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Vodiany, l'esprit des eaux, vieillard au visage boursouflé et aux longs cheveux humides qui habite les rivières et fait sa demeure près des moulins; ni les Rousalkas, sorte de sirènes ou de naïades slaves, à la peau d'argent et à la chevelure verte, qui, de même que les nymphes grecques le jeune Hylas, attirent les jeunes gens au fond des eaux; ni le Léchii, l'esprit des bois, sorte de lutin folâtre ou de sylvain aux pieds de chèvre, qui égare les voyageurs dans la forêt; ni le Domovoï, le génie de la maison, dont le poêle, ce foyer russe, est la demeure préférée. Tous ces êtres fantastiques jouent un grand rôle dans les chants et les contes populaires. Les marais, les lacs, les forêts les ont fait vivre dans l'imagination russe1.

En Russie plus qu'ailleurs, c'est surtout dans le culte des saints que le polythéisme s'est survécu. Si oubliés que soient les dieux slaves, ils n'ont disparu du sol russe qu'en se travestissant en saints chrétiens. Pour se retrouver dans l'Orient hellénique, comme dans l'Occident latin, de pareilles métamorphoses n'ont nulle part été plus fréquentes qu'en Russie. Elles seules expliquent la vogue de certains bienheureux et la bizarre hiérarchie du ciel russe. La place assignée par la dévotion populaire à ses saints favoris est sans rapport avec leur rôle dans l'histoire ecclésiastique ou leur rang dans la liturgie orthodoxe. On a remarqué que. parmi les hôtes de l'empyrée chrétien, les plus vénérés du peuple étaient souvent les moins humains ou les moins historiques, ceux que la légende a le plus librement modelés à son gré. La raison en est simple: saints légendaires, anges du ciel ou prophètes de l'ancienne loi, les préférés de la dévotion russe ont pour la plupart conservé un caractère mythique.

Plusieurs ne sont que des dieux dégradés ou purifiés. De l'Olympe barbare de la Rouss primitive ils se sont glissés dans le paradis orthodoxe. Parfois, sous le couvert d'une

1. Voyez, p. ex., Ralston: The Songs of the Russian people.

ressemblance de noms, ils ont transmis à un saint leurs attributs et leurs fonctions. C'est ainsi que saint Blaise, en russe Vlas, a, dans les superstitions locales, pris l'emploi de l'antique Volos ou Veles, le dieu des troupeaux. Le Jupiter slave, Péroun, le dieu de la foudre, dont les statues furent jetées dans le Dniepr et le Volkof, est remonté sur les autels sous la figure d'Élie, saint Élie, Ilia. Le prophète d'Israël, enlevé au ciel sur un char de feu, a succédé au dieu du tonnerre des anciens Russes, de même que, chez les Grecs, le même Elie avait déjà hérité d'Hélios, le Soleil. Lorsqu'il tonne, c'est, pour le moujik, le char du prophète Elie qui roule dans les cieux'. En même temps que de la foudre, ce maître de l'orage dispose de la grêle. Un conte du gouvernement de Iaroslavl le montre détruisant les récoltes d'un paysan qui célébrait la Saint-Nicolas sans fêter la Saint-Élie".

Pour d'autres bienheureux, pour saint Nicolas, pour l'archange saint Michel, pour saint Georges, l'un des patrons de l'empire, dont l'équestre image, d'origine païenne, décore l'écusson national, le caractère mythique. n'est pas moins marqué. Saint Georges et saint Michel partagent avec saint Élie, et aussi avec saint André et saint Pierre, la succession du Thor slave, Péroun. D'autres fois, dans sa fête du printemps, le 23 avril, Georges, Iouri ou légory le brave devient le protecteur des troupeaux et apparaît, de même que saint Blaise, comme l'héritier du dieu Volos. Dans la légende du chevaleresque pourchasseur du dragon, sorte de Persée ou de Bellérophon chrétien, les souvenirs païens et les idées chrétiennes s'enchevêtrent et se confondent, chez les Russes tout comme chez les Grecs et les Latins.

1. Voyez particulièrement Afanasief: Poétitcheskiia Vozzreniia Slavian na prirodou I; Ralston: The Songs of the Russian people, et M. L. Léger : Esquisse sommaire de la mythologie slave, Nouvelles études slaves, 2o série,

1886.

2. Afanasief: Narodnyia Rousskiia Legendy, no 10. folk-tales, p. 340.

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Il en est de même de saint Nicolas, le plus invoqué et le plus puissant de tous les saints russes, celui qui, selon la croyance populaire, doit succéder à Dieu, lorsque Dieu se fera vieux. Saint Nicolas a les vocations les plus diverses. C'est, comme en Occident, le patron des enfants, c'est le protecteur des matelots, des pèlerins, des gens en danger. Par opposition à saint Elie, souvent dur et vindicatif, saint Nicolas, est le bon saint, obligeant et secourable par excellence. Le Russe en emporte le culte partout avec lui et le répand autour de lui. Chez les indigènes de la Sibérie, saint Nicolas est le dieu agricole et le dieu de la bière que l'on fête pendant la moisson. Les païens d'au delà de l'Oural ont pour lui les mêmes hommages que les orthodoxes: ainsi les Votiaks non baptisés et les Ostiaks, qui l'appellent Kola, le dieu russe. En Europe, comme en Asie, plusieurs tribus finno-turques, officiellement converties au christianisme, ne connaissent guère d'autre dieu chrétien. Presque toute la religion des Tchouvaches du Volga se réduit en pèlerinages à ses sanctuaires, partout fort nombreux. On peut ainsi encore aujourd'hui suivre, en Russie même, les diverses phases de l'évolution religieuse, du paganisme ou du fétichisme au christianisme.

La façon dont le paysan honore ses saints, l'idée qu'il se fait de leur puissance, de leur protection, de leurs rancunes, est souvent encore toute païenne. Il redoute leur vengeance et prend garde de blesser leur amour-propre. Il cherche à gagner leur faveur et leur en veut de leur négligence. «< Te sert-il, prie-le; ne te sert-il pas, mets-le sous le pot », dit un dicton populaire'. On sait que dans chaque maison, presque dans chaque chambre, la place d'honneur, un des angles de la pièce, selon un usage oriental, est occupée par les saintes images, ces dieux lares moscovites. Pour elles est le premier salut de tout Russe qui entre. Veut-il commeltre un acte qui puisse les choquer, le pécheur a le soin de leur voiler la face. Ainsi les femmes de mœurs légères. 1. Goditsia, molitsia; ne goditsia, gorchki pokrivat. »

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Les Russes ont l'habitude d'honorer les saints et le Christ lui-même en faisant brûler des cierges devant leurs images. Durant les offices, les fidèles, debout les uns derrière les autres, se transmettent de main en main les petits cierges à poser devant l'iconostase. Un jour, c'était la fête de saint Georges, un paysan passait ainsi deux cierges. « Pourquoi deux? lui demanda-t-on. C'est, répondit le moujik, qu'il y en a un pour le saint et un pour le serpent. >> Plus d'un homme du peuple serait enclin à rendre ainsi hommage en même temps à saint Georges ou à saint Michel et au dragon terrassé par le saint. Il y a dans leurs croyances une sorte de dualisme inconscient. La vie leur apparaît comme la lutte de deux principes opposés. On a cru retrouver dans les traditions populaires le souvenir de deux dieux ennemis: le dieu blanc, dieu du bien, le dieu noir, dieu du mal. Cette vue, à en croire les mythologues, a beau sembler inexacte, elle est d'accord avec les idées et la religion de nombre de moujiks. On dirait parfois que, sous leur christianisme, se retrouve une sorte de manichéisme latent. Maintes sectes populaires croient partout découvrir le diable et l'antéchrist.

Une chose plus d'une fois remarquée, c'est la facilité avec laquelle le moujik russe, le colon russe, transporté au milieu de populations idolâtres, en adopte les superstitions et parfois même les rites païens. En Sibérie notamment, un grand nombre de paysans orthodoxes se laissent prendre aux grossières séductions du chamanisme et figurent parmi les ouailles des chamans. Aux bords de la Léna, beaucoup fréquentent les sanctuaires bouddhistes des Bouriates, leurs voisins. Jusqu'aux environs d'Irkoustk, la capitale de la Sibérie orientale, siège d'un archevêché orthodoxe, on rencontre, dans les izbas russes, des idoles bouriates, en même temps que des images de saint Nicolas dans les huttes des Bouriates. En Europe même, dans la région du Volga, le paysan subit souvent la contagion des superstitions polythéistes ou fétichistes de ses voisins allogènes, les Tchouvaches ou les Tchérémisses, par exemple. Il semble qu'à

demi émergé du paganisme, le moujik soit toujours près de s'y laisser retomber, quand il ne rencontre pas de main pour l'aider à en sortir. L'immensité du pays, l'éloignement de centres intellectuels et religieux, l'insuffisance et la négligence d'un clergé à la fois trop peu nombreux et trop peu instruit, sont pour la religion autant de causes de corruption. Chez un pareil peuple, ce qui doit étonner, ce n'est point que le christianisme s'y allie souvent à des notions païennes, c'est que la foi chrétienne y ait vécu et duré, qu'elle n'ait pas été entièrement étouffée par les ronces du paganisme.

Sous le polythéisme chrétien du moujik se retrouve une couche religieuse encore inférieure, qu'en creusant un peu l'on découvre également au fond des peuples de l'Occident, la sorcellerie. On ne saurait demander au paysan du Don ou du Volga d'avoir perdu l'antique foi dans les sortilèges et les maléfices, alors que de semblables croyances rampent encore au fond des campagnes, dans les pays les plus anciennement civilisés. A cet égard encore, le spectacle que nous offre l'izba russe nous fait remonter de plusieurs siècles en arrière. En aucun pays contemporain, la confiance dans les charmes magiques, la crainte du mauvais œil et des mauvais présages, la foi dans les songes et les enchantements, ne sont aussi communes. Il est peu de villages qui n'aient leurs sorciers, et l'un des livres les plus répandus dans le peuple est le Sonnik, l'interprète des songes.

Ces superstitions sont tellement enracinées que, si l'on ne savait quelle peine a eu la culture à en triompher en des pays autrement favorisés, l'on serait tenté d'en rejeter la faute sur le sol ou sur la race. Le Nord a toujours été la terre des magiciens et la sorcellerie y a conservé un caractère plus sombre. Entre toutes les races ou les nationalités de l'Europe, les Finnois ont, sous ce rapport, longtemps joui d'une sorte de primauté. Aucun peuple n'a eu plus de foi dans la force des enchantements. Les magiciens tchoudes ont, en Russie comme en Scandinavie, gardé leur antique

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