mœurs; mais l'on ne s'émeut non plus que si l'on n'avait aucune part à cette juste censure. [Mais le sage] rentre profondément dans sa conscience, et s'applique à lui-même tout ce qui se dit: ad se adjiciet. Il ne se contente pas de louer cette parole; il ne va pas regarder autour de lui à qui elle est propre ; il ne s'amuse pas à deviner la pensée de celui qui parle, ni à lui faire dire des choses qu'il ne songe pas : il croit que c'est à lui seul qu'on en veut. C'est là tout le fruit des discours sacrés. Pendant que l'Evangile parle à tous, chacun se doit parler en particulier, confesser humblement ses fautes, trembler dans la vue de ses périls. Et en effet, chrétiens, quiconque sent en lui-même que c'est son vice qu'on attaque, doit croire que c'est à lui personnellement que s'adresse tout le discours. Si donc quelquefois nous y remarquons je ne sais quoi de tranchant, qui, à travers nos voies tortueuses et nos passions compliquées, aille mettre, non point par hasard, mais par une secrète conduite de la grâce, la main sur notre blessure, et aille trouver, à point nommé, dans le fond du cœur, ce péché que nous dérobons, c'est alors, c'est alors, messieurs, qu'il faut écouter attentivement Jésus-Christ, qui vient troubler notre fausse paix, et qui met la main tout droit sur notre blessure: c'est alors qu'il faut croire le conseil du sage, et appliquer tout à nous-mêmes. Si le coup ne porte pas encore assez loin, prenons nous-mêmes le glaive, et enfonçonsle plus avant. Plût à Dieu que nous le fassions entrer, qu'il entre si profondément, que la blessure aille jusqu'au vif; que le cœur soit serré par la componction, que le sang de la plaie coule par les yeux, je veux dire les larmes, que saint Augustin appelle si élégamment le sang de l'âme1! c'est alors que Jésus-Christ aura prêché; 'Serm. CCCLI, no 7. et c'est ce dernier effet de la sainte prédication qui me reste à examiner en peu de paroles dans ma dernière partie. TROISIÈME POINT. Quand je considère les raisons pour lesquelles les discours sacrés, qui sont pleins d'avis si pressants, sont néanmoins si peu efficaces, voici celle qui me semble la plus apparente. C'est que les hommes du monde présument trop de leur sens, pour croire que l'on puisse leur persuader ce qu'ils ne veulent pas faire d'eux-mêmes; et d'ailleurs, n'étant pas touchés par la vérité qui luit clairement dans leur conscience, ils ne croient pas pouvoir être émus des paroles qu'elle inspire aux autres : si bien qu'ils écoutent la prédication, ou comme un entretien indifférent, par coutume et par compagnie; ou tout au plus, si le hasard veut qu'ils rencontrent à leur goût, comme un entretien agréable qui ne fait que chatouiller les oreilles par la douceur d'un plaisir qui passe. Pour nous désabuser de cette pensée, considérons, chrétiens, que la parole de l'Évangile, qui nous est portée de la part de Dieu, n'est pas un son qui se perde en l'air, mais un instrument de la grâce. On ne peut assez admirer l'usage de la parole dans les affaires humaines : qu'elle soit, si vous voulez, l'interprète de tous les conseils, la médiatrice de tous les traités, le gage de la bonne foi et le lien de tout le commerce; elle est plus nécessaire et plus efficace dans le ministère de la religion et en voici la preuve sensible. C'est une vérité fondamentale, que l'on ne peut obtenir la grâce que par les moyens établis de Dieu. Or est-il que le Fils de Dieu, l'unique médiateur de notre salut, a voulu choisir la parole pour être l'instrument de sa grâce et l'or gane universel de son Saint-Esprit dans la sanctification des âmes. Car, je vous prie, ouvrez les yeux, contemplez tout ce que l'Église a de plus sacré, regardez les fonts baptismaux, les tribunaux de la pénitence, les trèsaugustes autels : c'est la parole de Jésus-Christ qui régénère les enfants de Dieu; c'est elle qui les absout de leurs crimes; c'est elle qui leur prépare sur ces saints autels une nourriture divine d'immortalité. Si elle opère si puissamment aux fonts du baptême, dans les tribunaux de la pénitence et sur les autels, gardons-nous bien de penser qu'elle soit inutile dans les chaires; elle y agit d'une autre manière, mais toujours comme l'organe de l'Esprit de Dieu. Et en effet, qui ne le sait pas? c'est par la prédication de l'Évangile que cet Esprit toutpuissant a donné des disciples, des imitateurs, des sujets et des enfants à Jésus-Christ. S'il a fallu effrayer les consciences criminelles, la parole a été le tonnerre: s'il a fallu captiver les entendements sous l'obéissance de la foi, la parole a été la chaîne par laquelle on les a entraînés à Jésus-Christ: s'il a fallu percer les cœurs par l'amour divin, la parole a été le trait qui a fait ces blessures salutaires: Sagittæ tuæ acutœ: populi sub te cadent'. Et il ne faut pas s'étonner si, parmi tant de secours, tant de sacrements, tant de ministères divers de l'Église, le saint concile de Trente a déterminé qu'il n'y a rien de plus nécessaire que la prédication de l'Évangile; puisque c'est elle qui a opéré de si grands miracles. Elle a établi la foi, elle a rangé les peuples à l'obéissance, elle a renversé les idoles, elle a converti le monde. Mais, messieurs, tous ces effets furent autrefois, et il ne nous en reste plus que le souvenir. Jésus-Christ n'est 1 Ps. XLIV, 7. -2 Sess. v, cap. II. plus écouté, ou il est écouté si négligemment, qu'on donnerait plus d'attention aux discours les plus inutiles. Sa parole cherche partout des âmes qui la reçoivent; et partout la dureté invincible des cœurs préoccupés lui ferme l'entrée. Ce n'est pas qu'on n'assiste aux discours sacrés. La presse est dans les églises durant cette sainte quarantaine; plusieurs prêtent l'oreille attentivement : mais ce n'est ni l'oreille ni l'esprit que Jésus demande. « Mes frères, dit saint Augustin, la prédication est un « grand mystère : magnum sacramentum, fratres. Le son « de la parole frappe au dehors, le maître est au de<< dans : » la véritable prédication se fait dans le cœur: Sonus verborum aures percutit, magister intus est1. C'est pourquoi ce maître céleste a dit tant de fois en prêchant: << Qui a des oreilles pour ouïr, qu'il écoute. » Certainement, chrétiens, il ne parlait pas à des sourds; mais il savait, ce divin docteur, qu'il y en a « qui en voyant << ne voient pas, et qui en écoutant n'écoutent pas3. » Il savait qu'il y a en nous un endroit profond où la voix humaine ne pénètre point, où lui seul a droit de se faire entendre: « Qu'elle est secrète, dit saint Augustin; << qu'elle est éloignée des sens de la chair, cette retraite << où Jésus-Christ fait leçon, cette école où Dieu est le << maitre!» Valde remota est a sensibus carnis hæc schola*. Pour rencontrer cette école et pour écouter cette leçon, il faut se retirer au plus grand secret et dans le centre du cœur. Pour entendre prêcher Jésus-Christ, il ne faut pas ramasser son attention au lieu où se mesurent les périodes, mais au lieu où se règlent les mœurs; il ne faut pas se recueillir au lieu où se goûtent les belles pensées, mais au lieu où se produisent les bons désirs : ce n'est pas même assez de se retirer au lieu où se forment les jugements, il faut aller à celui où se prennent les résolutions. Enfin s'il y a quelque endroit encore plus profond et plus retiré, où se tienne le conseil du cœur, où se déterminent tous ses desseins, où l'on donne le branle à ses mouvements; c'est là qué, sans s'arrêter à la chaire matérielle, il faut dresser à ce maître invisible une chaire invisible et intérieure, où il prononce ses oracles avec empire. Là, quiconque écoute obéit, quiconque prête l'oreille a le cœur touché. C'est là que la parole divine doit faire un ravage salutaire, en brisant toutes les idoles, en renversant tous les autels où la créature est adorée, en répandant tout l'encens qu'on leur présente, en chassant toutes les victimes qu'on leur immole; et sur ce débris ériger le trône de Jésus-Christ victorieux: autrement. on n'écoute pas Jésus-Christ qui prêche. S'il est ainsi, chrétiens, hélas ! que Jésus-Christ a peu d'auditeurs, et que dans la foule des assistants il se trouve peu de disciples! Où sont-elles ces âmes soumises que l'Évangile attendrit, que la parole de vérité touche jusqu'au cœur? En effet, ou nous écoutons froidement, ou il s'élève seulement en nous des affections languissantes, faibles imitations des sentiments véritables; désirs toujours stériles et infructueux, qui demeurent toujours désirs, et qui ne se tournent jamais en résolutions; flamme errante et volage, qui ne prend pas à sa matière ; mais qui court légèrement par-dessus, et que le moindre souffle éteint tellement, que tout s'en perd en un instant, jusqu'au souvenir: Filii Ephrem, intendentes et mittentes arcum, conversi sunt in die belli1: «Les enfants d'Éphrem, dit David, préparaient leurs 1 Ps. LXXVII, 12. |