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DE L'ENVIE ET DE LA MÉDISANCE.

La véritable médisance consiste en un certain plaisir que l'on a à entendre ou à dire du mal des autres, sans aucune raison particulière. Recherchons-en la cause; il y a sujet de s'en étonner. Les hommes sont faits pour la société cependant ce plaisir malin que nous sentons quelquefois malgré nous dans la médisance, fait bien voir qu'il n'y a rien de plus farouche ni de moins sociable que le cœur de l'homme. Et Tertullien a raison de dire que « l'on ment avec plus de succès en forgeant << des calomnies cruelles et atroces, » et que l'on « croit <«< plus aisément un mal faux qu'un bien véritable: >> Felicius in acerbis atrocibusque mentitur,... facilius denique falso malo, quam vero bono creditur1. Dc là paraît le plaisir comme naturel que nous prenons à la médisance. La cause est qu'en effet nous étions faits pour une sainte société en Dieu et entre nous. La paix, la concorde, la charité devaient régner parmi nous, parce que nous devions nous regarder, non point en nous-mêmes, mais en Dieu; et c'est cela qui devait être le nœud sacré de notre union.

Le péché a détruit cette concorde, en gravant en nous l'amour de nous-mêmes. C'est l'orgueil qui nous désunit, parce que chacun cherche son bien propre. L'ange et l'homme n'ayant pu souffrir l'empire de Dieu, ne veut pas ensuite dépendre des autres. Chacun ne veut penser qu'à soi-même, et ne regarde les autres qu'avec dessein de dominer sur eux : voilà donc la société détruite. Il y en a quelque petit reste: car nous avons naturellement une certaine horreur de la solitude. Mais

Ad Nation., lib. I.

qu'il y a eu de temps où je n'étais pas! qu'il y en a où je ne serai point! et que j'occupe peu de place dans ce grand abime des ans ! Je ne suis rien; ce petit intervalle n'est pas capable de me distinguer du néant où il faut que j'aille. Je ne suis venu que pour faire nombre, encore n'avait-on que faire de moi; et la comédie ne serait pas moins bien jouée, quand je serais demeuré derrière le théâtre. Ma partie est bien petite en ce monde, et si peu considérable, que quand je regarde de près, il me semble que c'est un songe de me voir ici, et que tout ce que je vois ne sont que de vains simulacres : Præterit figura hujus mundi 1.

Ma carrière est de quatre-vingts ans tout au plus; et pour aller là, par combien de périls faut-il passer? par combien de maladies, etc.? à quoi tient-il que le cours ne s'en arrête à chaque moment? ne l'ai-je pas reconnu quantité de fois? J'ai échappé la mort à telle et telle rencontre : c'est mal parler, j'ai échappé la mort. J'ai évité ce péril, mais non pas la mort : la mort nous dresse diverses embûches; si nous échappons l'une, nous tombons en une autre; à la fin il faut venir entre ses mains. Il me semble que je vois un arbre battu des vents; il y a des feuilles qui tombent à chaque moment; les unes résistent plus, les autres moins : que s'il y en a qui échappent de l'orage, toujours l'hiver viendra, qui les flétrira et les fera tomber; ou, comme dans une grande tempête, les uns sont soudainement suffoqués, les autres flottent sur un ais abandonné aux vagues; et lorsqu'il croit avoir évité tous les périls, après avoir duré longtemps, un flot le pousse contre un écueil, et le brise... Il en est de même : le grand nombre d'hommes qui courent la même carrière fait que quelques-uns passent

II. Cor., VII, 31.

jusques au bout; mais après avoir évité les attaques diverses de la mort, arrivant au bout de la carrière ou ils tendaient parmi tant de périls, ils la vont trouveé eux-mêmes, et tombent à la fin de leur course: leur vie s'éteint d'elle-même, comme une chandelle qui a consumé sa matière.

Ma carrière est de quatre-vingts ans tout au plus, et de ces quatre-vingts ans, combien y en a-t-il que je compte pendant ma vie? le sommeil est plus semblable à la mort: l'enfance est la vie d'une bête. Combien de temps voudrais-je avoir effacé de mon adolescence? et quand je serai plus âgé, combien encore? voyons à quoi tout cela se réduit. Qu'est-ce que je compterai donc? car tout cela n'en est déjà pas. Le temps où j'ai eu quelque contentement, où j'ai acquis quelque honneur? mais combien ce temps est-il clair-semé dans ma vie! c'est comme des clous attachés à une longue muraille, dans quelques distances: vous diriez que cela occupe bien de la place; amassez-les, il n'y en a pas pour emplir la main. Si j'ôte le sommeil, les maladies, les inquiétudes, etc., de ma vie; que je prenne maintenant tout le temps où j'ai eu quelques contentements ou quelque honneur, à quoi cela va-t-il? Mais ces contentements, les ai-je eus tous ensemble? les ai-je eus autrement que par parcelles? mais les ai-je eus sans inquiétude; et s'il y a de l'inquiétude, les donnerai-je au temps que j'estime, ou à celui que je ne compte pas? et ne l'ayant pas eu à la fois, l'ai-je du moins eu tout de suite? l'inquiétude n'a-t-elle pas toujours divisé deux contentements? ne s'est-elle pas toujours jetée à la traverse, pour les empêcher de se toucher? Mais que m'en reste-t-il des plaisirs licites? un souvenir inutile : des illicites? un regret, une obligation à l'enfer, ou à la pénitence, etc.

Ah! que nous avons bien raison de dire que nous

pas

lorsque nous nous assemblons, nous ne pouvons nous souffrir et si les lois de la civilité nous obligent à dissimuler et feindre quelque concorde apparente; qui pourrait lire dans nos cœurs avec quel dédain, avec quel mépris nous nous regardons les uns les autres, il verrait bien que nous ne sommes si sociables que nous pensons être, et que c'est plutôt la crainte et quelque considération étrangère qui nous retient, qu'un véritable et sincère amour de société et de concorde. Qui le fait, sinon l'amour-propre, le désir d'exceller? ainsi que dessus. C'est la cause de la médisance et du plaisir que nous y prenons : nous voulons être les seuls excellents, et voir tout le reste au-dessous de nous.

Et pour toucher encore plus expressément la cause de ce vice si universel, c'est une secrète haine qui vient de l'envie que nous avons les uns contre les autres, ce n'est pas un noble orgueil. De là ce plaisir malin de la médisance; il ne faut qu'une médisance pour récréer une bonne compagnie : [ de là] la moquerie. Nous prenons plaisir de nous comparer aux autres, et nous sommes bien aises d'avoir sujet de croire que nous sommes plus excellents. Voilà la cause de la médisance, l'envie; cause honteuse et qu'on n'ose pas avouer, mais qui se remarque par la manière d'agir. L'envie est une passion basse, obscure, lâche il y a un orgueil qu'on appelle noble, qui entreprend les choses ouvertement; l'envie ne va que par des menées secrètes. Ainsi le médisant; il se cache. L'envie est une passion timide, qui a honte d'elle-même, et ne craint rien tant que de pa raître. Ainsi le médisant; il ronge secrètement. Saint Chrysostome dit «que la médisance imite la servante « qui prend à la dérobée les effets de son maître; ou << semblable au voleur qui étant entré dans une maison unę a considère attentivement tout ce qui s'y trouve, pour

<< voir ce qu'il pourra emporter, elle observe avec soin << ce qu'elle pourra enlever à la réputation de celui dont <«< elle est jalouse, et ensuite elle se cache'. » L'envie n'a pas le courage assez bon pour chercher la véritable grandeur, mais elle ne tâche de s'élever qu'en abaissant les autres. Le médisant de même : il diminue, il biaise, il ne s'explique qu'à demi-mot, [par des] paroles à double entente; [s'il parle] ouvertement, il prend de beaux prétextes. Combien honteuse est donc cette passion!

(Sermon pour la quatrième semaine de Carême.)

NÉANT DE L'HOMME.

C'est bien peu de chose que l'homme, et tout ce qui a fin est bien peu de chose. Le temps viendra où cet homme qui vous semblait si grand ne sera plus, où il sera comme l'enfant qui est encore à naître, où il ne sera rien. Si longtemps qu'on soit au monde, y serait-on mille ans, il en faut venir là. Il n'y a que le temps de ma vie qui me fait différent de ce qui ne fut jamais : cette différence est bien petite, puisqu'à la fin je serai encore confondu avec ce qui n'est point; ce qui arrivera le jour où il ne paraîtra pas seulement que j'aie été, et où peu m'importera combien de temps j'ai été, puisque je ne serai plus. J'entre dans la vie avec la loi d'en sortir, je viens faire mon personnage, je viens me montrer comme les autres; après il faudra disparaître. J'en vois passer devant moi, d'autres me verront passer; ceux-là même donneront à leurs successeurs le même spectacle; tous enfin viendront se confondre dans le néant. Ma vie est de quatre-vingts ans tout au plus, prenons-en cent :

In Acta Apost., Hom. xxix, tom. ix, p. 301.

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