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En résumé, les amis, les adhérents de la Civilisation composent à peine un vingtième du genre humain, car

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En tout dix-neuf vingtièmes du genre humain qui se refusent à la Civilisation. Si après cela l'on persiste à croire qu'elle soit notre destinée, comment expliquer cette répugnance invariable que Dieu inspire à l'immense majorité des humains pour cette prétendue destinée? Comment se fait-il en outre que la classe infiniment petite qui est consentante à la Civilisation soit continuellement dévorée d'inquiétudes, pétrie de tous les vices qu'elle condamne, et rongée de désirs même au faîte des richesses qui sont l'objet de l'ambition universelle? Comment se fait-il enfin que cette classe soit la moins robuste du globe et que ses lumières aboutissent à lui ôter la santé qui est le premier des biens et l'enseigne de toute perfection sociale?

Observons plus en détail l'effet de ces prétendues lumières qui donnent pour résultat la dégradation physique, morale et politique des sociétés qui les possèdent.

1° Dégradation physique des civilisés. Le premier affront que Dieu fasse à nos sciences incertaines, c'est de nous priver de la vigueur accordée aux Sauvages qui n'ont aucune notion d'art social, et qui dégénèrent eux-mêmes par communication avec nous; nous leur portons des vices et des maladies sans leur porter de remèdes, et l'on sait que toutes les hordes voisines de nos colonies s'abàtardissent en très peu de temps. On a trouvé les plus belles hordes là où nous n'avions jamais pénétré. Les relations nous apprennent que les Sandwickois atteignaient communément à l'âge de 100 ans, sans avoir le front sillonné d'aucune ride, et que les Otahitiens à l'époque de la découverte étaient d'une stature bien supérieure à la nôtre, quoiqu'ils vécussent dans la mollesse sous un climat brûlant où ils ne s'occupaient que d'amourettes et d'insouciance. Aussi, passèrent-ils bien des années sans pouvoir comprendre ce que c'était que le mariage. Combien toutes ces belles hordes ont dégénéré depuis qu'on leur a porté notre perfectionnement philosophique et nos maladies! Pourquoi avoir troublé ces petites peuplades qui vivaient contentes, quand elles ignoraient nos coutumes ? Quelle est donc cette frénésie de prosélytisme qui tourmente les Civilisés, puisque tout retentit chez eux des cris de mal être? Pourquoi faire partager leur sort à quelques petites nations qu'on n'avait aucun besoin de troubler? Quand nous les associons sans motif à nos malheurs, n'imi

tons-nous pas le tigre qui, après avoir assouvi sa soif de sang, égorge encore tout ce qu'il rencontre pour le seul plaisir d'égorger?

J'avouerai que la plupart des Sauvages soumis avaient besoin d'être contenus et morigénés, car ils sont généralement de la méchante canaille comme les Civilisés; mais, malgré notre jactance sur l'amélioration de leur sort, il demeure constant que toute horde dégénère aussitôt qu'elle entre en commerce avec nous, et nos colonies les plus vantées, les plus bouffies de morale, comme la colonie du cap de Bonne-Espérance, opèrent encore la dégradation physique des hordes voisines : témoin les Hottentots qu'on estime réduits à moitié de leur vigueur primitive, tant ils sont abâtardis par l'inoculation de nos maladies et par les cruautés inouïes qu'exercent sur eux les Hollandais.

Si la perte de vigueur est le premier châtiment des peuples qui s'écartent des vues de la nature, on doit penser que le recouvrement de la vigueur sera le premier résultat de l'ordre social qui est le vœu de la nature. A l'appui de ceci, je démontrerai que dès la première génération chaque individu élevé dans les sectes groupées atteindra à une force et une longévité triples de la nôtre, et que l'espèce humaine, se régénérant successivement, atteindra, au bout de neuf générations, à un terme commun de cent quarante-quatre ans de vie, terme qui sera trop court encore pour parcourir l'immense variété de jouissances qu'offrira le nouvel ordre à tous les individus.

2o Dégradation politique. Elle se fonde sur la ténacité de l'indigence. Plus nous augmentons les progrès du luxe, plus nous aigrissons le mal-être de la classe pauvre qui voit le luxe à ses côtés et qui, loin de pouvoir atteindre seulement à la médiocrité, n'a aucun moyen de se procurer le travail et la subsistance.

Tout progrès du corps social devient illusoire, si la classe pauvre qui forme le grand nombre n'y trouve aucun avantage, car le riche à son tour retombera dans cette classe indigente; ses enfants mendieront peutêtre aux portes du palais qu'il habite, et jamais ces chutes ne furent plus à craindre que depuis le fatal triomphe de la philosophie. Elle a ouvert en 1789 un volcan révolutionnaire dont la première explosion en présage bien d'autres, quoiqu'il soit momentanément assoupi. De toutes parts les luttes politiques des princes prennent les caractères de guerre civile et d'attentat aux propriétés et aux personnes. Déjà les voyageurs sont arrêtés et incarcérés à chaque déclaration de guerre; les [ sont saisies et [ ]. La Russie menace en Pologne de confisquer les biens de ceux qui hésiteront à se prononcer, à payer de leur personne. Ailleurs on voit l'Angleterre méditer hautement la saisie des capitaux qu'elle tient en dépôt du continent. Ainsi les droits de propriété et de sûreté personnelle sont de moins en moins res

pectés, et c'est le plus grand signe de décadence dans le corps social. L'audace jacobite ayant habitué à voir fouler tous les principes, on se croit aujourd'hui très modéré en usant de mesures révolutionnaires, dont la seule idée eût fait frémir il y a vingt ans. Et qui sait jusqu'où s'étendraient ces mesures, si la coalition anglo-russe obtenait quelques avantages qui menaceraient les trônes des nouveaux souverains?

Heureusement pour l'Occident, il possède un chef capable de tenir tête à tous les orages; mais abstraction faite de cette circonstance, tout affaiblissement de la France causerait des querelles si envenimées, qu'on verrait renaître partout le principe oppresseur : « Tout ce qui n'est pas pour nous est contre nous. » Dès-lors chaque propriétaire obligé à se prononcer verrait son patrimoine joué aux dés dans les batailles.

Nous frisons de si près un tel danger, qu'il faudrait être eunuque pour ne pas apprécier l'horreur de cette position et l'évidente dégénération dont elle frappe le corps civilisé. Il est en déclin sensible, puisqu'il est plus que jamais en proie à l'indigence et menacé de révolution. L'empirisme philosophique a fait à la Civilisation des plaies qu'elle ne peut plus fermer. En effet, elle n'aurait de salut (si l'ordre combiné essuyait des délais) que dans l'unité fédérale qui n'est pas un caractère de Civilisation, mais de sixième période, et la naissance de cette unité serait une dérogation à l'ordre civilisé, un engrenage en sixième période. Or, comme la Civilisation se trouve forcée à cette mesure, on peut dire qu'elle est blessée sans remède et réduite à appeler son ennemi naturel, la sixième période, pour s'arracher au venin révolutionnaire que ses philosophes lui ont inoculé.

3o Dégénération morale. - Celle-ci est trop notoire pour qu'il soit besoin de s'étendre en démonstrations. Il convient pourtant de préciser le sens que j'attache aux mots de dégénération morale.

La Civilisation, comme toute autre période sociale, a ses quatre phases enfance, accroissement, déclin et caducité. Chacune de ces quatre phases a un germe et un ordre dominant. La première phase a pour germe la demi-liberté des femmes ou le mariage qui est porte d'entrée en Civilisation. Cette phase a pour ordre dominant l'esclavage des industrieux, ainsi qu'on l'a vu chez les Grecs et Romains. Sa deuxième phase a pour germe la féodalité agricole et pour ordre dominant la liberté des industrieux, telle qu'on l'avait établie depuis long-temps en Angleterre. La troisième phase a pour germe les monopoles coloniaux et pour ordre dominant la licence commerciale, telle qu'on la voit régner aujourd'hui dans toute l'Europe, où le corps commercial jouit de deux privilèges fort étranges.

L'un est de diriger à sa volonté le mouvement des capitaux, de les faire entrechoquer par une manœuvre qu'on nomme agiotage,manu

vre qui s'exerce également sur les denrées et qui spolie la classe productive pour enrichir le commerçant qui est improductif et agent intermédiaire dans l'ordre industriel.

L'autre privilège est de pouvoir impunément voler au public des sommes immenses et indéterminées par une manœuvre qu'on nomme banqueroute, faillite, etc., manœuvre contre laquelle il existe quelques lois si illusoires que toute banqueroute préparée avec les précautions d'usage obtient un succès infaillible.

On me fera observer que ces deux coutumes d'agiotage et de banqueroute existaient déjà chez les Grecs et Romains, qui n'étaient qu'en première phase de Civilisation; cela est vrai, mais la licence commerciale n'était pas chez eux boussole de la politique générale. Elle l'est devenue aujourd'hui; c'est ce que démontrera l'analyse de la Civilisation actuelle.

L'agiotage et la banqueroute ne peuvent plus avoir lieu dès la 6o période: une seule opération les extirpe et les prévient sans retour, et cette opération, loin d'apporter aucune entrave à la liberté des relations, leur assure beaucoup plus d'étendue et d'activité qu'elles n'en ont aujourd'hui.

Si le règne de la licence commerciale constitue la dégénération morale des civilisés, ce n'est pas qu'elle augmente leurs vices favoris, comme la vénalité des juges, l'infidélité des traitants, etc. De tout temps, les civilisés ont, à peu de chose près, été aussi méchants qu'ils sont aujourd'hui, et il ne faut pas croire à ces faiseurs de phrases qui nous vantent les Grecs et les Romains, gens aussi méprisables que nous. La licence commerciale cause la dégénération morale par trois raisons :

4° Elle précipite chaque état souverain dans les dettes publiques, puis dans tous les genres de désordre qui naissent de l'accumulation des dettes publiques, notamment les révolutions;

2o Elle avilit tout le système social en mettant les diverses puissances continentales à la merci de toute tle qui s'élève dans le monopole; 3o Elle prépare la naissance de la quatrième phase dans laquelle l'ordre civilisé prend la plus vile de toutes les formes et retombe dans un servage industriel et féodal, peu différent de l'esclavage personnel.

De toutes les chimères que les philosophes ont accréditées, il n'en est point de plus ridicule que la dernière; c'est l'esprit commercial qui est à présent régulateur de la politique civilisée. La puissance militaire qui était régnante dans les 4re et 2e phases n'est aujourd'hui qu'en sousordre, depuis qu'une île placée à l'abri des attaques peut envahir commercialement toutes les richesses et en répandre une portion sur le continent pour neutraliser ses forces par des guerres soudoyées.

Cet état de choses constitue la décadence de l'ordre civilisé, il passe alors de l'esprit [militaire] à l'esprit mercantile qui domine dans les 3o et 4o phases ou âge de dégradation. Il s'élève à des conquêtes dans ces deux phases [comme] dans les deux premières; mais la force militaire n'est plus régulatrice dès qu'elle devient jouet de la force commerciale qui n'influençait [en rien] dans les 4re et 20 phases.

L'esprit mercantile ne pouvait triompher et envahir le système politique que par une de ces grandes fles situées favorablement pour le monopole industriel. Jusque-là les nations commerçantes ne pouvaient obtenir que peu d'influence. Tyr, Carthage et Athènes avaient brillé par le commerce; mais leurs pays étant attaquables par terre, elles ne pouvaient pas aspirer à un despotisme industriel. Toutes les nations auraient trouvé plus d'avantage à conquérir les tyrans commerciaux qu'à en tirer des subsides. Cette crainte fut cause que la Hollande, dans ses succès commerciaux, montra beaucoup d'humilité à l'égard des puissances continentales. En résumé, une nation marchande qui est contiguë aux nations pauvres ne peut pas se flatter de paralyser habituellement par quelques subsides toutes les combinaisons de la politique et tous les efforts des [ ]; mais cette manœuvre est possible à une nation insulaire. Il importe peu que parmi les souverains connus il se trouve un grand homme qui s'indigne de cette servitude; ses talents militaires seront impuissants contre une fle, et les insulaires parviendront, à force d'argent, à exciter contre lui d'autres peuples continentaux que la faiblesse d'esprit ou la pénurie d'argent met à la [ du premier qui les soudoie (*).

Les cabinets mercantiles ont la même propriété que les cabinets théocratiques, d'être uniformes et persévérants dans leur projet d'avilissement universel, les uns en comprimant l'opinion, les autres en comprimant l'industrie. [Lacune que nous proposons de remplirpar ces mots: Ils tiennent les nations continentales] et maritimes dans la même abjection où elles étaient sous le règne des foudres ecclésiastiques. Alors une excommunication balançait l'influence d'une victoire; aujourd'hui un subside anglais paralyse la plus brillante victoire, tant il est vrai que Dieu a mille moyens de confondre la Civilisation et d'ouvrir sous ses pas un nouvel abime, quand elle a employé des siècles à sortir d'un ancien abtme. A peine échappée au joug ridicule de la superstition, la voilà retombée sous le joug non moins odieux du monopole mercantile, et quand elle parviendrait à le dompter de vive force, d'autres fléaux sont

(*) Ce passage, et d'autres qui le précèdent, indiquent que ce manuscrit a dû être écrit avant 1807, au moment de la grande lutte de la France contre l'Angleterre. (Note des Editeurs.)

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