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ne peut pas opérer le bien, tant qu'on agit sur des individus et par l'entremise des individus; il faut avant tout former le corps social en groupes ou corporations industrielles et voluptueuses. Hors cette mesure, il n'y a aucun bien à espérer en aucun genre. Si Dieu a préféré l'action collective à l'action individuelle, il a dù décréter que le bien résulterait de l'action collective et le mal de l'action individuelle. Faut-il s'étonner d'après cela que nos entreprises les plus sages, comme celles qui ont pour objet la charité, n'aboutissent qu'à perpétuer les fléaux qu'elles essaient de pallier. Quand Dieu veut quelque chose, il ne veut pas à demi; et, s'il a décrété que vous serez pauvres tant que durera l'ordre incohérent, tant que dureront les huit sociétés à famille incohérente, ce serait en vain que chaque riche se priverait du superflu, se saignerait pour secourir les malheureux. Un tel dévouement ne servirait qu'à augmenter le dédain du travail et le nombre des pauvres, tant il est impossible aux civilisés d'échapper à la malédiction de Dieu, s'ils ne sortent pas de la Civilisation.

Mais pour en sortir, soit par l'affranchissement des femmes, soit par l'affranchissement des industrieux, il fallait d'autres guides que les philosophes; j'ai observé qu'ils sont trop insouciants envers les industrieux, et trop tyranniques envers les femmes; d'autre part, les femmes civilisées sont trop serviles, trop fausses et trop façonnées à ramper, pour concevoir les opérations qui conduisent à l'affranchissement de leur sexe. D'ailleurs, ces opérations ne s'accorderaient point avec les dogmes du catholicisme qui domine dans toute l'étendue des régions civilisées, et les préjugés qu'il fait régner même parmi les philosophes ses ennemis, sont un des plus grands obstacles au développement du génie politique. C'est pour avoir été trop cagots que les philosophes ont échoué dans maintes entreprises.

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Il faut admettre des exceptions aux règles générales en affaire de religion comme en toute autre; et, outre les exceptions pour les cas prévus, il faut réserver des exceptions à établir pour les cas imprévus. Voilà une vérité à laquelle l'orgueil des moralistes ne put jamais se plier. Chacun d'entre eux que la nature humaine se déforme sans cesse pour se plier aux caprices de chaque écrivain, et, si l'on veut les en croire, il faudra, dans une année où ils auront produit 50 traités de morale, que la nature humaine change 50 fois pour se façonner aux caprices des 50 empiriques.

vent

D'après cela faut-il s'étonner que la Civilisation qui a la faiblesse de souffrir ces charlatans ait produit des lois aussi ridicules que leurs systèmes, témoin la loi Is pater est quem justæ demonstrant nuptiæ. Qui de vous, messieurs les civilisés, n'a pas haussé les épaules en lisant cette loi, et qui de vous s'abstiendra d'un quolibet à la vue du père supposé qui est forcé par la loi à adopter un enfant qui n'est pas de lui, un enfant sur le front duquel la nature a gravé le nom du véritable père? Car il est dans la plupart des familles de ces enfants qui, sans être mulâtres, portent des signes irrécusables de leur origine, et loin qu'on puisse remédier à cette loi ridicule qui contraint l'époux à les adopter, toutes les opinions sont réunies pour sanctionner son infamie. Il a contre lui tout le sexe féminin qui est essentiellement ligué pour soutenir la

tricherie, et tous les jeunes gens qui vivent avec les femmes d'autrui, tous les vieillards qui, ayant éprouvé dans le temps cet affront, jugent convenable d'en maintenir la légalité; enfin tous les maris bénévoles qui, trouvant de la douceur à se laisser duper par les cajoleries de leurs femmes, repoussent tous les doutes sur l'origine des enfants et hésitent à se croire trompés. Eh! comment les maris si intolérants sur la liberté de leurs femmes s'accordent-ils si débonnairement à héberger des bâtards évidents, des fruits d'adultère, à associer ces bâtards dans leur nom et leur bien, quand ils proviennent évidemment d'une greffe étrangère? Ainsi, le seul cas où la femme soit coupable c'est celui où elle jouit de la protection des lois, et le seul cas où l'homme soit opprimé, c'est celui où il courbe avec sérénité son front sous le joug.

Voilà donc les vœux de la morale accomplis: c'est vraiment dans le mariage que les hommes composent une famille de frères, où les biens sont communs à l'enfant du voisin comme au nôtre. La générosité de ces honnêtes maris civilisés sera dans l'ordre combiné un sujet de rire inextinguible, et il faudra bien quelques pages récréatives pour aider à soutenir la lecture de vos annales si souvent écrites en lettres de sang.

"C'est ainsi que l'on tombe dans tous les ridicules quand on veut n'admettre aucune exception à des règles générales. Dire que toutes les femmes seront fidèles parce que la loi leur ordonne d'être fidèles, dire que tous les enfants sont du mari parce que la loi les lui adjuge tous, n'est-ce pas le comble de l'absurdité? N'est-il pas également absurde de prétendre que toute religion et toute secte peut s'accommoder avec un ordre établi, pourvu qu'elle se masque d'une feinte obéissance aux lois? Mais les philosophes pouvaient-ils entendre à quelque raison dans une affaire où ils ne songeaient qu'à exercer leur haine contre la religion catholique en protégeant des usuriers?

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Je dis qu'avant 1789 la Civilisation aurait été anéantie du moment où les Russes, réunis aux Polonais, auraient pu conquérir l'Allemagne et par suite la France qui n'avait alors aucun nerf. Croit-on qu'après cette conquête les Russes se seraient civilisés, croit-on qu'ils auraient imité les Tartares qui s'identifient aux Chinois après les avoir conquis? Non : les Russes ne seraient pas venus s'ensevelir dans l'Occident comme les Tartares en Chine. Leurs vicerois se seraient amusés quelques années du luxe de Paris, Vienne et Rome; ils auraient transporté nos musées et nos comédiens dans le Nord, où les arts auraient décliné rapidement chez un peuple à demi-sauvage. La Russie, qui se serait vu obligée de tenir en bride l'Europe et l'Asie, aurait entretenu la férocité chez son peuple destiné à museler le globe; sa cour aurait pris des mœurs mi-parties de celles d'Europe et d'Asie, elle aurait comprimé l'Europe remuante et dangereuse, elle aurait réduit nos capitales à la médiocrité pour ne les plus redouter, et son empire, trop vaste pour se soutenir avec un pareil système, aurait encore subsisté assez long-temps pour éteindre doucement et insensiblement la Civilisation.

MANUSCRITS DE FOURIER.

FRAGMENTS.

SOMMAIRE.

I. Insuffisance de l'aumône.

II. Les trois dégénérations.

III. Hypothèse d'une critique judicieuse sur le prospectus des Destinées,

ou théorie des quatre mouvements.

IV. Brouillon de la note sur la pauvreté du globe.

V. Causes du retardement de notre globe.

VI. Sur la formation des comètes.

VII. Sur la sagesse positive et la sagesse négative.
VIII. Sur le Messie.

I. INSUFFISANCE DE L'AUMONE.

(1530 pièce, cote supplémentaire.)

Outre les quatre fonctions positives dont j'ai parlé (p. 403), politiques et moralistes, vous en aviez de négatives dans lesquelles vous auriez servi la raison, sans donner une impulsion active au mouvement. Vos attributions négatives se divisent en deux branches.

1° Constater l'inconvenance de la Civilisation avec la nature de Dieu et de l'homme;

2o Constater l'insuffisance des méthodes politiques et morales pour trouver un meilleur ordre que la Civilisation;

C'est-à-dire qu'il fallait dénoncer l'égarement universel, vous dénoncer vous-mêmes comme guides et auteurs de cet égarement et dénoncer votre ouvrage comme preuve irrécusable de l'égarement, montrer dans l'ordre civilisé un persifflage méthodique de la nature contre le genre humain qu'elle met dans l'impossibilité de tenter le bien, car les tentatives mêmes sont ridicules en fait de bien, témoin la charité.

La charité! elle est impossible par l'immensité des misères que nulle aumône ne peut faire disparaître; elle est de plus dangereuse, en causant la répugnance du travail dont le peuple est détourné quand il trouve des aumônes ahondantes. Il y a de plus impossibilité de discerner les vrais pauvres d'avec les intrigants. Aussi est-on obligé de proscrire la charité, et de réduire le pauvre en servitude dans des ateliers industriels. Quant aux secours à domicile pour les indigents qui ne mendient pas, jamais ces secours ne s'étendraient à la 10° partie des personnes qui en ont besoin. C'est ainsi que la Civilisation tombe dans le ridicule et l'impuissance jusque dans ses entreprises les plus louables, comme celle de secourir l'indigent. En résumé:

La charité est impossible au corps social en masse: les froissements politiques ruinent 10 fois plus d'individus que l'état n'en peut secourir. La charité est dangereuse dans l'exercice individuel, parce qu'elle provoque la paresse et la mendicité.

La charité est ridicule même en précepte, et pour preuve voyons à quoi conduirait l'observation stricte du précepte: faites à autrui ce que vous voudriez qu'on fit pour vous-même.

Des pauvres diront à un homme riche: « vous avez cent mille écus; si vous n'aviez rien, pas même de pain, vous seriez bien aise qu'un homme riche vous donnât un écu, daignez donc nous faire cette libéralité, vous le pouvez et vous le devez selon le précepte moral: faites à autrui, etc. » Si l'homme riche se rend à ces raisonnements, il trouvera dans la seule ville de Paris 50 mille infortunés qui lui tiendront le même langage, et, quand il les aura satisfaits, sa fortune se trouvera réduite à moitié, à 50 mille écus au lieu de 100.

Au bout d'une semaine les indigents viendront renouveler le même argument; mais comme la fortune du riche sera réduite à moitié, ils ne demanderont qu'un demi écu, puis la semaine suivante un quart d'éeu, que ce riche devra leur donner s'il veut suivre le précepte moral : faites à autrui. D'arguments en arguments, il se trouvera bientôt réduit à la mendicité pour l'honneur d'un précepte, comme les Colonies françaises furent réduites en cendres et inondées de sang pour l'honneur des principes moraux sur les nègres, et comme les provinces orientales de France ont été presque réduites en servage usuraire, pour l'honneur d'un principe moral sur les juifs.

Ces complications de ridicules théoriques et pratiques se trouvent dans toutes les branches du mécanisme civilisé, en quelque sens qu'on l'organise. La dénonciation de tant d'absurdités était l'attribution des philosophes et composait leurs fonctions négatives, qu'ils n'ont pas mieux remplies que les positives.

II. LES 3 DĖGĖNĖRATIONS.

(Mome pièce, cote supplémentaire.)

Indice : La gradation illimitée du mouvement social par les périodes Sauvage, Barbare et Civilisée, et le refus de gradation qu'opposent les Sauvages et les Barbares.

S'il n'existait qu'un mécanisme social sur toute la terre, on pourrait présumer qu'il est l'unique destinée du genre humain, mais l'humanité s'étant élevée de l'ordre Sauvage au Barbare et du Barbare au Civilisé, elle est évidemment en marche progressive et l'on ne sait pas où s'arrê tera cette marche. On a vu naître successivement 5 ordres sociaux, dont 2 sont éteints, le Patriarchat, 3o, et la Phanérogamie, 1; mais n'eut-on vu se former que les 3 sociétés existantes, ce serait un indice qu'il en peut naître une 4o, une 5o, une 6o, etc., et que l'on doit procéder à la détermination des divers mécanismes sociaux dont l'établissement est possible, et organiser le meilleur lorsqu'on les connaîtra tous.

Voilà un argument que repoussent obstinément les Politiques et Moralistes. S'ils converraient qu'on peut et qu'on doit rechercher de nouveaux mécanismes sociaux meilleurs que la Civilisation, ce seul aveu frapperait de nullité toutes leurs théories: on les accuserait d'incapacité et de charlatanerie, jusqu'à ce qu'ils eussent résolu le problème: dès-lors ils perdraient leur considération, leurs honneurs académiques et, qui pis est, la vente de leurs livres. La perspective d'une telle disgrace les épouvante, et ces prétendus amis de la vérité, pour cacher leur insuffisance, s'accordent à vanter la Civilisation comme perfectionnement de la raison et terme ultérieur des destins sociaux.

S'il est vrai que l'ordre civilisé soit la destinée ultérieure des sociétés humaines, comment se fait-il que cet ordre soit répugné des Barbares qui composent les 3/4 de la population laborieuse, répugné des Sauvages qui occupent les 3/4 du territoire cultivable, et répugné enfin de la classe industrieuse qui compose les 3/4 de la Civilisation? Cette classe tend continuellement aux brigandages et formerait partout des hordes sans la crainte des gibets. Voilà dans la Civilisation des propriétés bien bizarres.

Elle est répugnée des Barbares, qui sont trois fois supérieurs en

nombre;

répugnée des Sauvages, qui sont 3 fois supérieurs cn territoire;

répugnée de son peuple même, qui compose les 3/4 du corps social.

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