Quoique que l'on en dise, l'argent n'est pas un dieu; mais il pourrait bien pourtant passer aujourd'hui pour son ministre responsable. Le passé ressemble à un cadavre. On peut le disséquer sans craindre les cris de la victime. Quant au présent il est tout palpitant de vie et par cela même susceptible de s'irriter contre toutes blessures. Aussi les historiens qui s'occupent de leurs contemporains montrent-ils passablement de courage. Peu exploitent le passé, cet entrepôt de l'expérience. Ne dirait-on pas que l'avenir nous attire constamment vers lui pour nous empêcher de regarder en arrière. Les illusions sont les fleurs trop hâtives de l'imagination. Elles se flétrissent d'autant plus promptement qu'elles sont souvent cueillies sur le chemin des déceptions. La jeunesse les chante, la vieillesse les pleure. UNE VISION SUR LA JETÉE DU HAVRE PAR M. A. DOUSSEAU Membre Résidant Laissons Paris vanter ses riches boulevards, Ses gondoles, son Rialto, A Naples sa Chiaïa, sa strada Toledo Toujours si bruyante, agitée ! A Berlin son Linden, à Madrid son Prado, Le Havre y court! de là nous nous plaisons à voir Le matin s'éclaircir et s'embrunir le soir; A contempler, de Fattouville à Dive, De ce bon pays bas-normand, Qui disparait vers le couchant, La rade et sa marine, et la Hève et la rive; Pour le Havrais c'est un tableau Toujours intéressant, nouveau ! Brouillard glacé, brise enrhumée Parfois imprudemment humée, Vents furibonds, grains et frimats, Quand vient l'heure de la marée Au coin du feu ne nous retiennent pas ! Nous aimons l'orgueil du trois-mâts Voguant majestueux ; — la flotille amarrée Au remorqueur quittant notre pirée, Et qui semble honteux d'un pareil embarras. -Tel le jeune cheval, peu fait à cette peine, S'indigne du fardeau qu'il traine. - - C'est un plaisir que voir le véloce steamer Qui s'impatiente, qui fume, S'élance, et laisse au loin la bouillonnante écume ; Et les vastes flancs du Clipper, Et la gracieuse goëlette A taille fine, à voilure coquette; Et, gai comme un dauphin, se joue Se précipite sur sa proie. Ces scènes font souvent ma joie ! J'aime aussi le soleil baignant son disque ardent Et de ses derniers feux embrâsant l'occident. J'aime à voir la voûte éthérée D'astres scintillants diaprée; Innombrable troupeau qui monte au firmament Puis s'engloutit dans l'océan ; J'aime l'ondée, alors qu'elle varie Et tempère l'éclat d'un long jour de chaleur : Parfois ainsi femme jolie L'est plus encor par sa mélancolie: La rosée embellit la fleur; Beaux yeux qui versent douces larmes D'azur, d'éméraudes et d'or. -- J'aime un vaisseau fuyant dans un horison glauque, Et la plage sonore, et sa voix rude et rauque; Du galet le rugissement Lorsque la bondissante houle Le heurte, le pousse, le roule Et s'amuse de son tourment; On dirait le lion que l'esclavage oppresse! - Cet oasis délicieux Que couronne une forteresse; C'est un bijou que garde un dragon sourcilleux; De là vers l'orient la côte d'Ingouville Se soulève, charmante ! et protège la ville Des chances de la mer brave calculateur: Il oublie aisément les soucis de Mercure ; |