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n'ai

pas affirmé que dans l'ordre actuel la chose fût absolument possible; mais j'ai bien affirmé et j'affirme encore qu'il n'y a pour en venir à bout d'autres moyens que ceux que j'ai proposés.

Là-dessus vous dites que mon plan d'éducation, (1) loin de s'accorder avec le christianisme, n'est pas même propre à faire des citoyens ni des hommes; et votre unique preuve est de m'opposer le péché originel. Monseigneur, il n'y a d'autre moyen de se délivrer du péché originel et de ses effets que le baptême. D'où il suivroit, selon vous, qu'il n'y auroit jamais eu de citoyens ni d'hommes que des chrétiens. Ou niez cette conséquence, ou convenez que vous avez trop prouvé.

Vous tirez vos preuves de si haut, que vous me forcez d'aller aussi chercher loin mes réponses. D'abord il s'en faut bien, selon moi, que cette doctrine du péché originel, sujette à des difficultés si terribles, ne soit contenue dans l'écriture ni si clairement ni si durement qu'il a plu au rhéteur Augustin et à nos théologiens de la bâtir. Et le moyen de concevoir que Dieu crée tant d'ames innocentes et pures, tout exprès pour les joindre à des corps coupables, pour leur y faire contracter la corruption morale, et pour les condamner toutes à l'enfer, sans autre crime que cette union qui est son ouvrage? Je ne dirai

(1) Mandement, §. III.

pas si (comme vous vous en vantez) vous éclaircissez par ce systême le mystère de notre cœur; mais je vois que vous obscurcissez beaucoup la justice et la bonté de l'Être suprême. Si vous levez une objection, c'est pour en substituer de cent fois plus fortes.

Mais au fond que fait cette doctrine à l'auteur d'Émile? Quoiqu'il ait eru son livre utile au genre humain, c'est à des chrétiens qu'il l'a destiné; c'est à des hommes lavés du péché originel et de ses effets, du moins quant à l'ame, par le sacrement établi pour cela. Selon cette même doctrine, nous avons tous dans notre enfance recouvré l'innocence primitive; nous sommes tous sortis du baptême aussi sains de cœur qu'Adam sortit de la main de Dieu. Nous avons, direz-vous, contracté de nouvelles souillures. Mais, puisque nous avons commencé par en être délivrés, comment les avons-nous derechef contractées? Le sang de Christ n'est-il donc pas encore assez fort pour effacer entièrement la tache? ou bien seroit-elle un effet de la corruption naturelle de notre chair? comme si, même indépendamment du péché originel, Dieu nous eût créés corrompus, tout exprès pour avoir le plaisir de nous punir! Vous attribuez au péché originel les vices des peuples que vous avouez avoir été délivrés du péché originel; puis vous me blâmez d'avoir donné une autre origine à ces vices. Est-il juste de me faire un crime de n'avoir pas aussi mal raisonné que vous?

On pourroit, il est vrai, me dire que ces effets que j'attribue au baptême (1) ne paroissent par nul signe extérieur; qu'on ne voit pas les chrétiens moins enclins au mal que les infidèles; au lieu que, selon moi, la malice infuse du péché devroit se marquer dans ceux-ci par des dif férences sensibles. Avec les secours que vous avez dans la morale évangélique, outre le bap tême, tous les chrétiens, poursuivroit-on, devroient être des anges; et les infidéles, outre leur corruption originelle, livrés à leurs cultes erronés, devroient être des démons. Je conçois que cette difficulté pressée pourroit devenir embarrassante : car que répondre à ceux qui me feroient voir que, relativement au genre humain, l'effet de la rédemption, faite à si haut prix, se réduit à-peu-près à rien?

Mais, monseigneur, outre que je ne crois point qu'en bonne théologie on n'ait pas quel

(1) Si l'on disoit, avec le docteur Thomas Burnet, que la corruption et la mortalité de la race humaine, suite du péché d'Adam, fut un effet naturel du fruit défendu, que cet aliment contenoit des sucs venimeux qui dérangèrent toute l'économie animale, qui irritèrent les passions, qui affoiblirent l'entendement, et qui portèrent par-tout les principes du vice et de la mort ; alors il faudroit convenir que la nature du remède devant se rapporter à celle du mal, le baptême devroit agir physiquement sur le corps de l'homme, lui rendre la constitution qu'il avoit dans l'état d'innocence, et sinon l'immortalité qui en dépendoit, du moins tous les effets moraux de l'économie animale rétablie.

que expédient pour sortir de là, quand je conviendrois que le baptême ne remédie point à la corruption de notre nature, encore n'en auriezvous pas raisonné plus solidement. Nous sommes, dites-vous, pécheurs à cause du péché de notre premier père. Mais notre premier père pourquoi fut-il pécheur lui-même? pourquoi la même raison par laquelle vous expliquerez son péché ne seroit-elle pas applicable à ses descendants sans le péché originel? et pourquoi faut-il que nous imputions à Dieu une injustice en nous rendant pécheurs et punissables par le vice de notre naissance, tandis que notre premier père fut pécheur et puni comme nous sans cela? Le péché originel explique tout, excepté son principe; et c'est ce principe qu'il s'agit d'expliquer.

Vous avancez que, par mon principe à moi, (1) l'on perd de vue le rayon de lumière qui nous fait connottre le mystère de notre propre cœur; et vous ne voyez pas que ce principe, bien plus universel, éclaire même la faute du premier homme (2), que le vôtre laisse dans l'obs

(1) Mandement, §. III.

(2) Regimber contre une défense inutile et arbitraire est un penchant naturel, mais qui, loin d'être vicieux en lui-même, est conforme à l'ordre des choses et à la bonne constitution de l'homme, puisqu'il seroit hors d'état de se conserver, s'il n'avoit un amour très vif pour luimême et pour le maintien de tous ses droits, tels qu'il les a reçus de la nature. Celui qui pourroit tout ne vou

curité. Vous ne savez voir que l'homme dans les mains du diable, et moi je vois comment il y est tombé la cause du mal est, selon vous, : la na

droit que ce qui lui seroit utile: mais un être foible, dont la loi restreint et limite encore le pouvoir, perd une par tie de lui-même, et réclame en son cœur ce qui lui est ôté. Lui faire un crime de cela seroit lui en faire un d'être lui et non pas un autre ; ce seroit vouloir en même temps qu'il fût et qu'il ne fût pas. Aussi l'ordre enfreint par Adam me paroît-il moins une véritable défense qu'un avis paternel; c'est un avertissement de s'abstenir d'un fruit pernicieux qui donne la mort. Cette idée est assurément plus conforme à celle qu'on doit avoir de la bonté de Dieu et même au texte de la Genèse, que celle qu'il plaît aux docteurs de nous prescrire; car, quant à la menace de la double mort, on fait voir que ce mot morte morieris n'a pas l'emphase qu'ils lui prêtent, et n'est qu'un hébraïsme employé en d'autres endroits où cette emphase ne peut avoir lieu.

Il y a de plus un motif si naturel d'indulgence et de commisération dans la ruse du tentateur et dans la séduction de la femme, qu'à considérer dans toutes ses circonstances le péché d'Adam, l'on n'y peut trouver qu'une faute des plus légères. Cependant, selon eux, quelle effroyable punition! il est même impossible d'en concevoir une plus terrible; car quel châtiment eût pu porter Adam pour les plus grands crimes, que d'être condamné, lui et toute sa race, à la mort en ce monde, et à passer l'éternité dans l'autre dévorés des feux de l'enfer? Est-ce là la peine imposée par le Dieu de miséricorde à un pauvre malheureux pour s'être laissé tromper? Que je hais la décourageante doctrine de nos durs théologiens! si j'étois un moment tenté de l'admettre, c'est alors que je croirois blasphémer.

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