INTRODUCTION AUX ÉVANGILES Novum Jesu Christi Testamentum: titre inexact et faux. Le Nouveau Testament, imaginé en opposition à l'Ancien, n'est pas de Jésus-Christ; il a eu pour point de départ et prétexte Jésus-Christ. L'Église chrétienne, a dit Lessing, n'est pas sortie des écrits du Nouveau Testament: ce sont, au contraire, les écrits du Nouveau Testament qui sont sortis de l'Église. Cette remarque doit servir de base à toute l'exégèse de cette partie de la Bible. C'est dans le mouvement des Églises, dans leurs rivalités, dans leurs discussions spéculatives, qu'il faudra chercher la cause, la date, le but et le sens des divers écrits qui composent ce Testament. Serait-ce outrer le paradoxe d'oser dire qu'à l'exception de deux ou trois Épîtres, le Nouveau Testament tout entier n'est qu'une fade légende, imitée et composée d'après les fables des livres juifs? C'est ce que je ferai ressortir à mesure que l'occasion s'en présentera. Mais n'oublions pas qu'il y a ici, en regard l'un de l'autre, deux systèmes d'interprétation: - l'un, orthodoxe, qui prétend, d'une part, que les Écritures contenues dans le Nouveau Testament sont authentiques; d'autre part, que ce Testament, c'est-àdire les faits et discours qui y sont relatés, sont réellement le complément de l'Ancien, qui les avait annoncés, soit par des figures ou événements figuratifs, soit par des prédictions formelles ; - l'autre, rationaliste, qui affirme, à l'aide d'une interprétation fondée sur une critique historique et philologique rigoureuse, que le Nouveau Testament est une compilation de passages mal entendus, déguisés, interpolés, au moyen desquels on a imaginé l'histoire tout entière de Jésus-Christ, auquel le Pentateuque, les Psaumes, les Prophètes n'eurent jamais la moindre envie de faire allusion. Mais comme toute cette discussion repose sur deux termes, l'exégèse des anciens livres et le sens que leur ont attribué les nouveaux, il faut d'abord constater les rapports de conformité qui établissent le fait d'imitation, sinon de plagiat. TITRE. La loi de Moïse se nommait le traité, le pacte ou l'alliance de Jéhovah, fœdus, dianan, . Par suite de la double signification du grec dann, qui veut dire aussi testament ou codicille, cette loi fut appelée le Testament de Dieu, l'Ancien Testament. Sur cela, on ne pensa pas mieux faire que d'appeler la réforme de Jésus, cru fils de Dieu, le Testament de Jésus-Christ, le Nouveau Testament. D'ailleurs, Jésus-Christ étant mort pour tous les hommes, sa loi pouvait avec convenance être appe lée un testament; mais, appliquée à la loi de Jéhovah, cette dénomination était absurde. GÉNÉALOGIES, NOMS. Jésus était dit fils de David; or, on lit dans les histoires juives les généalogies de tous les grands principaux personnages. Il était tout simple de faire celle du Messie; il eût été inconvenant de ne pas la faire. En conséquence, on la composa, plus ou moins heureusement, de trois fois quatorze générations (Matthieu, 1, 17), lesquelles se trouvent démenties par l'histoire et par la généalogie de Luc. Quelque chose d'extraordinaire s'était passé à la naissance de tous les grands personnages: la mère de Samson, celle de Samuel, celle d'Isaac, etc., étaient stériles; on fit mieux pour celle de Jésus: on la supposa vierge-mère, à l'imitation de certaines fables orientales sur le Soleil et Bouddha, ou Laotseu. Ce qui était scabreux à raconter, mais qui n'a pas fait reculer le narrateur, c'est l'inquiétude du fiancé Joseph. On fait intervenir un ange pour le tranquilliser. On avait vu aussi des anges aux naissances d'Isaac et de Samson. Les noms des anciens personnages étaient tous significatifs; le fils de Marie reçut aussi un nom significatif de sa future mission. Mais tandis que les noms des anciens furent accommodés après coup aux événements de leur vie, et attribués de la sorte à une révélation, il est probable que Jésus ne se crut Sauveur que parce qu'il se nommait ainsi. Au reste, rien n'empêcherait que ce nom, vulgaire en Syrie, ne se fût rencontré naturellement chez ce réformateur, dont on ne sait rien, sinon qu'il s'est mis à prêcher, et qu'il a été crucifié pour avoir prêché. Quoi qu'il en soit, on remarquera cette coïncidence de noms entre Jésus et Josué, M-oïse, Osée, Isaïe, qui furent aussi sauveurs, et cette autre entre: Jean, ainsi nommé parce qu'il ut grâce, miséricorde, Abraham, père aux enfants, et tous les patriarches anté-diluviens, ainsi que les douze enfants de Jacob. Cette mode, si bien suivie, doit nous mettre en garde contre ces révélations de noms propres faites par des anges (1). Collection de textes d'anciens auteurs sur le SAUVEUR, MÉDIATEUR, LIBÉRATEUR, REDEMPTEUR, etc., attendu à toutes les époques et chez la plupart des peuples. Les chrétiens abusent, comme l'on sait, de cette vieille croyance, pour s'en faire une preuve de la nécessité et de la réalité du dogme chrétien. La vérité est que cette légende, produit de la triade mythologique et de la misère des peuples, a été une des causes efficientes du christianisme, à peu près comme les prophéties, bien ou mal entendues, ont été la cause de l'invention de l'Evangile, et, par suite aussi, du (1) Conciergerie, 1850. Les lignes ci-dessus ont été écrites à une époque où je n'avais pas lu Strauss. Le système mythique, développé par ce savant, a été complétement aperçu et développé par moi depuis plus de douze ans. (Cf. le Miserere et l'article Apocalypse de l'Encyclopédie catholique.) |