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passons notre temps! nous le passons véritablement, et nous passons avec lui. Tout mon être tient à un moment; voilà ce qui me sépare du rien; celui-là s'écoule, j'en prends un autre : ils se passent les uns après les autres; les uns après les autres, je les joins, tâchant de m'assurer; et je ne m'aperçois pas qu'ils m'entraînent insensiblement avec eux, et que je manquerai au temps, non pas le temps à moi. Voilà ce que c'est que de ma vie; et ce qui est épouvantable, c'est que cela passe à mon égard; devant Dieu, cela demeure, ces choses me regardent. Ce qui est à moi, la possession en dépend du temps, parce que j'en dépends moi-même; mais elles sont à Dieu devant moi, elles dépendent de Dieu devant que du temps; le temps ne les peut retirer de son empire, il est au-dessus du temps; à son égard cela demeure, cela entre dans ses trésors. Ce que j'y aurai mis, je le trouverai: ce que je fais dans le temps, passe par le temps à l'éternité; d'autant que le temps est compris et est sous l'éternité, et aboutit à l'éternité. Je ne jouis des moments de ce plaisir que durant le passage; quand ils passent, il faut que j'en réponde comme s'ils demeuraient. Ce n'est pas assez dire, ils sont passés, je n'y songerai plus : ils sont passés, oui pour moi, mais à Dieu, non; il m'en demandera compte.

Eh bien! mon âme, est-ce donc si grande chose que cette vie? et si cette vie est si peu de chose parce qu'elle passe, qu'est-ce que les plaisirs, qui ne tiennent pas toute la vie, et qui passent en un moment? cela vaut-il bien la peine de se damner? cela vaut-il bien la peine de se donner tant de peine, d'avoir tant de vanité? Mon Dieu, je me résous de tout mon cœur en votre présence de penser tous les jours, au moins en me couchant et en me levant, à la mort. En cette pensée j'ai peu de temps, beaucoup de chemin à faire; peut

être en ai-je encore moins que je ne pense; je louerai Dieu de m'avoir retiré ici pour songer à la pénitence. Je mettrai ordre à mes affaires, à ma confession, à mes exercices avec grande exactitude, grand courage, grande diligence; pensant non pas à ce qui passe, mais à ce qui demeure.

(Fragment sur la brièveté de la vie.)

LEVEZ-VOUS, VOUS QUI DORMEZ.

L'homme goûte une paix profonde dans la jouissance de ses plaisirs. Au commencement, à la vérité, sa conscience incommode venait l'importuner mal à propos; elle l'effrayait quelquefois par la terreur des jugements de Dieu maintenant il l'a enchaînée, et il ne lui permet plus de se remuer; il a ôté toutes les pointes par lesquelles elle piquait son cœur si vivement; ou elle ne parle plus, ou il ne reste plus qu'un faible murmure, qui n'est pas capable de l'interrompre parce qu'il a oublié Dieu, il croit que Dieu l'a oublié, et ne se souvient plus de le punir: Dixit enim in corde suo: Oblitus est Deus: c'est pourquoi il dort à son aise, sous l'ombre des prospérités qui le flattent. Et vous venez l'éveiller; vous venez, prédicateurs, avec vos exhortations et vos invectives, animer cette conscience qu'il croyait avoir désarmée : ne vous étonnez pas s'il se fâche. Comme un homme qu'on éveille en sursaut dans son premier somme où il est assoupi profondément, il se lève en murmurant: O homme fâcheux, quel importun vous êtes! qui êtesvous, et pourquoi venez-vous troubler mon repos? Pourquoi? le demandez-vous? c'est parce que votre sommeil est une léthargie, parce que votre repos est une mort;

1 Ps. IX, 34.

parce que je ne puis vous voir courir à votre perte éternelle en riant, en jouant, en battant des mains, comme si vous alliez au triomphe. Je viens ici pour vous troubler dans cette paix pernicieuse. Surge, qui dormis, et exurge a mortuis1: « Levez-vous, vous qui dormez; sor<< tez d'entre les morts : » je viens rendre la force et la liberté à cette conscience malheureuse, dont vous avez si longtemps étouffé la voix.

(Premier Sermon pour le dimanche de la Passion.)

NÉCESSITÉ DE S'OCCUPER DE LA VÉRITÉ POUR LA COMPRENDRE.

La première atteinte que nous donnons à la vérité résidante en nous, c'est que nous ne rentrons point en nousmêmes pour faire réflexion sur la connaissance qu'elle nous inspire; d'où s'ensuit ce malheur extrême, qu'elle n'éclaire non plus notre esprit que si nous l'ignorions tout à fait : Et non rogavimus faciem tuam, Domine Deus noster, ut reverteremur ab iniquitatibus nostris, et cogitaremus veritatem tuam : « Et nous ne nous sommes point << présentés devant votre face pour vous prier, ô Seigneur << notre Dieu, nous retirant de nos iniquités, et nous ap« pliquant à la connaissance de votre vérité. » Nous plaignons, et avec raison, tant de peuples infidèles qui ne connaissent pas la vérité; mais je ne crains point de vous soutenir que nous n'en sommes pas plus [avancés], pour en avoir la connaissance: car il est très-indubitable que notre àme n'est illuminée que par la réflexion; nous l'éprouvons tous les jours. Ce n'est pas assez de savoir les choses, et de les avoir cachées dans la mémoire; si elles ne sont pas présentes à l'esprit, nous n'en demeurons

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pas moins dans les ténèbres, et cette connaissance ne les dissipe point. Si les vérités de pratique ne sont souvent remuées, souvent amenées à notre vue, elles perdent l'habitude de se présenter, et cessent par conséquent d'éclairer : nous marchons également dans l'obscurité, soit que la lumière disparaisse, soit que nous fermions les yeux. Ainsi, comme enchantés par les plaisirs, ou dé tournés par nos affaires, nous négligeons de rappeler en notre mémoire les vérités du salut, et la foi est en nous inutilement; toutes ses lumières se perdent, parce qu'elles ne trouvent pas les yeux ouverts ni les esprits attentifs. (Troisième Sermon pour le dim. de la Passion.)

RARETÉ DE LA VÉRITABLE PIÉTÉ.

Je ne crains point de vous assurer que, pour régler notre conscience sur la plupart des devoirs de la justice chrétienne, la bonne foi est un grand docteur qui laisse peu d'embarras et de questions indécises.

Mais notre corruption ne nous permet pas de marcher par des voies si droites; nous formons notre conscience au gré de nos passions, et nous croyons avoir tout gagné, pourvu que nous puissions nous tromper nousmêmes. Cette sainte violence, ces maximes vigoureuses du christianisme, qui nous apprennent à combattre en nous la nature trop dépravée, sont abolies parmi nous. Nous faisons régner en leur place un mélange monstrueux de Jésus-Christ et du monde; des maximes moitié saintes et moitié profanes, moitié chrétiennes et moitié mondaines: ou plutôt toutes mondaines, toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes. C'est pourquoi nous ne voyons presque plus de piété véritable: tout est corrompu et falsifié ; et si Jésus-Christ revenait au monde, il ne connaîtrait

plus ses disciples, et ne verrait rien dans leurs mœurs qui ne démentit hautement la sainteté de sa doctrine.

(Troisième Sermon pour le dim. de la Passion.)

IL FAUT APPRENDRE A L'HOMME A SE CONNAITRE.

Ne parlons plus des flatteurs qui nous environnent au dehors; parlons d'un flatteur qui est au dedans, par lequel tous les autres sont autorisés. Toutes nos passions sont des flatteuses, nos plaisirs sont des flatteurs; surtout notre amour-propre est un grand flatteur qui ne cesse de nous applaudir; et tant que nous écouterons ce flatteur caché, jamais nous ne manquerons d'écouter les autres car les flatteurs du dehors, âmes vénales et prostituées, savent bien connaître la force de cette flatterie intérieure. C'est pourquoi ils s'accordent avec elle, ils agissent de concert et d'intelligence; ils s'insinuent si adroitement dans ce commerce de nos passions, dans cette complaisance de notre amour-propre, dans cette secrète intrigue de notre cœur, que nous ne pouvons nous tirer de leurs mains ni reconnaître leur tromperie. Que si nous voulons les déconcerter et rompre cette intelligence, voici l'unique remède: un amour généreux de la vérité, un désir de nous connaître nousmêmes tels que nous sommes, à quelque prix que ce soit. Quelle honte et quelle faiblesse que nous voulions tout connaître, excepté nous-mêmes! que les autres sachent nos défauts, qu'ils soient la fable du monde, et que nous seuls ne les sachions pas!

(Troisième Sermon pour le dim. de la Passion.)

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