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J. J. ROUSSEAU,

CITOYEN DE GENÈVE,

A CHRISTOPHE DE BEAUMONT,

ARCHEVÊQUE DE PARIS, DUC DE SAINT-CLOUD,

PAIR DE FRANCE, COMMANDEUR DE L'ORDRE DU SAINT-ESPRIT, PROVISEUR DE SORBONNE, etc.

Da veniam si quid liberius dixi, non ad contumeliam tuam, sed ad defensionem meam. Præsumsi enim de gravitate et prudentia tua, quia potes considerare quantam mihi respondendi necessitatem imposueris.

AUG., epist. 238 ad Pascent.

Pardonne-moi si j'ai écrit un peu trop librement, non pour ton déshonneur, mais pour ma défense. Je me suis reposé sur ta prudence et sur ton équité; car tu peux considérer le devoir que tu m'as imposé de répondre.

J. J. ROUSSEAU

A

CHRISTOPHE DE BEAUMONT (*).

POURQUOI faut-il, monseigneur, que j'aie quelque chose à vous dire? Quelle langue commune pouvons-nous parler? comment pouvons-nous nous entendre? et qu'y a-t-il entre vous et moi?

Cependant il faut vous répondre; c'est vousmême qui m'y forcez. Si vous n'eussiez attaqué que mon livre, je vous aurois laissé dire: mais vous attaquez aussi ma personne; et plus vous avez d'autorité parmi les hommes, moins il m'est permis de me taire quand vous voulez me déshonorer.

Je ne puis m'empêcher, en commençant cette lettre, de réfléchir sur les bizarreries de ma destinée: elle en a qui n'ont été que pour moi.

J'étois né avec quelque talent; le public l'a jugé ainsi: cependant j'ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchois point à sortir. Si je l'avois cherché, cela même eût été une bizarrerie, que durant tout le feu du

(*) Le Mandement de M. de Beaumont se trouve à la suite de cette lettre de Rousseau.

premier âge je n'eusse pu réussir, et que j'eusse trop réussi dans la suite quand ce feu commençoit à passer. J'approchois de ma quarantième année, et j'avois, au lieu d'une fortune que j'ai toujours méprisée, et d'un nom qu'on m'a fait payer si cher, le repos et des amis, les deux seuls biens dont mon cœur soit avide. Une misérable question d'académie, m'agitant l'esprit malgré moi, me jeta dans un métier pour lequel je n'étois point fait; un succès inattendu m'y montra des attraits qui me séduisirent. Des foules d'adversaires m'attaquèrent sans m'entendre, avec une étourderie qui me donna de l'humeur, et avec un orgueil qui m'en inspira peut-être. Je me défendis, et, de dispute en dispute, je me sentis engagé dans la carrière, presque sans y avoir pensé. Je me trouvai devenu pour ainsi dire auteur à l'âge où l'on cesse de l'être, et homme de lettres par mon mépris même pour cet état. Dès-là je fus dans le public quelque chose; mais aussi le repos et les amis disparurent. Quels maux ne souffris-je point avant de prendre une assiette plus fixe et des attachements plus heureux! Il fallut dévorer mes peines; il fallut qu'un peu de réputation me tînt lieu de tout. Si c'est un dédommagement pour ceux qui sont toujours loin d'eux-mêmes, ce n'en fut jamais un pour moi.

Si j'eusse un moment compté sur un bien si frivole, que j'aurois été promptement désabusé! Quelle inconstance perpétuelle n'ai-je pas éprou

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