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le goût, une règle universelle qu'on peut appliquer dans toutes les occasions. Où trouver en effet une règle pour décider les grandes questions de morale et de philosophie qui divisent éternellement les hommes d'opinion? Il est évident, qu'à cet égard, il n'étoit pas nécessaire qu'ils fussent parfaitement d'accord. Il étoit sans doute indispensable que nous eussions des moyens clairs et précis pour déterminer notre jugement sur les choses qui sont moralement bonnes ou mauvaises, sur ce que l'homme doit pratiquer ou dont il doit s'abstenir ; mais notre bonheur n'exigeoit point que nous dussions apprécier, dans tous les cas, l'élégance ou la beauté avec la plus parfaite exactitude. Une latitude a donc été abandonnée pour ces objets à la diversité des sentimens, et c'est aux débats ou à la discussion de fixer le degré du mérite auquel les différentes œuvres du génie peuvent prétendre,

De tout ceci, nous devons conclure *que le goût est loin d'être un principe arbitraire sujet à varier avec le caprice de tous les individus, et dénué de toute règle qui puisse faire distinguer le faux du véritable. Sa base est la nême dans l'esprit de tous les hommes. Il est fondé sur les sentimens et les perceptions qui

font partie de la nature humaine, et qui opèrent en général avec la même conformité que nos autres principes intellectuels. Lorsque les préjugés ou l'ignorance ont dépravé ces sentimens', la raison peut les épurer et les rétablir, et c'est en les comparant avec le goût général qu'on peut juger s'ils sont ou ne sont pas dans leur état de pureté naturelle. Que des hommes dissertent autant qu'il leur plaira sur les caprices du goût et sur son incertitude', l'expérience démontre évidemment qu'il existe des beautés qui enlèvent infailliblemenl l'admiration générale, lorsqu'elles sont présentées dans leur véritable jour. Dans toutes les compositions, ce qui intéresse l'imagination ou qui touche le cœur, a, dans tous les temps et chez toutes les nations, le don de plaire. Il y a une certaine corde à laquelle le cœur ne manque jamais de répondre lorsqu'on la touche habilement.

C'est ainsi que depuis une longue suite de siècles toutes les nations éclairées ont eu la même opinion de quelques chef-d'œuvres du génie, tels que l'Iliade d'Homère et l'Enéïde de Virgile. C'est ainsi que l'autorité de ces chef-d'œuvres s'est établie, et qu'ils ont servi de règle aux compositions de la poësie, en in

diquant les beautés auxquelles les hommes s'accordent à donner la préférence. L'autorité ou la prévention peut, dans un temps ou dans un pays, revêtir un poëte ou un artiste médiocre d'une grande réputation; mais lorsque des étrangers ou la postérité examinent ses ouvrages, l'illusion se dissipe et le goût de la nature reprend son empire. « Opinionum commenta delet dies; naturæ judicia confirmat». Le temps corrige les méprises de l'opinion et confirme les décisions de la nature.

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GOUT, critique et génie sont trois termes qu'on emploie souvent sans y attacher des idées distinctes ou précises; en commençant un cours de leçons où j'aurai fréquemment occasion d'en faire usage, il convient d'en déterminer le sens avec exactitude. Ayant traité du goût dans ma dernière, j'expliquerai dans celle-ci la nature de la critique et ses principes. La saine critique est l'application du goût à tous les beaux arts. Elle a pour objet de distinguer les beautés et les défauts de toutes les compositions ou exécutions quelconques; de remonter des remarques particulières aux principes généraux, et de former ainsi des règles, ou de tirer des conclusions relatives aux différentes beautés des œuvres du génie.

Les règles de la critique ne se forment point par des inductions qu'on nomme à priori; c'est-à-dire, qu'elles ne sont point le résultat d'une suite de raisonnemens abstraits et indé

pendans

pendans des faits et des observations. La cri-
tique est un art totalement fondé sur l'expé-
rience; sur l'observation des beautés qui
approchent le plus de celles que j'ai précé-
demment considérées comme des règles ou des
modèles, c'est-à-dire, des beautés qui ont été
plus généralement applaudies. Par exemple,
les règles d'Aristote sur l'unité d'action dans
les compositions épiques et dramatiques n'ont
pas été découvertes primitivement dans des
discussions de logique, et ensuite appliquées
à la poësie. Homère et Sophocle en ont fourni
les modèles, et les règles ont été fondées sur
l'expérience, on a observé que la narration
d'une action unique et entière faisoit géné
ralement sur les auditeurs une impression
plus vive et plus agréable que la narration de
différens faits décousus et sans relation. Ces
observations, indiquées primitivement par l'ex-
périence, ont paru, après un examen, si con-
formes à la raison et aux principes de la nature,
qu'elles ont été généralement adoptées comme
des règles certaines, et appliquées ensuite
comme la mesure du mérite de toutes les com-
positions. Telle est, à ce qu'il me semble, la
plus probable origine de la critique.

Il est sans doute très-possible qu'un grand
Tome I.

d

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