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FORMES DU MARIAGE

ET DES

USAGES POPULAIRES QUI S'Y RATTACHAIENT

SURTOUT EN FRANCE,

PENDANT LE MOYEN AGE.

Il y a cinquante ans, on n'attribuait encore à l'histoire que deux yeux la géographie et la chronologie, et elle marchait en aveugle, poussant droit devant elle, sans s'inquiéter autrement de la route. Aujourd'hui enfin les faits n'ont plus seulement un lieu et une date; ce sont des effets et des causes:. on leur découvre un sens et on cherche leur loi. L'étude du droit a été renouvelée et rattachée par des liens vivants au passé; ses principes sont devenus des résultats; ses formules, si longtemps ridicules ou baroques, nous ont livré les secrets intimes de civilisations que l'histoire officielle n'avait pas soupçonnées. La science des mots eux-mêmes s'est trouvée intelligente et féconde: on remonte logiquement le cours des âges, le dictionnaire à la main; on suit la trace de vingt peuples effacée depuis des milliers d'années, et l'on détermine leur berceau, campos ubi Troja fuit, avec une certitude que naguère les sciences mathématiques étaient seules à connaître. Il n'est pas jusqu'à ces contes, si puérils en apparence, dont les vieilles femmes endorment les enfants, qui n'aient été scrupuleuse ment interrogés, et l'on y a reconnu des restes de civilisations disparues, des preuves de parentés lointaines et d'influences

dont les autres témoignages avaient péri. Les coutumes populaires, les formes qu'ont prises depuis des siècles et que gardent encore les principaux événements de la vie domestique, ont été jusqu'ici un peu négligées; non certes que, surtout en Allemagne, on n'en ait recueilli beaucoup, et avec autant de curiosité que d'intelligence; mais elles sont éparses çà et là dans vingt livres, et leur rapprochement, leurs éclaircissements réciproques et leurs mutuelles restitutions pouvaient seuls leur donner une valeur réelle. Dans l'isolement où on les lui a montrées, le lecteur n'est frappé que de leur bizarrerie; il ne sait s'il doit y voir quelque dernier vestige d'une civilisation antique ou l'invention fortuite d'une imagination désordonnée, que le caprice et l'habitude n'ont plus laissée tomber en désuétude.

Les usages observés aux funérailles ont cependant été étudiés à part, et même avec une certaine étendue (1); mais on s'est surtout occupé de l'Antiquité, et ils sont trop peu variés, au moins dans leur pensée premièrè, pour ouvrir des sources d'information bien fécondes: ils expriment toujours, même avec les formes les plus diverses, des consolations et des espérances (2). Les idées que l'on s'est faites du mariage ont au contraire beaucoup changé, et la plupart des coutumes qui s'y rattachent sont restées assez significatives pour qu'il soit possible, avec quelque soin, de retrouver leur origine dans les différentes civilisations dont nous avons hérité sous bénéfice d'inventaire. Là, comme partout, l'habitude et la routine ont lutté victorieusement contre l'intelligence et le progrès; des formes surannées et désormais dépourvues de sens ont persisté sans raison et se sont bizarrement mêlées à celles qui leur avaient succédé. L'Inde nous en a conservé une preuve curieuse rien qui ait eu quelque raison d'être n'y disparaît,

:

(1) Par Woeiriot, Porcacchi, Poullet, Guichard, Gutherius, Muret, Guasco, Gyraldus, Feydeau, etc.

(2) Voyez l'ouvrage de M. Bachofen, Versuch über die Gräbersymbolik der Alten, Bâle, 1859, in-8.

parce que rien n'y vit réellement, et, à une époque fort reculée, la loi y reconnaissait déjà huit espèces de mariages, caractérisées par des formes particulières, qui conféraient toutes des droits différents (1).

Le mariage ne fut d'abord qu'un amour avoué publiquement et reconnu par la tribu; on se prenait réciproquement sans autre pensée que de se prendre; la volonté de chacun restait libre et ne s'imposait aucun devoir de fidélité ni de constance (2). Les formes de ces unions sans promesses et sans obligations étaient simples: un flambeau allumé exprimait les ardeurs du mari (3), et le dénouement de la ceinture, le consentement passif de la femme à ses désirs (4). Tout en gardant

encore

(1) Quatre, le Brava, le Dava, le Richisa et l'Asoura, étaient même considérées comme bonnes; mais les quatre autres, le Gandhava, le Prayapatia, le Ratschasa et le Paisacha, étaient réputées mauvaises. Au reste, si grossières qu'elles fussent, les formes attestaient déjà un grand perfectionnement : c'était le fait qui se subordonnait au droit. Ainsi chez quelques anciens peuples, le mariage n'existait qu'après sa consommation matérielle, et, pour beaucoup de sauvages, notamment à Hanaii, il est constitué par une habitation commune; Remy, Récits d'un vieux sauvage, p. 20. Chez les Romains, la cohabitation devait, pour produire des effets légaux, se continuer une année emière (1. XXIV D. tit. De ritu nuptiarum), et cette forme de mariage (usu) ne conférait pas, au moins dans les premiers temps, les mêmes droits que les autres. (2) La monogamie semble cependant avoir déjà existé dans l'ancienne Égypte (voy. Cramer, Anecdota gracca, t. II, p. 387, et Suidas, s. v. "Halozos, I. I, p. 916), et on lit dans la Theogonie d'Hésiode, fr. Lxxιι : ἱερὸν λέχος εἰσανάβασα.

(3) On avait continué à s'en servir dans l'Inde (Théâtre indien, t. I, p. 108), à Athènes (Aristophane, Pax, v. 1317) et à Rome; Brissonius. De ritu nuptiarum, p. 35. En Laponie et dans les pays scandinaves, la forme était à la fois plus poétique et plus chaste: Quidam ferunt olim excussum fuisse per ferrum et sili

cem ignem, in signum ardentis conjunctionis, ut in Lapponia; postea faculas praelatas esse; Loccenius, Antiquitates Sueo-Gothicae, p. 154. On avait même rendu cet emblème plus significatif en se servant de torches de pin dont les pommes étaient devenues, à cause de leur ressemblance avec le phallus, un symbole de la puissance génératrice de la Nature: voy. Müller, Glaube und Kunst der Hindu, p. 301, et Creuzer, Symbolik, t. II, p. 108. Une historiette d'Abstemius prouve qu'à une époque assez récente, c'était encore la fiancée qui portait le flambeau. Vir quidam prudens uxorem ducebat. Interrogatus autem ab amicis, quid sibi vellet facula illa, quam nova nupla accensam a paterna domo efferret, rursusque mariti domum ingressura accendit, et introfert : Significat, inquit, me hodie ignem, e soceri mei aedibus ablatum, in domum meam inferre; Fabula xcvi.

(4) On trouve encore, avec ce sens métaphorique, dans Baruch, ch. vi, v. 43: Neque funis ejus diruptus sit; et dans l'Odyssée, 1. xI, v. 245: Avas dè naplevin v Sovy: voy. aussi l'Hymne à Vénus, v. 165. Ovide faisait même écrire à Phyllis, dans son Epitre à Démophon, v. 116:

Castaque fallaci zona recincta manu, et Martianus Capella disait en parlant des jeunes épouses: Cingulum ponentes in thalamis; De nuptiis Mercurii et Philologiae, 1. 11, par. 149.

sa vivacité première, la passion physique s'étudia mieux et se sentit bientôt mêlée d'un autre instinct aussi naturel et moins brutal, du besoin de se reproduire et de se perpétuer dans des enfants (1). 'Comme symbole du but social que se proposait . désormais leur union, le nouveau mari jetait sur sa jeune épousée des poignées de ces graines qui fécondent la terre et assurent l'avenir des peuples (2): c'était une sorte d'engagement que le mariage ne serait pas dissous capricieusement avant d'avoir produit les résultats naturels que les mariés et la société en avaient attendus. Lorsque la famille eut pris plus de consistance; lorsque, en obéissant avec bonheur, les enfants eurent, sinon créé, au moins sanctionné l'autorité paternelle, une fille ne put plus se subordonner aux volontés d'un époux avant que son père eût consenti à se démettre de ses droits, et d'abord, sans doute à titre de compensation, il vendit son consentement; le mariage fut un achat, en apparence, comme tous les autres (3): la remise du prix constituait l'acte.

(1) L'ancienne formule hiératique des mariages grecs était Ἐπὶ ἀρότῳ παίδων roiw, et on la retrouve dans la forme sacramentelle employée à Rome devant le Censeur Ex animi sententia uxorem ducere liberum quaesendum causa. Ce double but du mariage est parfaitement indiqué dans un passage d'Apulée : Psyché implore Junon quam cunctus Oriens Zygiam veneratur, et omnis Occidens Lucinam appellat; Metamorphoseon 1. vi, p. 112, éd. de Pricaeus. Aussi l'Indien peut-il abandonner, dans la dixième année du mariage, la femme qui ne lui a

pas
donné d'enfants, et, dans la douzième,
celle qui ne lui a donné que des filles. La
législation chinoise est moins patiente;
on peut toujours adjoindre une concu-
bine à l'épouse qui n'a pas de fils.; Da-
vis, The Chinese, t. I, p. 279.

(2) Chez les Hébreux, tous les assistants jetaient par trois fois du blé sur la tête de la nouvelle mariée; Selden, Uxor ebraica, p. 195. Cette cérémonie s'appelle sacha dans l'Inde, et elle a pris une forme encore plus poétique : ce sont les époux eux-mêmes qui se répandent

réciproquement du riz ou des perles sur la tête. En grec, xpton signifiait même à la fois Orge et Membre générateur (voy. Aristophane, Pax, v. 962-65), et il conserve encore en France ce sens obscène dans une locution populaire (dare hordeum uxori): on avait mêine surnommé Vénus, la Déesse du millet, 'Appodion xiyxpis; Engel, Kypros, t. II, p. 126. Cette cérémonie se retrouvait en Prusse avant que le christianisme y eût pénétré (Schrader, Germanische Mythologie, p. 176), et elle est restée dans le mariage religieux russe: un des prêtres y jette une poignée de houblon sur la tête de la fiancée, en demandant à Dieu qu'elle soit aussi féconde. Sa popularité lui avait même fait donner, dans une haute antiquité, une forme toute symbolique. Dans un poëme historique de Kalidâsa, le Raghou-Vança, quand Raghou part pour sa première expédition : Les épouses des habitants de la ville, femmes d'un âge vénérable, répandent sur lui, à pleines mains, des grains frits; ch. iv, çl. 27.

(3) Des restes s'en trouvaient encore

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