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l'entendre jurer, & m'envoyer où certainement on n'envoie pas un chien honnête.

Tel eft le fieur de Grandtrain. Je ne dis guère ici que ce qu'il eft important que mes lecteurs fachent, pour pouvoir juger de fon caractère, je dois le faire connoître, cela n'est point étranger à ma cause: mais je ne me permettrai aucun détail sur sa vie privée. J'ai tout vu, tout entendu; mais la difcrétion eft la première vertu d'un chien, & jamais la médifance n'a fouillé fa plume. Que cependant le fieur de Grandtrain ne s'avife pas dans fa défense de vou. Joir profiter de cette retenue, & de me reprocher quelques fautes de ma jeuneffe. Je lui prouverois que je ne me fuis jamais écarté des loix de la nature, que j'ai toujours été chien d'honneur, que jamais je ne me fuis fait un barbare plaifir de voir répandre des larmes aux belles chiennes qui ont payé mon amour d'un tendre retour. Pour me justifier, je ferois forcé d'entrer dans de certains détails, & d'établir des comparaifons qui ne pourroient être qu'humiliantes pour le fieur de Grandtrain. J'espère que, bien confeillé, il ne me forcera pas à cette cruelle extrémité.

Je dois à présent me faire connoître moimême, & je fens toute la difficulté de la tâche que je m'impose. Parler de foi, fans déplaire aux autres, n'eft pas facile; mais il le faut, & je m'y foumets. D'ailleurs en rapportant fimplement les faits, fans chercher par des réflexions infidieufes à déterminer la façon de penfer du lecteur, je ne crois pas devoir m'attirer des reproches.

Une autre difficulté m'arrête encore. Je dois comme je l'ai promis, établir ma généalogie; & pour le faire d'une manière qui puiffe convaincre, il ne fuffit pas d'alléguer des faits, d'égarer mes lecteurs dans la nuit de l'antiquité, & de les promener dans les différentes contrées du globe. Il faudroit appuyer le tout de pièces juftificatives, & je n'en pofféde aucune la vie diffipée que j'ai menée chez le fieur de Grandtrain, m'a détourné du foin de raffembler des titres dont alors je ne croyois pas devoir jamais avoir befoin.

Dans cet embarras, j'ai eu recours à mon ami Citron, Barbet, qui joint de vastes connoiffances puifées dans les Auteurs anciens & modernes, à celles qu'il a tirées des archives

Canines, & aux observations qu'il a recueillies dans fes voyages. Dès fa jeuneffe, Citron a montré & n'a jamais démenti depuis une fagácité merveilleufe & un goût décidé pour l'étüde; & depuis cinq ans qu'il eft attaché à un Savant du premier mérite, il n'a pu qu'aug menter infiniment la maffe de fes connoiffances.

Ainfi fuivant ce que m'a certifié Citron, fait d'ailleurs conforme à ce que ma mère m'a dit dans mon enfance, je puis attefter que je defcends en droite ligne du premier chien de Berger. Cela n'auroit pas besoin d'être prouvé fi fuivant l'hypothèse ingénieufe du Pline Français, il étoit bien démontré que ce chien est la fouche originelle de toutes les races de chiens qui couvrent la furface du globe: mais Citron n'eft pas de ce fentiment, & il a compofé une belle differtation qu'il publiera inceffamment, par laquelle il prouve ou croit prouver, car à cet égard je ne prends aucun parti, non noftrum inter vos tantas componere lites, que lui Barbet, ainfi que les Braques, les Bichons, &c, ont des origines différentes, & ne defcendent point du chien de Berger. Je ne fais comment mon ami

Citron fe tirera de là; le pas eft difficile. Les hommes, toujours orgueilleux & jaloux, ne verront pas fans peine qu'on cherche à leur démontrer que la nature qui n'a créé que tout au plus deux espèces d'hommes différentes, a varié à l'infini la race des chiens, comme f elle avoit pris plus de plaifir, de foins & d'attentions à notre formation qu'à celle de ce maître prétendu de tous les animaux,

Quoi qu'il en foit, la conteftation ne me regarde pas. Etant Lévrier franc, tous les 'Auteurs font d'accord fur mon origine; tous affirment que je fuis un rafinement du chien de Berger, & je n'en fuis pas plus fier.

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Le plus illuftre de mes ancêtres, & en même temps le plus ancien que je puiffe nommer eft Sirius, qui occupe une place diftinguée dans le ciel, où il eft nommé par excellence le Grand-Chien Les Poëtes ont prétendu que Gette conftellation avoit été sur térre la chienne de la belle Erigone, que Jupiter avoit placée dans les cieux pour la récompenfer de ce qu'elle avoit indiqué à fa maîtreffe l'endroit où Icarius fon père avoit été enterré; mais les Poëtes ne peuvent en cela faire autorité. C'é

toit un chien. J'en appelle au témoignage de feu Micromégas de haute & fpirituelle mémoire, & aux Aftronômes de tous les temps. Ces Meffieurs voient parfaitement bien tout ce qui fe paffe dans le ciel, & au moyen de leurs grandes lunettes, les parties les plus fecrettes ne leur font pas cachées.

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Une des defcendantes de Sirius & que je compte au rang de mes ancêtres, Amytis, nourrit de fon lait le grand Cyrus, roi de Perfe. Si des critiques modernes avoient fait attention à ce trait de l'Histoire de Cyrus, ils n'auroient pas été embarraffés de favoir lequel ils devoient fuivre, ou de Xénophon, qui peint ce Prince comme le plus grand & le modèle des Rois, ou d'Hérodote, qui le représente comme un monftre & le fléau de l'humanité. Ah! fi Romulus au lieu de fucer le lait d'une vilaine Louve, avoit été nourri du lait pur & bienfaisant d'une Lice, il n'auroit pas tué fon frère; il n'auroit pas fondé une ville de brigands; il n'auroit pas fait des loix atroces & barbares, qui donnoient à un petit nombre les honneurs & les richesses, & ne laiffoient en partage pour le peuple, que la peine & la

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