« espérance: » Feruntur magno impetu, nullo revocante, spe desperati1. En effet, considérez cet homme emporté dans l'ardeur de sa passion : il ne trouve aucune apparence qu'un Dieu si grand et si bon veuille tyranniser sa créature, ni exercer sa puissance pour briser un vaisseau de terre : longtemps il s'est flatté de cette pensée, qu'il n'était pas digne de Dieu de se tenir offensé de ce que faisait un néant, ni de s'élever contre un néant. Après, une seconde de réflexion lui fait voir combien cette entreprise est furieuse, qu'un néant s'élève contre Dieu. Là il se dit à lui-même ce que criait le Prophète à ce capitaine des Assyriens: «< Contre qui as-tu blasphémé, contre qui «as-tu élevé ta voix et tourné tes regards superbes? >> Quem blasphemasti, contra quem exaltasti vocem tuam, et elevasti in excelsum oculos tuos? « C'est contre le saint « d'Israël, » c'est contre un Dieu tout-puissant: Contra Sanctum Israël. Son audace insensée le confond; et lui, qui ne voyait rien qui pût épuiser la miséricorde, ne voit plus rien maintenant qui puisse apaiser la justice. Mais voici la cause apparente de cet égarement prodigieux : c'est en effet, chrétiens, que l'une et l'autre de ces qualités est d'une grandeur infinie, je veux dire la miséricorde et la justice : de sorte que celle que l'on envisage occupe tellement la pensée, qu'elle n'y aisse presque plus de place pour l'autre ; d'autant plus que, paraissant opposées, on ne comprend pas aisément qu'elles puissent subsister ensemble dans ce suprême degré de perfection : ce qui fait que la grande idée de la miséricorde fait que le pécheur oublie la justice, et que la justice réciproquement détruit en son esprit la mişéricorde; de sorte que l'abattement de son déses IS. Aug. Serm., xx, no 4. 2 IV Reg., XIX, 12. poir égale les emportements et la folle présomption de son espérance. Il nous faut détruire, messieurs, ces vaines idoles de la miséricorde et de la justice, que le pécheur aveuglé adore en la place de la véritable justice et de la véritable miséricorde. Vous vous trompez, ô pécheurs, lorsque vous vous persuadez follement que ces deux qualités sont incompatibles, puisqu'au contraire elles sont amies. Car, mes frères, la bonté de Dieu n'est pas une bonté insensible, ni une bonté déraisonnable; le Dieu que nous adorons n'est pas le Dieu des marcionites, un Dieu qui ne punit pas, souffrant jusqu'au mépris et indulgent jusqu'à la faiblesse : ce n'est pas un Dieu, dit Tertullien, «< sous lequel les péchés soient à leur aise, et dont <«<l'on se puisse moquer impunément : » sub quo delicta gauderent, cui diabolus illuderet. Voulez-vous savoir comment il est bon? voici une belle réponse de Tertullien : « Il est bon, non pas en souffrant le mal, mais << en se déclarant son ennemi: » Qui non alias plene bonus sit, nisi mali æmulus. Sa justice fait partie de sa bonté pour être bon comme il faut, «< il exerce l'amour « qu'il a pour le bien par la haine qu'il a pour le mal : » Uti boni amorem odio mali exerceat1. Ne vous persuadez donc pas que la justice soit opposée à la bonté dont elle prend au contraire la protection, et l'empêche d'être exposée au mépris. Mais sachez que la bonté n'est pas non plus opposée à la justice; car si elle lui ôte ses victimes, elle les lui rend d'une autre sorte : au lieu de les abattre par la vengeance, elle les abat par l'humilité; au lieu de les briser par le châtiment, elle les brise par les douleurs de la pénitence : et s'il faut du sang à la justice pour la Adv. Marcion., lib. II, no 26. satisfaire, la bonté lui présente celui d'un Dieu. Ainsi; bien loin d'être incompatibles, elles se donnent la main mutuellement. Il ne faut donc ni présumer ni désespérer. Ne présumez pas, ô pécheurs! parce qu'il est très vrai que Dieu se venge; mais ne vous abandonnez pas au désespoir, parce que, s'il m'est permis de le dire, il est encore plus vrai que Dieu pardonne. Cette vérité étant supposée, il est temps maintenant, messieurs, que je tâche de vous faire entendre par les Écritures cette grâce singulière de la rémission des péchés. Comme c'est le fruit principal du sang du Nouveau Testament, et l'article fondamental de la prédication évangélique, le Saint-Esprit, mes frères, a pris un soin particulier de nous en donner une vive idée, et de nous l'exprimer en plusieurs façons, afin qu'il entre en nos cœurs plus profondément. Il dit que Dieu oublie les péchés, qu'il ne les impute pas, qu'il les couvre; il dit aussi qu'il les lave, qu'il les éloigne de nous, et qu'il les efface. Pour entendre le secret de ces expressions, et des autres que nous voyons dans les saintes Lettres, il faut remarquer attentivement l'effet du péché dans le cœur de l'homme, et l'effet du péché dans le cœur de Dieu. Le péché dans le cœur de l'homme est une humeur pestilente qui le dévore, et une tache infâme qui le défigure. Il faut purger cette humeur maligne, et l'arracher de nos entrailles : « Autant que le levant est loin « du couchant, autant éloigne-t-il de nous nos iniqui«tés : » Quantum distat ortus ab occidente, longe fecit a nobis iniquitates nostras1: et pour cette tache honteuse, il faut passer l'éponge dessus, et qu'il n'en reste plus aucune marque : « Israël, c'est moi qui t'ai fait, ne 1 Ps. CII, 12. << t'oublie pas de ton Créateur; c'est moi qui ai effacé << tes iniquités comme un nuage qui s'évanouit, et comme << une légère vapeur, » qui, étant dissipée par un tourbillon, ne laisse pas dans l'air le moindre vestige: Delevi ut nubem iniquitates tuas, et quasi nebulan peccata tua1. Mais, mes sœurs, à l'égard de Dieu, le péché a des effets bien plus redoutables : il fait un cri terrible à ses oreilles toujours attentives, il est un spectacle d'horreur à ses yeux toujours ouverts. Ce spectacle cause l'aversion, et ce cri demande la vengeance. Pour rassurer les pécheurs, Dieu leur déclare, par son Écriture, qu'il couvre leur crime pour ne les plus voir; qu'il les met derrière son dos, de peur que, paraissant à ses yeux, ils ne fassent soulever son cœur; enfin qu'il les oublie, qu'il n'y pense plus. Et quant à ce cri funeste, il en étouffe le son par une autre voix; pendant que nos péchés nous accusent, il produit « un avocat pour nous « défendre; Jésus-Christ, le Juste, qui est la propitia<«<tion pour nos crimes; » il déclare qu'il ne veut plus qu'on nous les impute, ni que nous en soyons jamais recherchés. « Le ciel et la terre s'en réjouissent, <<< les montagnes tressaillent de joie, parce que le Sei« gneur a fait miséricorde : « Laudate, cœli; jubilate, extrema terræ; resonate, montes, laudationem, quoniam misericordiam fecit Dominus 3. Vous voyez donc, mes frères, la rémission des péchés expliquée et autorisée en toutes les formes qu'une grâce peut être énoncée. Hortamur vos ne in vacuum gratiam Dei recipiatis : » Nous vous exhortons que « vous ne receviez pas en vain cette grâce. » Mais quel I Is., XLIV, 22. 2 I. Joan., II, 1, 2. 3 Cor. VI, 1. en doit être l'effet? il faut que le Saint-Esprit nous l'apprenne. Dieu envoie ses prédicateurs : « Allez, dit-il à « son prophète, et criez vers l'aquilon : Revenez, re« belle Israël, dit le Seigneur, et je ne détournerai point << mon visage de vous, parce que je suis saint, dit le << Seigneur, et que ma colère ne durera pas éternelle«ment. Après cela, on a entendu des voix confuses dans <<< les chemins, des pleurs et des hurlements des enfants « d'Israël, parce qu'ils ont rendu leurs voies criminelles, <«<et qu'ils ont oublié leur Seigneur et leur Dieu 1. » « Écartez loin de vous toutes les prévarications dont vous << vous êtes rendus coupables, dit Dieu dans un autre prophète, et faites-vous un cœur nouveau. Pourquoi <«< mourrez-vous, maison d'Israël? Je ne veux point la << mort de celui qui meurt, dit le Seigneur Dieu; re<< tournez à moi, et vivez : » Projicite a vobis omnes prævaricationes vestras; facite vobis cor novum et spiritum novum. Et quare moriemini, domus Israël? Quia nolo mortem morientis, dicit Dominus Deus; revertimini, et vivite. Pourquoi voulez-vous périr? pourquoi vous obstinez-vous à votre ruine? Dieu veut vous pardonner, vous seul ne vous pardonnez pas. Deus meus, misericordia mea3 : « O Dieu ! qui êtes pour moi un Dieu de mi<< séricorde! »> «< 0 nom, dit saint Augustin, sous lequel << personne ne doit désespérer! » O nomen sub quo nemini desperandum est"! O prodigue! retournez donc à votre père; débauchée, retournez à votre mari; mais retournez en confessant votre crime; dites : J'ai péché ; Peccavi; et reconnaissez votre iniquité : Verumtamen scito iniquitatem tuam. Ne songez pas à vous excuser; n'accusez pas les étoiles, le tempérament; ne dites pas : |