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CHAPITRE PREMIER.

DU GROUPE HYPERMAJEUR OU AMBITION.

S'il fallait apprécier chaque passion d'après les diatribes de la philosophie, nous devrions placer l'Ambition au dernier rang. Il paraît que Dieu en juge tout autrement, car il donne à l'ambition le premier rang parmi les 4 affectives. Expliquons régulièrement sa primauté.

L'ordre majeur a le pas sur le mineur, par la même raison que le måle est supérieur à la femelle, et comme parmi les 2 groupes majeurs celui d'ambition l'emporte sur celui d'amitié, c'est le groupe d'ambition, lien corporatif, qui est le 1er des 4, en dépit des sophistes qui voudraient loger l'ambition au dernier rang, et nous enseigner à mépriser les richesses perfides et le pouvoir, qu'ils ne méprisent guère.

« Nous ne sommes point si ridicules, répondront-ils nous voudrions, au contraire, exciter les ambitions nobles qui entraînent un vrai citoyen, comme Décius, à faire le sacrifice de sa vie pour le bien de la charte. » Mais si la morale veut que les citoyens aient la noble ambition de s'immoler au bien de tous, elle veut donc l'accord de 7e en ambition; tel est le rang que tient, en gamme, le dévouement des Décius et des Léonidas; on prouvera aisément à la morale que, sur d'autres points, elle veut aussi des accords de 8e Y et 8e 1, 6o, 5o, 4o, 3o, 2o, 1re; qu'enfin elle veut la gamme entière d'ambition harmonique. Dès-lors, que signifient ses diatribes contre l'ambition? Elles prouvent que la philosophie est en contradiction perpétuelle, disant d'une part qu'il faut être ennemi de soi-même, réprimer son ambition, et d'autre part qu'il faut aimer les ambitions des 8 degrés nobles; n'eût-il pas été plus régulier de classer les ambitions en harmoniques ou nobles, et en subversives ou ignobles, afin de pouvoir dire : Voilà l'échelle du bien à faire, voilà l'échelle du mal à éviter? On n'a pas voulu procéder à ce classement des degrés passionnels; on aurait bien vite reconnu que toute l'échelle du mal est engendrée constamment par les coutumes et relations civilisées, et que, pour arriver à l'échelle du bien, il faut organiser une société autre que la Civilisation perfectibilisée, qui n'engendre que les 8 accords d'ambition malfaisante ou subversive.

Au lieu de procéder ainsi, les philosophes, confondant les 2 échelles, veulent nous faire aimer indistinctement l'une et l'autre, car ils nous disent: Aimez la Civilisation et la Barbarie, qui n'engendrent que la gamme entière des ambitions vicieuses et des amitiés vicieuses; puis ils nous disent Aimez les ambitions nobles et les amitiés nobles, qui sont

impraticables dans l'état civilisé et barbare. Voilà le thème de la philosophie, toujours prêchant le pour et le contre à la fois, toujours engagée dans un océan de divagations morales, qui, en dernière analyse, veulent que l'homme soit blanc et noir, et qu'il serve à la fois Jésus et Bélial, qu'il aime l'auguste Vérité, et qu'il aime aussi le Commerce, où il faut mentir à chaque parole, sous peine d'être ruiné. Combien d'absurdités la philosophie se serait épargnées si elle eût, selon ses propres avis, procédé à l'analyse de la nature, distingué le mouvement social en harmonique et subversif, tel qu'on le voit dans l'univers, dans les planètes et dans les comètes, et distingué de même les passions en échelle harmonique et échelle subversive, dont le seul parallèle aurait mené à conclure que si les sociétés civilisées et barbares n'engendrent, en passion, que les échelles subversives, elles sont évidemment des sociétés de mouvement subversif dont il faut chercher l'issue.

Venons à l'objet spécial de ce chapitre, au groupe d'ambition. C'est peut-être celui des 4 groupes sur lequel il règne le plus de préjugés. Ils naissent pour la plupart de ce que la science confond les ambitions nobles ou germes d'harmonie avec les ambitions subversives ou germes de discorde et de cupidité, qui dominent en plein dans le mécanisme civilisé.

Nous n'envisageons ici l'ambition qu'en impulsions harmoniques; je donnerai un chapitre sur les impulsions subversives de l'ambition et des 3 autres groupes.

Essayons d'abord de nous concilier avec les grammairiens et synonimistes. Cinq mots se présentent pour dénommer la ligue d'ambition ou groupe hypermajeur. Faut-il l'appeler groupe d'ambition, groupe d'honneur, groupe de sectisme, groupe d'ascendance, groupe de corporation, je ne sais lequel choisir la langue française est si sujette aux équivoques et ambiguités qu'il serait impossible de nommer exactement le groupe hypermajeur si on voulait se borner à un seul des cinq mots précités. Le mot honneur, groupe d'honneur paraît paraît le plus convenable pour désigner les ambitions d'Harmonie qui s'accordent toujours avec l'honneur ; j'emploierai souvent ce nom, sans pour cela m'interdire l'usage des 4 autres, qui, dans divers cas, sont plus caractéristiques.

L'honneur devrait être la passion favorite des philosophes, car c'est celle qui entraîne un homme à mourir et perdre le corps pour illustrer l'âme, comme firent les Décius et les Régulus, les Léonidas, les Codrus, etc. Si les philosophes estiment cette noble affection dans laquelle on sacrifie le corps à l'illustration de l'âme, ils doivent bien haïr la Civilisation, qui n'accorde l'honneur qu'à ceux qui ont la richesse, et n'est qu'un système de persécution générale contre tout homme fidèle aux lois du véritable honneur. Quelques exceptions très-rares confir

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ment la règle. On voit quelques hommes d'honneur et de probité récompensés, mais on voit toujours au chemin de la fortune vingt et trente intrigants pour un homme d'honneur.

L'Ambition est la passion dont l'essor est le plus immense dans l'État civilisé, elle seule dès à présent embrasse le globe entier dans ses plans. Un officier ne veut d'abord que s'avancer au grade de capitaine, puis à celui de colonel et de général; peu à peu il veut une principauté, un royaume, un empire, enfin toute la terre. Si cette passion est insatiable dans les individus, elle l'est bien plus encore dans les corporations, dont l'esprit se transmet héréditairement, tandis que les ambitions individuelles s'éteignent d'ordinaire avec l'individu.

Cet esprit d'influence universelle sera commun à toutes les passions et corporations d'Harmonie. On blâme parmi nous cette manie d'universalisme, il eût bien mieux valu étudier les moyens de la satisfaire; car le plus heureux événement qui eût pu arriver sur ce globe, c'eût été qu'un souverain ou une corporation eussent envahi toute la machine ronde; il en serait résulté un progrès très-heureux en échelon social, et un avènement du genre humain en 6e période, quelque vicieux qu'eût été l'individu ou la corporation qui aurait envahi le sceptre du globe.

On n'a pas pu raisonner sur les résultats d'une telle conquête, puisque jamais conquérant n'a possédé seulement le quart du globe en population; mais il est certain que du moment où une autorité quelconque aurait dominé sur le globe entier, elle n'aurait eu d'autre intérêt que d'y maintenir la paix universelle et la libre circulation, adoucir le fardeau des impôts afin de prévenir les soulèvements, et pouvoir diminuer la dépense des armées qui obère les peuples sans enrichir le souverain. Cette spéculation aurait métamorphosé, en plein, toute la politique civilisée, et le cabinet le plus oppresseur serait devenu le plus libéral par excès d'ambition.

Il est bon de débuter par cette remarque pour signaler l'ignorance de notre siècle sur ce qui touche à l'ambition. Si on eût dressé la gamme des accords de cette passion, l'on aurait reconnu que les 2 accords de 8o ne peuvent s'établir que sur une possession du globe entier, une réunion de tous ses empires sous un même sceptre. Comment donc ces philosophes, qui veulent que tout le genre humain soit une famille de frères, osent-ils diffamer ceux qui veulent faire l'opération préliminaire de cette fraternité en réunissant toute la famille sous un gouvernement unitaire ! Je prétends qu'on diffame les Unitéistes, et, pour preuve, on a jeté beaucoup trop de ridicule sur l'abbé de Saint-Pierre, qui faisait des rêves politiques sur l'unité et la paix perpétuelle. Qu'on l'eût badiné sur ses moyens illusoires, on en avait bien le droit, car son plan était, quant aux voies d'exécution, le suprême ridicule; mais on devait approuver

le principe et le but, et adjurer le génie d'inventer des méthodes plus efficaces pour parvenir à l'unité.

J'avoue que la conquête est une voie odieuse, mais elle est encore meilleure qu'une prétendue philantropie qui, n'établissant point de lien unitaire, laisse les peuples dans un état de guerre périodique où les paix partielles ne sont autre chose que des trèves. Guerre pour guerre, ne vaut-il pas mieux utiliser le fléau que de le perpétuer inutilement ? Or, quel était le moyen de rendre la guerre profitable au genre humain? C'était de l'employer à établir l'unité universelle; une telle guerre aurait été la dernière, et, sous ce rapport, elle serait devenue voie de salut général, comme l'instant de souffrance par lequel un chirurgien nous guérit d'une maladie invétérée.

La conquête violentée ou simple n'était pas le seul moyen d'aller au but; il existe, dans l'état actuel de la Civilisation, 2 voies de douceur : le monopole composé et la conquête composée, qui auraient conduit rapidement à l'unité administrative du globe et aux bienfaits sans nombre qu'elle devait produire. On arrivera bien plus promptement à cette unité par l'association, puisque tout particulier qui peut réunir et associer 80 familles villageoises, fondera, au bout d'un an, l'Unité du globe; mais, abstraction faite de ce moyen, et à ne spéculer que sur les voies déjà connues en Civilisation, comme la conquête et le monopole, il est certain qu'on aurait pu en tirer parti si nos philosophes, moins rétrécis dans leurs vues, avaient su discerner les beaux côtés de ces prétendus vices, les développements dont le monopole et la conquête sont susceptibles quand on les élève du mode simple au composé.

Au lieu de s'adonner à cette étude, ils se sont répandus en déclamations et lieux communs de morale contre ces 2 leviers d'unité; ils ont diffamé à l'envi le monopole et la conquête. Les uns ont tonné contre la cupidité insatiable et dévorante de la perfide Albion. Ce sont des sots qui auraient dû voir qu'Albion péchait par défaut de cupidité, et ne savait pas faire un plan pour envahir le sceptre du monde par monopole composé. D'autres ont critiqué Bonaparte sur ce qu'il manifestait le projet d'envahir le monde entier. Il n'y avait que cela de sensé dans ses vues, sauf les ressorts à mettre en jeu, sauf l'emploi de la conquête composée, que ni lui ni ses philosophes ne savaient inventer.

Reconnaissons donc d'abord qu'aucune passion n'est moins connue que cette Ambition contre laquelle on tant vociféré; je ne veux pas ici en donner l'échelle détaillée, je me bornerai à des notions générales.

On a vu (2o rose vif piqueté, 144) que les ressorts ou principes radicaux de l'Ambition et de ses groupes sont:

1° L'affinité spirituelle ou ligue et entreprises pour la gloire.

2o L'affinité matérielle ou ligue et entreprises pour le pouvoir. Chacun de ses 2 ressorts peut se subdiviser en 2 leviers, selon l'ob-. servation faite (2o rose vif piq.) *.

Ainsi la gloire peut avoir pour véhicules, soit le levier interne ou d'amour propre, d'illustration personnelle, soit le levier externe ou de philantropie et d'[

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La ligue de pouvoir agit de même par 2 impulsions: la tendance à l'autorité et la tendance aux richesses; car, qui jouit de l'autorité veut les richesses, et qui a les richesses veut les honneurs, l'autorité. Ces 2 leviers, richesse et autorité, qu'on ne peut pas séparer, forment le 2o ressort ou principe radical d'ambition.

Les tableaux donnés précédemment sur la vue et l'amitié ont dû habituer le lecteur à dresser une table d'accords passionnels; il peut s'exercer sur celle des accords d'ambition, en observant les règles indiquées pour l'échelle d'amitié (2e rose vif piq., 163).

Pour le mettre sur la voie, je déterminerai, au chapitre suivant, les accords d'ambition harmonique et d'ambition subversive, je les indiquerai sur 2 gammes, pour mieux frayer le chemin aux amateurs qui voudront s'exercer sur ces problèmes.

[Variante les paragraphes qui suivent venaient, page 4 du manuscrit, après les mots ci-dessus : On a vu (2o rose vif piqueté), mais Fourier ayant reporté cette phrase à la page 7, et l'ayant fait suivre des paragraphes qui se terminent par ces mots : sur ces problèmes, les paragraphes suivants sont restés sans emploi et sans indication de la place qu'ils devaient occuper. Nous les intercalons ici comme variante, en faisant observer qu'après avoir d'abord indiqué le dévouement de Décius et de Régulus comme un accord de prime, Fourier le qualifie d'accord de septième, sans cependant effacer les mots de prime dans les lignes suivantes, si ce n'est dans la dernière phrase, ce qui, avec le défaut d'indication d'emploi de ce passage, semble indiquer qu'il avait mis de côté cette portion de son travail, que nous rétablissons néanmoins, en donnant sur cette variante le texte primitif et le texte actuel. A la page 20 il place le dévouement de Décius à l'accord de 7e.]

-Si on veut examiner l'ambition en essor subversif, les ressorts seront changés le 1er, au lieu d'être une ligue pour la gloire, deviendra une ligue pour la jonglerie et l'obscurantisme; le 2o, au lieu d'être ligue pour l'avancement par des voies honorables, deviendra cabale pour le pillage et le despotisme; mais j'ai observé et je répète que nous examinons ici les groupes en essor harmonien et non en subversif. Ce qui

* Nous donnerons ce cahier dans une des prochaines livraisons. (Note des Editeurs.)

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