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pides, en prenant le devoir pour point de départ, le dévouement pour règle et le bien pour but, mais aussi de porter cet amour et ce service jusqu'au martyre, de répandre son propre sang pour protéger le droit contre les entreprises de la force; de souffrir en vue d'un si noble et si universel intérêt les contradictions, les outrages, l'exil, une violente mort. Non, il n'est pas

de plus éclatante fortune où l'homme puisse prétendre: encore une fois celui-là est grand et heureux à qui Dieu daigne demander le témoignage d'une telle vie et d'un tel trépas.

Le jugement que nous émettons ici ne devrait rencontrer d'opposition nulle part, quoique à vrai dire il se rattache à un ordre d'idées qui n'est pas

admis

partout. Ce jugement est en harmonie avec la doctrine catholique sur la mission de l'Église et des saints ; mais il n'a cependant pas la foi seule pour base : il ressort aussi des faits et il est dicté par l'histoire. L'histoire montre assez clairement ce que l'Église a toujours représenté au milieu des peuples, ce qu'elle défendait dans la lutte particulière où Thomas Becket se vit engagé, ce que l'illustre archevêque voulait uniquement sauvegarder et maintenir.

Il semble donc que, sur une question qui n'est pas étrangère sans doute aux principes du catholicisme, mais qui est bien aussi une question de fait, nul débat sérieux n'aurait dû s'élever. Car enfin il s'agit ici nonseulement de doctrine et de discipline ecclésiastique, mais encore de droit historique et de légalité; il s'agit de savoir si la conduite de Thomas Becket et d'Henri II

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fut conforme ou contraire aux lois existantes, au droit établi; en un mot, ce sont des textes à produire et des actes à constater. Qu'on instruise aussi le procès et qu'on prononce sur les intentions de l'une et de l'autre partie, les catholiques n'ont garde de s'y opposer; seulement ils demandent qu'on ne s'écarte pas des voies ordinaires de la justice, et qu'en cette cause, comme en toute autre, on ne tienne compte des intentions que si elles se sont révélées par des actes.

Telle n'est pas la route suivie par une foule d'historiens qui, se plaçant à divers points de vue pour exposer et interpréter les faits, ont néanmoins obéi comme de concert à des préoccupations plus ou moins remplies d'ignorance et de haine contre l'Église catholique. Ils ont méconnu, amoindri, dénaturé le grand rôle de l'autorité religieuse au milieu des sociétés chrétiennes; ils n'ont pas apprécié dans toute sa portée la querelle qui, au moyen âge, divisa les deux puissances; ils n'ont pas saisi le véritable caractère du débat où périt Thomas Becket. Pour le besoin d'un système préconçu, par légèreté superficielle ou puérile antipathie, de ce magnanime pontife qui fut le champion du droit, et en conséquence l'homme de tout le monde, ils ont fait un homme de parti, ou même moins que cela, un mauvais citoyen, un factieux qui n'embarrasse que par son génie rétif et turbulent. C'est en effet tout ce qu'ils ont vu dans saint Thomas de Cantorbéry : le représentant d'une opposition politique, ou bien un personnage orgueilleux, inquiet et brouillon.

On sait que M. Augustin Thierry, dans son Histoire

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de la Conquête de l'Angleterre par les Normands, a développé toute une théorie déjà indiquée avant lui sur la nature et la durée des rapports qui s'établirent, à la suite de l'invasion normande, entre les vainqueurs et les vaincus. Les Saxons auraient fidèlement et longtemps nourri la mémoire de leur vieille indépendance; car les races indigènes ne s'éteignent pas dans une défaite; elles y puisent, au contraire, une inimitié vivace qui prépare de longs chagrins à la domination des étrangers. De leur côté, les envahisseurs n'auraient pu maintenir l'ouvre de leur épée, ni fondre ensemble les lois, les mæurs et les langues des deux peuples, que par la violence et la continuité de leurs efforts. Ainsi s'expliqueraient l'origine et le caractère de certaines luttes jusqu'ici mal comprises, et de la viendrait la popularité de tous ceux qui, de près ou de loin, servirent la rancune des Saxons. Ainsi, toute résistance essayée contre les Normands aurait été un pur mouvement de réaction politique, et aurait trouvé sa cause principale comme son point d'appui dans le sentiment jaloux de la nationalité.

Tel serait, au fond, le démêlé de Thomas Becket et d'Henri II. « Le point de vue de la distinction des races en Angleterre, après la conquête, ne donne pas seulement de l'importance à des faits inaperçus ou négligés; il donne une physionomie et une signification toute nouvelle à des événements célèbres, mais inexactement expliqués. La longue querelle du roi Ilenri II et de l'archevêque Thomas Becket est un de ces événements; l'on en trouvera dans cet ouvrage une version entièrement

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différente de celle qui est le plus en crédit (celle des historiens philosophes qui ont pris parti contre le plus faible et le plus malheureux)..... Les graves circonstances qui signalèrent la dispute du cinquième roi de race normande avec le premier archevêque de race anglaise depuis la conquête, doivent être attribuées, plus qu'à toute autre cause, à l'hostilité encore vivante des conquérants et des vaincus '. »

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1. Histoire de la Conquête de l'Angleterre par les Normands, 7e édit., Introduct., pag. 15 et suiv. Remarquons tout de suite, pour renverser par sa base la version de M. Aug. Thierry, et décréditer toutes les explications qu'il y rattache, que Thomas Becket était de race saxonne et non point de race anglaise. Son père était de Rouen, dit la Chronique de Lambeth; c'était un chevalier normand, dit à son tour Guillaume, fils d'Étienne : « Ex horum numero fuit Gilbertus quidam cognomento Becchet, patria rotomagensis » (Vita S. Thomæ, vol. 1, p. 73, ed. Giles). «Gilbertus cum domino archipræsule (Theobaldo) de propinquitate et genere loquebatur, ut ille ortu Normannus et circa Tierrici villam de equestri ordine natu vicinus » (Vita S. Thomæ, vol. 1, p. 184, ed. Giles). Les autres chroniqueurs et écrivains de l'époque, Roger de Pontigny, Jean de Salisbury, Guillaume de Cantorbéry, Herbert de Bosham, Elie d'Evesham, Benoit de Péterborough, ne marquent pas de quelle race était Thomas; ils se bornent à dire qu'il naquit à Londres, ou que son père habitait cette ville (Vita S. Thomæ, vol. 1, p. 4, 92, 319; vol. II, p. 1; Herb. Bosham, Vita S. Thomæ, p. 6, ed. Giles). C'est aussi là tout le sens des mots « Civis londoriensis.... anglicus.... et Londoniarum incola civitatis, » gratuitement allégués en preuve par M. Aug. Thierry. En effet, là où M. Aug. Thierry les a lus, ces mots sont attribués à Gilbert Becket lui-même, qui, prisonnier des Sarrasins et interrogé par la fille de son maitre sur son pays et sa cité, répond qu'il est d’Angleterre et habitant de Londres : «Puella inquisivit ab eo de qua terra et civitate exstiterit oriundus. Qui quum responderet quod Anglicus esset et Londo

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a

Considérée à son point de vue le plus général, cette théorie, qui accorde aux vaincus le souvenir compatissant de l'histoire, sépare honorablement le pathétique écrivain de toute cette école sans entrailles qui fait du succès le signe du bon droit, et qui étouffe les faibles dans le mépris et dans le silence. Appliquée aux vaincus de Hastings, elle porte un certain caractère de vérité, et nous ne refusons pas de croire à la persistance de la race saxonne sur le sol de la Grande-Bretagne. Mais regarder la lutte de saint Thomas Becket contre les injustices et la tyrannie d'Henri II comme l'expression d'une idée moins religieuse que politique, et les sympathies que la cause du noble archevêque trouva dans le peuple comme inspirées surtout par

le regret patriotique d'un ordre de choses que l'épée des Normands avait aboli, c'est contredire les faits et les textes, c'est dénaturer les événements par une inter

niarum civitatis incola...) (Vita et processus S. Thomae Cantuar., seu quadripartita historia, cap. 11; Vit. S. Thomæ, auct. anonymo, vol. 11, p. 184, ed. Giles). On voulait savoir quel était son pays, et non pas quelle était sa race; il devait donc nommer l’Angleterre, et ne pouvait, sous peine de dire un non-sens et de n'ètre pas compris, parler de son origine normande. En un mot, il s'agissait de topographie, nullement de généalogie , et M. Aug. Thierry était plus capable que personne d'éviter la méprise. Cependant il n'a pas d'autre raison que cette étrange méprise pour donner à Thomas Becket une origine saxonne, en laissant de côté les textes si clairs du chroniqueur de Lambeth et de Guillaume, fils d'Étienne; et il n'a pas d'autre raison que cette chimérique origine pour donner à la lutte de Thomas Becket « une physionomie et une signification toute nouvelle, » au moyen d'interprétations abusives et d'assertions complétement inexactes. Hist. de la Conquête de l'Angleterre, liv. ix et ..

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