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danser le soir. Aujourd'hui encore, pour exécuter dans l'église des compositions de musique sacrée, il faut l'aulorisation de la censure ecclésiastique1.

Non seulement le chant liturgique, originaire de la Grèce, s'est développé suivant le génie russe, mais c'est peut-être à cette extrémité de la chrétienté, en dehors de la vieille Europe, que le plain-chant, hérité de l'antiquité classique, a le mieux conservé sa grave noblesse. Nulle part la récitation des psaumes, la lecture des répons ou des leçons de l'Écriture, le chant des hymnes de l'Église n'a plus de majestueuse simplicité. Puis, au plain-chant, les maîtres anonymes du moyen âge ont ajouté des chants appelés raspiévy, d'un dessin mélodique original, souvent apparentés aux mélancoliques chansons populaires. L'invasion de la musique occidentale semblait devoir étouffer tout art russe; par une heureuse exception, elle a rajeuni et enrichi le chant sacré. Il s'est, à la fin du dixhuitième siècle, sous l'influence des Italiens appelés par Catherine II, formé tout un art nouveau, lui aussi, éminemment national. Le chant religieux a ainsi été de tout temps en honneur. Toutes les classes y sont fort sensibles. Rien n'attire le moujik à l'église comme de beaux chœurs et de belles voix. En certains villages on a remarqué que le paysan délaissait les offices lorsque le chant y était négligé. Le peuple déteste dans la liturgie ce qu'il appelle le chant de bouc (kozloglasovanie). Aussi attribue-t-on, dans les séminaires, une grande importance à l'éducation musicale des prêtres et des diacres.

Pour ce goût du chant et de la musique, la Russie orthodoxe n'est pas sans quelque analogie avec l'Allemagne protestante. Chez elle aussi, la musique a été l'art religieux par excellence; mais, privé d'orchestre, il n'a pu

1. Dans la pratique, il faut même souvent l'autorisation du directeur de la chapelle impériale, ce qui a éloigné de ce genre les grands compositeurs contemporains et ce qui risque d'en amener la décadence.

prendre le même essor. Si elle n'a eu ni Back ni Hændel, les maîtrises de la Russie lui ont donné plus d'un artiste. C'est dans les chœurs de l'église que s'est d'abord manifesté ce génie musical, attesté depuis par toute une école dramatique. Des compositeurs, pour la plupart maîtres de la chapelle impériale, se sont, dans ce domaine restreint, fait un juste renom ainsi Bortniansky et Alexis Lvof, l'auteur de l'hymne national: Dieu garde le tsar!

Tout ce qu'on peut demander à la voix humaine, les chapelles russes l'ont obtenu. Elles atteignent tour à tour à une suavité vraiment angélique et à une grandeur terrifiante, faisant résonner tous les registres du sentiment religieux. En même temps que des compositeurs, l'Église russe possède des maîtrises, aujourd'hui peut-être sans égales en Europe. Tels notamment la chapelle de la cour et, à Moscou, les chantres de Tchoudof. Dans ces chœurs russes n'entrent que des voix d'hommes et d'enfants, l'amollissante voix de la femme étant bannie de la liturgie', et les Russes n'ayant jamais eu recours à des sopranistes sans sexe. On est émerveillé des effets de sonorité et de la perfection qu'atteint la chapelle impériale avec d'aussi faibles moyens. Les voix de basses surtout ont une puissance et une profondeur incomparables; à entendre ces masses chorales sans orchestre pour les soutenir, l'étranger jurerait qu'elles sont accompagnées d'instruments à cordes".

1. Voy. par ex. le Rév. Razoumovski, professeur de chant sacré au Conservatoire de Moscou Tserkovnoé pénié v Rossii, et le prince N. Ioussoupof: Hist. de la musique relig, en Russie.

2. Dans les couvents de femmes, ce sont, au contraire, les religieuses qui forment le choeur; dans les pensionnats, ce sont les jeunes filles.

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3. Berlioz, en tout épris d'art original, goûtait fort les œuvres de Bortniansky. Quant à la chapelle de la cour, il écrivait avec son outrance habituelle : Comparer l'exécution chorale de la chapelle Sixtine à Rome avec celle de ces chantres merveilleux, c'est opposer la pauvre petite troupe de racleurs d'un théâtre italien de troisième ordre à l'orchestre du Conservatoire de Paris. » (Soirées de l'orchestre. Cf. Correspondance.)

Les jeûnes et les fêtes.

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CHAPITRE IV

les anciennes observances.

Les quatre carèmes.

Attachement du peuple aux jeûnes. Comment il est malaisé à l'Église russe de modifier Les fèles, leur grand nombre, leurs inconvénients. Le calendrier julien. Raisons de son maintien. — Les saints russes, leur caractère archaïque. - De la canonisation en Russie. culte des Reliques. Les pèlerinages à l'intérieur et en Terre-Sainte.

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La musique, où elle a laissé s'introduire les tonalités modernes, est peut-être la seule infraction de l'Église russe à l'esprit d'ascétisme de l'orthodoxie orientale. Pour tout le reste, le culte, dans son austère immobilité, a gardé quelque chose d'archaïque; il a conservé les usages et les observances qui semblent le moins s'adapter aux habitudes modernes. Ainsi pour le jeûne et l'abstinence. En aucune Église, les jeûnes ne sont aussi fréquents et aussi rigoureux. Ni le rude climat du Nord ni l'amollissement du siècle n'ont mitigé ces macérations imaginées en un autre temps pour un autre ciel.

Au lieu d'un carême, l'Église russe en compte quatre l'un, correspondant à l'Avent des Latins, précède Noël; un autre, le grand carême, précède Pâques ; un troisième vient avant la Saint-Pierre; un quatrième avant l'Assomption. Le nombre des jours maigres monte au moins à un tiers des jours de l'année. Outre les carêmes et les vigiles des fêtes, il y a deux jours d'abstinence par semaine, le vendredi et le mercredi, le jour de la mort du Sauveur et le jour de la trahison de Judas. Les Grecs, toujours heureux de se distinguer des Latins, trouvent malséant que, pour se mortifier, les Latins aient préféré le samedi au mercredi.

Pendant les quatre carêmes, la viande est entièrement défendue, et avec elle le lait, le beurre, les œufs. Il n'y a guère de permis que le poisson et les légumes, et cela sous un ciel qui ne laisse croître que peu de légumes. Aussi le Russe est-il en grande partie un peuple ichtyophage. Les eaux fluviales et maritimes de la Russie ont beau être riches en poissons, si bien qu'en peu de pays, sauf en Chine, l'élément liquide ne fournit autant à l'alimentation, les pêcheries du Volga et du Don, de la Caspienne ou de la mer Blanche ne sauraient suffire à cette nation de jeûneurs. Le hareng et la morue tiennent une large place dans la nourriture du peuple. Encore les plus sévères s'interdisentils le poisson. Durant ses quatre carêmes, le paysan vit, pour une bonne part, de salaisons et de choux conservés; il est au régime d'un navire au long cours, et le même régime amène souvent les mêmes maladies, le scorbut notamment. Les dernières semaines du grand carême qui tombe à la fin de l'hiver, alors que l'organisme a le plus besoin d'aliments substantiels, encombrent les hôpitaux. Les malades augmentent de nombre, les épidémies redoublent d'intensité, d'autant qu'aux jeûnes débilitants de la sainte quarantaine succèdent brusquement les bombances des fêtes de Pâques, le peuple cherchant à se dédommager de ses longues privations. Les deux carêmes de la SaintPierre et de l'Assomption, placés à l'époque des grandes chaleurs et des grands travaux des champs, ne font guère moins de victimes. Comment ces deux carêmes d'été n'accroîtraient-ils pas la mortalité parmi des travailleurs ruraux abreuvés de kvass et nourris de poisson salé ou de concombres?

Ces jeûnes si durs, le peuple y tient, peut-être par cela même qu'ils sont pénibles et que la chair en souffre. Ils lui semblent essentiels à la religion; ils sont, pour lui, le signe et le gage de la victoire de l'esprit sur la chair. Les longs jeûnes et les rudes jeûneurs lui inspirent une pieuse vénération. Selon l'exemple de la plupart des saints de

l'Orient, la mortification est pour lui la plus méritoire des pratiques chrétiennes; et le régime ordinaire du moujik est si pauvre que, pour se mortifier, il lui faut presque se réduire à son gruau et à son pain de seigle. Des paysans d'une autre nationalité auraient peine à supporter, sous de pareilles latitudes, une semblable abstinence. Il y faut l'endurance russe. Il y a peu d'années, sous Alexandre III, un fonctionnaire, en visite chez des colons tchèques de l'Ukraine, leur demandait si, en reconnaissance de l'hospitalité russe, ils n'étaient pas disposés à entrer dans l'Église orthodoxe. « Non, Votre Haute Excellence, répondit l'ancien du village, vos jeûnes sont trop longs et trop sévères pour nous autres Tchèques, habitués au beurre et au laitage.

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Bien des Russes commencent à être de l'avis de ce Tchèque. Il n'y a plus, à observer dans toute leur rigueur ces jeûnes d'anachorètes, que le moujik et l'ouvrier, si souvent encore semblable au moujik. Parmi les marchands, qui naguère étaient les plus stricts pour toutes les observances religieuses, le relâchement s'est déjà répandu, d'autant que dans les classes moyennes la piété est en déclin. Les hautes classes se sont, depuis longtemps, affranchies de ces durs carêmes. Les maisons les plus pieuses n'observent guère le jeûne, ou mieux l'abstinence, que durant la première et la dernière semaine du grand carême.

Pour se dispenser de suivre strictement les pratiques prescrites par l'Église, les personnes religieuses ne se croient pas toujours tenues d'en demander la permission au clergé. Ici se retrouve la différence d'esprit et d'habitudes des deux Églises. Avec plus de jeûnes, plus de fêtes, plus d'observances de toute sorte que l'Église latine, l'Église gréco-russe laisse en réalité à ses enfants plus de liberté ou de latitude. Il en est de la pratique des rites comme de l'interprétation du dogme. L'Église orientale ne prétend pas astreindre les consciences à une domination aussi entière ou aussi minutieuse; elle n'exige pas une

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