Obrazy na stronie
PDF
ePub

ture corrompue; et cette corruption même est un mal dont il falloit chercher la cause. L'homme fut créé bon; nous en convenons, je crois, tous les deux : mais vous dites qu'il est méchant parcequ'il a été méchant; et moi je montre comment il a été méchant. Qui de nous, à votre avis, remonte le mieux au principe?

Cependant vous ne laissez pas de triompher à votre aise comme si vous m'aviez terrassé. Vous m'opposez comme une objection insoluble (1) ce mélange frappant de grandeur et de bassesse, d'ardeur pour la vérité et de goût pour l'erreur, d'inclination pour la vertu et de penchant pour le vice, qui se trouve en nous. Etonnant contraste, ajoutez-vous, qui déconcerte la philosophie païenne, et la laisse errer dans de vaines spéculations!

Ce n'est pas une vaine spéculation que la théorie de l'homme, lorsqu'elle se fonde sur la nature, qu'elle marche à l'appui des faits par des conséquences bien liées, et qu'en nous menant à la source des passions elle nous apprend à régler leur cours. Que si vous appelez philosophie païenne la profession de foi du vicaire savoyard, je ne puis répondre à cette imputation, parceque je n'y comprends rien (2) mais je

(1) Mandement, §. III.

(2) A moins qu'elle ne se rapporte à l'accusation que m'intente M. de Beaumont dans la suite d'avoir admis plusieurs dieux.

trouve plaisant que vous empruntiez presque ses propres termes (1) pour dire qu'il n'explique pas ce qu'il a le mieux expliqué.

Permettez, monseigneur, que je remette sous vos yeux la conclusion que vous tirez d'une objection si bien discutée, et successivement toute la tirade qui s'y rapporte.

(2) L'homme se sent entraîné par une pente funeste; et comment se roidiroit-il contre elle, si son enfance n'étoit dirigée par des maîtres pleins de vertu, de sagesse, de vigilance, et si, durant tout le cours de sa vie, il ne faisoit luiméme, sous la protection et avec les graces de son Dieu, des efforts puissants et continuels?

C'est-à-dire Nous voyons que les hommes sont méchants, quoique incessamment tyrannisés dès leur enfance. Si donc on ne les tyrannisoit pas dès ce temps-là, comment parviendroit-on à les rendre sages, puisque, méme en les tyrannisant sans cesse, il est impossible de les rendre tels?

Nos raisonnements sur l'éducation pourront devenir plus sensibles en les appliquant à un autre sujet.

Supposons, monseigneur, que quelqu'un vînt tenir ce discours aux hommes :

« Vous vous tourmentez beaucoup pour cher<«< cher des gouvernements équitables et pour

(1) Émile, tome II, page 41 de cette édition. (2) Mandement, §. III.

« vous donner de bonnes lois. Je vais première<< ment vous prouver que ce sont vos gouverne«ments mêmes qui font les maux auxquels vous

[ocr errors]
[ocr errors]

prétendez remédier par eux. Je vous prouverai « de plus qu'il est impossible que vous ayez ja<< mais ni de bonnes lois ni des gouvernements équitables; et je vais vous montrer ensuite le vrai moyen de prévenir, sans gouvernements «<et sans lois, tous ces maux dont vous vous plaignez. »

"

Supposons qu'il expliquât après cela son systême et proposât son moyen prétendu. Je n'examine point si ce systême seroit solide et ce moyen praticable. S'il ne l'étoit pas, peut-être se contenteroit-on d'enfermer l'auteur avec les fous, et l'on lui rendroit justice: mais si malheureusement il l'étoit, ce seroit bien pis; et vous concevez, monseigneur, ou d'autres concevront pour vous, qu'il n'y auroit pas assez de bûchers et de roues pour punir l'infortuné d'avoir eu raison. Ce n'est pas de cela qu'il s'agit ici.

Quel que fût le sort de cet homme, il est sûr qu'un déluge d'écrits viendroit fondre sur le sien: il n'y auroit pas un grimaud qui, pour faire sa cour aux puissances, et tout fier d'imprimer avec privilège du roi, ne vînt lancer sur lui sa brochure et ses injures, et ne se vantât d'avoir réduit au silence celui qui n'auroit pas daigné répondre, ou qu'on auroit empêché de parler. Mais ce n'est pas encore de cela qu'il s'agit.

Supposons enfin qu'un homme grave, et qui

auroit son intérêt à la chose, crût devoir aussi faire comme les autres, et, parmi beaucoup de déclamations et d'injures, s'avisât d'argumenter ainsi : Quoi! malheureux! vous voulez anéantir les gouvernements et les lois, tandis que les gouvernements et les lois sont le seul frein du vice, et ont bien de la peine encore à le contenir! Que seroit-ce, grand dieu! si nous ne les avions plus ? Vous nous ôtez les gibets et les roues; vous voulez établir un brigandage public. Vous êtes un homme abominable.

[ocr errors]

"

Si ce pauvre homme osoit parler, il diroit sans doute : « Très excellent seigneur, votre grandeur fait une pétition de principe. Je ne dis point qu'il ne faut pas réprimer le vice, mais « je dis qu'il vaut mieux l'empêcher de naître. « Je veux pourvoir à l'insuffisance des lois, et << vous m'alléguez l'insuffisance des lois. Vous << m'accusez d'établir les abus, parcequ'au lieu d'y remédier j'aime mieux qu'on les prévienne.

[ocr errors]

-"

[ocr errors]

Quoi ! s'il étoit un moyen de vivre toujours «en santé, faudroit-il donc le proscrire de peur « de rendre les médecins ofsifs? Votre excel«lence veut toujours voir des gibets et des roues, « et moi je voudrois ne plus voir de malfaiteurs : << avec tout le respect que je lui dois, je ne crois pas être un homme abominable. »

Hélas! M. T. C. F., malgré les principes de l'éducation la plus saine et la plus vertueuse, malgré les promesses les plus magnifiques de la religion et les menaces les plus terribles, les

écarts de la jeunesse ne sont encore que trop fréquents, trop multipliés. J'ai prouvé que cette éducation que vous appelez la plus saine étoit la plus insensée; que cette éducation que vous appelez la plus vertueuse donnoit aux enfants tous leurs vices: j'ai prouvé que toute la gloire du paradis les tentoit moins qu'un morceau de sucre, et qu'ils craignoient beaucoup plus de s'ennuyer à vêpres que de brûler en enfer : j'ai prouvé que les écarts de la jeunesse, qu'on se plaint de ne pouvoir réprimer par ces moyens, en étoient l'ouvrage. Dans quelles erreurs, dans quels excès, abandonnée à elle-même, ne se précipiteroit-elle donc pas! La jeunesse ne s'égare jamais d'elle-même, toutes ses erreurs lui viennent d'être mal conduite; les camarades et les maîtresses achèvent ce qu'ont commencé les prêtres et les précepteurs : j'ai prouvé cela. C'est un torrent qui se déborde malgré les digues puissantes qu'on lui avoit opposées. Que seroit-ce donc si nul obstacle ne suspendoit ses flots et ne rompoit ses efforts? Je pourrois dire : C'est un torrent qui renverse vos impuissantes digues et brise tout: élargissez son lit et le laissez courir sans obstacle, il ne fera jamais de mal. Mais j'ai honte d'employer dans un sujet aussi sérieux ces figures de collège, que chacun applique à sa fantaisie, et qui ne prouvent rien d'aucun côté.

Au reste, quoique, selon vous, les écarts de la jeunesse ne soient encore que trop fréquents, trop multipliés à cause de la pente de l'homme.

« PoprzedniaDalej »