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presque partout, les plus vénérées sont d'ordinaire les plus anciennes et les plus noires. Quelques-unes passent pour achiropoiètes, pour n'avoir pas été faites de main d'homme; d'autres, comme en Occident, pour provenir du pinceau de saint Luc. Un grand nombre ont été miraculeusement découvertes et possèdent une légende. A beaucoup se rattachent des souvenirs locaux ou nationaux, la fin d'une famine ou d'une épidémie, le gain d'une bataille. Les Russes, dans toutes leurs guerres, emportaient avec eux quelque sainte icone; victorieux, ils lui reportaient le succès de leurs armes. Smolensk possède une vierge chère à tout l'ouest orthodoxe. Pierre le Grand en avait une qui ne le quiltait point; elle est exposée aux prières des fidèles,? Pétersbourg, dans la petite maison de bois du réformateur aujourd'hui transformée en chapelle. Il ne manque pas de patriotes qui lui attribuent la victoire de Poltava. Une autre vierge vint au secours des orthodoxes dans l'invasion de 1812, Notre-Dame de Kazan, une des plus populaires de l'empire. La prise de Kazan, sous Ivan le Terrible, la mit en réputation, et depuis lors elle a été invoquée dans toutes les crises nationales. Le boyard Pojarski et le boucher Minine vinrent, en 1611, la chercher à Kazan pour les aider à chasser les Polonais de Wladislas, alors maîtres de Moscou. Un siècle plus tard, elle était transportée de la vieille capitale dans la nouvelle par Pierre le Grand, désireux de consacrer, aux yeux de ses sujets, la ville de la Néva. Pour l'abriter, Alexandre Ier fit élever la fastueuse église qui porte le nom de Notre-Dame de Kazan. Koutouzof y vint implorer l'assistance divine avant de partir pour Borodino; et, depuis, chaque année, à Noël, les Russes y célèbrent un Te Deum pour la délivrance de la patrie. L'argent enlevé à la Grande Armée par les Cosaques du Don a été fondu pour en revêtir l'iconostase, et les aigles napoléoniennes, les drapeaux français aux couleurs fanées, en tapissent encore les murailles.

Ces icones en renom sont d'ordinaire ornées de bijoux et

de pierres précieuses de toute sorte. Les plus célèbres ont des parures de prix auxquelles l'Occident, ravagé par les révolutions, ne saurait rien opposer. Il en est qui, aux heures de péril national, ont prêté à la patrie leurs diamants et leurs émeraudes. Le moujik jouit visiblement du luxe de ses images; sur la tête voilée de ses sombres vierges byzantines il aime à voir reluire des diadèmes d'impératrice. Ce goût, naturel aux pauvres, est si général que là où font défaut les pierres fines, on y supplée avec le verre et les fausses perles. Partout, jusque dans d'humbles villages, la Vierge et les saints sont vêtus d'or et d'argent. La plupart des images russes ont la tête et les mains peintes, tandis que le corps est couvert de lames de métal qui, selon le mot de Théophile Gautier, leur forment une sorte de carapace d'orfèvrerie1.

L'art religieux de la Russie a conservé le caractère byzantin. Les types et les méthodes du Zoographos grec sont demeurés en honneur chez les moines de la Moscovie presque autant qu'au mont Athos. A le voir ainsi traverser les âges, on dirait que l'art apporté de la Sainte Montagne s'est congelé dans les glaces du Nord. Jusqu'en ces peintures, recopiées depuis des siècles sur des copies et souvent repeintes en même temps que redorées, on sent parfois comme un écho affaibli des grands types primitifs des quatrième et cinquième siècles. Ainsi, des barbares christs sur le trône des fresques absidales l'œil peut remonter, de loin en loin, jusqu'au fameux christ de SaintePudentienne à Rome. Ainsi, la Vierge aux bras étendus, avec l'enfant sur la poitrine, reproduit encore aujourd'hui la Vierge en orante des catacombes de Sainte-Agnès. Dans

1. Il est à remarquer que cet usage de recouvrir les icones d'un revêtement ou, comme disent les Russes, d'une chasuble de métal (riza), ne remonte qu'au dix-huitième siècle. Antérieurement, au lieu de couvrir l'image de plaques d'argent ou de vermeil ne laissant voir que la tête, les mains et les pieds, les Russes avaient le bon goût de ne revêtir ainsi que la bordure de l'icone (opletchié).

les petites pièces d'orfèvrerie populaire, dans les crucifix ou les triptyques de cuivre, l'archéologue peut reconnaître des types anciens, déjà presque disparus de la peinture. Rien du reste, dans tout cela, du premier art chrétien, si frais, si jeune, si antique dans sa grâce classique. Toutes ces figures ont passé par Byzance; elles en ont gardé la raideur compassée. Aucun mouvement n'a dérangé les plis symétriques de leurs vêtements; leurs yeux fixes ont, depuis des siècles, perdu tout regard, et jamais sourire n'a entr'ouvert leurs lèvres décolorées. On a remarqué que l'art byzantino-russe évitait de représenter la femme et la jeunesse, comme s'il avait peur de la beauté féminine et de la grâce juvénile. Ses préférences sont pour les types masculins, surtout pour les vieillards ou les hommes mûrs ornés de ces longues barbes qu'affectionne l'iconographie russe. Ce sont, chez elle, les seules figures un peu vivantes, les seules dont les traits soient assez marqués pour prendre parfois l'individualité d'un portrait.

Comme les rites, l'art dans l'Église orientale est demeuré essentiellement symbolique. Les images ne sont en quelque sorte qu'une partie de la liturgie. Ce caractère emblématique est visible dans les grandes fresques murales comme dans les petits reliefs de cuivre. La Trinité est figurée par Abraham devant les trois anges. Les sept conciles personnifient l'autorité de l'Église et la pureté de la foi. Les scènes des deux Testaments se font parfois pendant, par types et antitypes, comme jadis dans nos vieilles églises. La vie du Christ ou de la Vierge est représentée par mystères, conformément à un ordre et à des règles invariables. Les saints et les anges, distribués par chœurs, font passer en revue les bataillons de l'armée céleste, chacun avec ses attributs: patriarches, apôtres, martyrs, vierges, évêques, sans oublier la troupe des stylites, debout sur leurs colonnes. Anges et bienheureux sont, jusqu'à une époque voisine, demeurés conformes à la tradition byzantine. Les saints russes, en prenant rang

parmi les saints grecs, se sont modelés sur eux; ils en ont pour ainsi dire endossé l'uniforme.

Dans cette Russie orthodoxe, les types semblent s'être conservés comme le dogme, immobiles en leur attitude hiératique. Le Russe n'y a guère rien ajouté ni rien retranché. A l'inverse de son architecture, on y chercherait en vain quelque élément asiatique, mongol ou hindou. Si le Moscovite s'y est montré original, c'est par le procédé, spécialement par le travail du bois et du métal. Chez lui, plus encore que chez les Grecs, cet art rigide, avec ses longues figures aux chapes d'argent, a quelque chose d'enfantin et de vieux à la fois; il garde une sorte de naïve pédanterie qui n'est pas dénuée de charme. Sa rigidité même lui donne quelque chose d'étranger à la terre et au temps, d'irréel et d'immatériel qui sied malgré tout aux personnages célestes. Puis, en Russie, de même qu'en Orient, cet art contempteur de la beauté et de la nature, qui a l'air de prendre à la lettre les malédictions évangéliques contre la chair et le monde, a, lui aussi, son éclat et sa beauté. A la simplicité, à la pauvreté des formes et du coloris, il aime à joindre le luxe de la matière et la somptuosité de l'ornementation. Ce qui rend l'art byzantin éminemment décoratif le rend, aux yeux du peuple, éminemment religieux, parce qu'à l'austérité des figures il allie l'opulence du cadre et la richesse des matériaux. Des saints émaciés dans un ciel d'or, n'est-ce pas ainsi que le moujik se représente encore le paradis?

Dans l'ancienne Russie, à Novgorod, à Pskof, à Moscou, la peinture a longtemps été un art tout monastique, confiné dans les cellules des couvents. Le peintre était d'ordinaire un moine voué à la reproduction des saintes icones, comme d'autres à la copie des saints livres. Les dignitaires ecclésiastiques, les évêques même, ne dédaignaient pas de manier le pinceau; on cite par exemple le métropolite Macaire. Cet art, en apparence tout impersonnel, n'est pas toujours anonyme. Parmi ces artistes qui peignaient

comme ils priaient, répétant les mêmes figures aussi bien que les mêmes oraisons, il en est auxquels la finesse de leur pinceau et le fini de leur exécution ont valu, à travers les âges, un renom durable. Tel, entre autres, André Roublef, dont les tableaux étaient déjà donnés en modèles au seizième siècle. Aujourd'hui encore, les vieux-croyants de Moscou se disputent au poids de l'or les panneaux attribués à Roublef.

C'est au seizième et au dix-septième siècle que la peinture et la ciselure religieuses devinrent des industries séculières. L'imagerie sacrée se laïcisa; mais, pour la laisser sortir des monastères, l'Église ne cessa pas d'exercer sur elle une vigilante tutelle. Peintes ou sculptées, les images restèrent soumises à une sorte de censure ecclésiastique. Les clercs rédigèrent, pour les artisans des saintes icones, des manuels d'iconographie, analogues à ceux des Byzantins. Le concile du Stoglaf ou des Cent Chapitres, tenu vers 1550, enjoint aux évêques de veiller sur les peintures et sur les peintres, de leur prescrire les sujets et la manière de les disposer. On ne demandait pas seulement à l'artiste sacré d'avoir une main exercée, on exigeait que cette main fût assez pure pour n'être pas indigne de représenter le Christ et la Vierge 1. La peinture des icones était encore considérée comme une sorte de ministère sacré. De nos jours même, ne s'est-il pas trouvé des Russes pour demander que la vente n'en fût permise qu'aux orthodoxes et que ce pieux trafic fût interdit aux Juifs? L'une des choses les plus recommandées aux imagiers, c'est tou

1. Le concile du Stoglaf exprime avec une curieuse naïveté les qualités nécessaires aux peintres. « Le peintre, dit l'article 43 des Cent Chapitres, doit être humble, doux, retenu dans ses paroles, sérieux, éloigné des querelles et de l'ivrognerie, ni voleur ni assassin, et surtout garder la pureté de son âme et de son corps. Et celui qui ne peut se contenir, qu'il se marie selon la loi. Et il convient que les peintres visitent souvent leurs pères spirituels, les consultent sur toutes choses et vivent d'après leurs conseils et instructions dans le jeûne, la prière, la continence ». Voyez Étude d'Iconographie chrétienne en Russie, par J. Dumouchel, d'après Bouslaief (Moscou, 1874).

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