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règle pour apprécier les différens goûts des hommes et distinguer le faux ou le mauvais goût du bon ou du véritable.

Pour définir le goût, on pourroit le nommer << le pouvoir d'être agréablement ému par les >> beautés de la nature et de l'art ». La première question qui se présente, est de savoir si on doit considérer le goût comme l'exercice de la raison, ou comme un sens interne? La raison est un terme fort vague; mais si par raison nous entendons le pouvoir dont l'esprit se sert pour découvrir la vérité dans les matières spéculatives, et apprécier la convenance des moyens avec leur fin dans les choses de pratique, la question sera facile à résoudre ; car il est évident que le goût ne dépend d'aucune de ces opérations. Ce n'est point uniquement à une découverte du jugement, ni à la conséquence d'un argument que l'esprit est redevable du plaisir qu'il trouve à contempler une belle perspective ou à lire un beau poëme. Des objets nous frappent quelquefois instructivement, et nous en recevons une impression trèsvive, sans pouvoir expliquer le motif de notre émotion. Le philosophe et le paysan, l'enfant et l'homme fait éprouvent la même sensation. La faculté qui nous rend sensibles à ces beautés

paroît donc appartenir plutôt à une sensation qu'à une opération intellectuelle ; et c'est sans doute par cette raison qu'on lui a donné le nom du sens qui reçoit et distingue le plaisir des alimens. Plusieurs langues ont adopté l'usage métaphorique du terme, goût, dans le sens que nous lui appliquons. Cependant comme il est essentiel d'éviter toute espèce d'inexactitude dans les termes lorsqu'il est question des opérations de l'esprit, on ne doit pas conclure de ce que je viens de dire, que les opérations ou l'exercice du goût soit tout-à-fait indépendant de la raison. Quoique la principale base du goût soit incontestablement fondée sur un instinct ou une sensibilité naturelle. pour- la beauté, la raison ne laisse pas, comine je le démontrerai dans la suite, de diriger le goût dans un grand nombre de ses opérations, et de contribuer à l'extension de ses facultés (1).

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(1) Voyez l'Essai du doc'eur Gérard sur le goût, les Réflexions de Dalembert sur l'utilité et les abus de la philosophie, pour ce qui concerne le goût. — Les Réflexions critiques sur la poësie et la peinture, tom.. II, chap. 22-31. Les. Elémens de la critique chap 25. Les Essais de Hume sur les règles du goût. Introduction à l'Essai sur le beau et le su

blime.

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Le goût, dans l'acception que nous lui avons donnée, est une faculté que tous les hommes possédent plus ou moins dans un degré différent. De toutes les affections de la nature humaine, la plus générale est sans contredit celle qui a pour objet quelque genre de beauté. L'ordre, les proportions, la grandeur, l'harmonie, la variété, la nouveauté, etc. frappent agréablement presque tous les hommes. On apperçoit dans mille occasions le goût se développer chez les enfans de très-bonne heure, dans leur préférence pour les formes régulières, dans leur admiration pour les tableaux, les statues et les imitations de toute espèce, enfin dans leur passion pour ce qui est neuf ou extraordinaire. Les plus grossiers paysans écoutent avec plaisir des contes et des chansons. Ils sont vivement frappés du spectacle imposant des beautés du ciel et de la terre. Dans les deserts de l'Amérique, où la nature humaine est à peine débrutie, les sauvages ont adopté des ornemens dont ils se parent; ils composent des chansons guerrières et des chansons funèbres. On trouve chez eux des orateurs qui prononcent publiquement des harangues. Nous devons en conclure que les principes du goût sont inhérens à l'esprit humain. Il est aussi

naturel à l'homme d'avoir quelques notions de la beauté, que de posséder les attributs de la raison et de la parole.

Mais quoiqu'il n'existe point d'homme privé totalement de cette faculté, il y a souvent une vaste différence de dose ou de degré parmi ceux qui la possèdent; chez les uns, à peine quelques lueurs de goût se font elles sentir; les beautés qu'ils admirent sont de l'espèce la plus grossière et leur font une très-légère impression; tandis que d'autres ont dans leur goût un discernement très-fin, et distinguent dans les beautés toutes leurs délicatesses. On peut observeren général que l'inégalité est beaucoup plus sensible parmi les hommes pour ce qui concerne la faculté du goût et ses jouissances, que pour la raison, le jugement, ou le bon sens. A cet égard comme à tous les autres, la constitution de notre nature atteste une sagesse admirable; elle a distribué presqu'également à tous les hommes les talens nécessaires à leur existence, mais elle a été plus économe des dons qui ne sont applicables qu'aux agrémens de la vie, et elle a fait dépendre le degré de leur perfection d'une culture plus ou moins assidument suivie.

L'inégalité du goût parmi les hommes dépend

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sans doute en partie de la 'différence de leur constitution, du plus ou moins de délicatesse de leurs organes et de leurs pouvoirs intellectuels. Mais quoique la nature soit en partie la source de cette inégalité, la culture et l'éducation ne laissent pas d'avoir dans cette occa→ sion la plus grande influence. Ces réflexions me conduisent naturellement à une observation que j'ai déjà faite, c'est que le goût est une faculté très-susceptible d'être perfectionnée. La vérité de cette assertion paroîtra incontestable, si l'on réfléchit à l'immense supériorité que l'étude et l'éducation donnent aux nations civilisées sur les peuples barbares, et aux habitans des pays civilisés qui cultivent les beaux arts, sur leurs compatriotes qui n'ont reçu ni éducation ni instruction. La distance est si considérable, que c'est peut-être la diffé rence des pouvoirs et des plaisirs du goût qui forme le contraste le plus frappant entre ces deux classes; et on ne peut très-certainement en attribuer la cause qu'à la culture et à l'éducation je passe à l'examen des moyens qui rendent la faculté du goût si susceptible d'être perfectionnée par la culture.

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Observons d'abord que la grande loi de notre nature a fait de l'exercice la principale

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