le dirois plus mal,
Celui-là vainement fe creufe la cervelle,
Qui veut entre une montre & le monde animal,
Etablir quélque parallele.

M. l'Ab. AUBERT; Fab. 13, L. V.

Mais tout cela n'eft pas encore le sujet de' ma conteftation avec le fieur de Grandtrain. Je crois entendre le lecteur me crier au fait Avocat, au fait. Eh! lecteur impatient, un moment, nous y viendrons. N'avez-vous donc aucun plaifir à parler de ce qui vous eft cher ?

Et puis je ne vous ai encore fait ni contes Arabes, ni contes de Fées. Je ne vous ai copié ni les Pleaumes pénitentiaux, ni Lamentations, ni Jérémiades. Ai-je cherché à détourner votre attention de deffus le fieur de Grandtrain & de deffus moi, en faifant des differtations fur la Politique, fur le Droit-desGens, fur la Morale; & en calomniant au moyen de fuppofitions, de temps & də faits, des gens étrangers à ma cause? Enfin fi ce Mémoire, fait uniquement pour éclairer mes Juges, ne vous eft pas vendu; s'il vous eft offert, s'il vous eft donné comme à quelqu'un dont on eft jaloux de connoître la façon de penfer, pour s'éclairer foi-même sur son affaire; que vous importe qu'il foit long ou court? Si vous ne vous inquiétez aucunement de ce qui me regarde, ne me lifez pas ; mais fi mes malheurs vous intéreffent, vous trouverez que je n'en ai pas affez dit.

Mais je le vendrai ce Mémoire. Oui; je veux auffi me fignaler par un acte de bienfaifance. Ce fera pour augmenter la dot de Rofe. Vous ne connoiffez pas l'aimable Rose; Vous allez bientôt la connoître, Comme moi

vous aimerez Rofe; alors vous acheterez mon Mémoire, & vous participerez ainfi à une bonne œuvre. Le produit net de la vente lui fera remis ; & fi, déduction faite des frais de copie, d'impreffion, de papier, d'enveloppes, de ports, de droits de commiffion, &c, &c., il ne lui refte rien; on ne m'accufera pas au moins d'avoir mis l'argentdans ma poche.

Venons donc au fait, puifque vous le voulez. Mais encore faut-il qu'auparavant je vous raconte comment je fuis arrivé à Paris; comment j'ai vécu chez le fieur de Grandtrain, avant l'événement qui m'en a féparé. Tout cela n'eft pas le fait, je le fais bien; mais tout cela y tient de près ou de loin. Et puis tout cela fert à groffir le Mémoire, & par conféquent à groffir la dot de Rofe. Ah! la belle invention qu'on a eu de vendre des Mémoires! Quelle émulation cela n'infpire-t-il pas au Défenfeur! Quel courage cela ne donne-t-il pas au Plaideur? S'enrichir en plaidant! voilà ce qui s'appelle une découverte précieuse. Mais laiffons-là l'Avocat fpéculateur, le Plaideur marchand, & leur Libraire; & prions le Lecteur de donner toute fon attention à notre

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affaire. Si nous avons l'art de le mettre dans nos intérêts, si nous pouvons décider en notre faveur la voix du peuple, comment les Juges ne feront-ils pas entraînés par ce torrent auquel rien ne peut résister.

Depuis quinze jours le fieur de Grandtrain étoit de retour de fes voyages. En fix mois il avoit visité toutes les principales villes de la France, l'Angleterre, la Hollande, la Pruffe, la Suiffe, l'Allemagne & l'Italie; en fix mois, mores hominum multorum vidit & urbes. Et il ne s'occupoit plus qu'à jouir tranquillement du fruit de tant de fatigues, & à fe faire hon neur des connoissances qu'il avoit acquises en courant tant de hazards. Sans doute, il m'avoit oublié : mais malheureufement pour moi, Grégoire vint à Paris, & craignant qu'on ne des avances, il s'avifa de le tourmentât pour me mettre moi-même en avant. Il fit de moi un éloge pompeux; raconta la fin tragique de mon père; protefta que j'étois né pour le remplacer ; qu'il me regretteroit comme il regrettoit Diamant; & qu'il falloit toute la confidération qu'il avoit pour le fieur de Grandtrain, toute l'estime qu'il avoit pour lui, tout l'attachement

l'attachement enfin qu'il lui avoit juré pour qu'il pût fe déterminer à un facrifice fi dou loureux. Ah! fourbe Grégoire, vous aimiez mieux votre argent que ce pauvre Sultan; & l'avarice vous aveugloit, au point que vous n'entendiez pas même vos intérêts: l'histoire de mon père auroit dû vous apprendre que votre chien étoit votre tréfor le plus précieux.

Voilà donc le fieur de Grandtrain devenu mon maître par un contrat injufte, illicite puifque je n'avois pas été confulté, & qu'on difpofoit de ma perfonne fans ma participation. Mais ne foyons pas trop fiers; quand on vend des hommes, on peut bien donner des chiens.

Il ne s'agit plus que de profiter d'une occa fion pour m'envoyer à Paris. Elle se présenta bientôt. Urfule, fœur de lait du fieur de Grandtrain, qu'il n'a jamais aimée parce qu'elle n'eft pas jolie, vint à Paris folliciter les bontés de la dame de Grandtrain , pour fa vieille mère pauvre & infirme. On résolut de me faire partir avec elle. Je ne cacherai pas que malgré tous les motifs que j'avois d'aimer ma patrie, j'entendis avec plaifir parler de ce

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