L'HOMME EN PRÉSENCE DE LA NATURE. Toute la nature veut honorer Dieu, et adorer son principe autant qu'elle en est capable. La créature privée de raison et de sentiment n'a point de cœur pour l'aimer, ni d'intelligence pour le comprendre : « Ainsi, <<< ne pouvant connaître, tout ce qu'elle peut, dit saint << Augustin, c'est de se présenter elle-même à nous pour <«< être du moins connue, et pour nous faire connaître <«< son divin auteur: » Quæ cum cognoscere non possit, quasi innotescere velle videtur1! C'est pour cela qu'elle étale à nos yeux avec tant de magnificence son ordre, ses diverses opérations et ses infinis ornements. Elle ne peut voir, elle se montre; elle ne peut adorer, elle nous y porte; et ce Dieu qu'elle n'entend pas, elle ne nous permet pas de l'ignorer : c'est ainsi qu'imparfaitement et à sa manière, elle glorifie le Père céleste. Mais l'homme, animal divin, plein de raison et d'intelligence, et capable de connaître Dieu par lui-même et par toutes les créatures, est aussi pressé par lui-même et par toutes les créatures à lui rendre ses adorations. C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, mystérieux abrégé du monde, afin que, contemplant l'univers entier et le ramassant en soi-même, il rapporte uniquement à Dieu et soi-même et toutes choses; si bien qu'il n'est le contemplateur de la nature visible qu'afin d'être l'adorateur de la nature invisible, qui a tout tiré du néant par sa souveraine puissance. (Serm. pour le vendredi de la trois. sem de Carême.) De Civ. Dei, lib. x1, cap. xxvII; tom. VII, col. 293. DIEU. <«< Que ne peut-on dire de Dieu, dit saint Augustin? « mais que peut-on dire de Dieu dignement? » Omnia possunt dici de Deo, et nihil digne dicitur de Deo1. Il est tout ce que nous pouvons penser de grand, et il n'est rien de ce que nous pouvons penser de plus grand, parce que sa perfection est si éminente, que nos pensées n'y peuvent atteindre, et que nous ne pouvons pas même dignement comprendre jusques à quel point il est incompréhensible. (Ibid.) NATURE INCOMPRÉHENSIBLE DE DIEU. Celui que nous confessons être inconcevable dans sa nature, nous ne laissons pas toutefois de le vouloir comprendre dans ses pensées, et dans les desseins de sa sagesse. Quelques-uns ont osé reprendre l'ordre du monde et de la nature. Plusieurs se veulent faire conseillers de Dieu, du moins en ce qui regarde les choses humaines; mais tous, presque sans exception, lui demandent raison pour eux-mêmes, et veulent comprendre ses desseins en ce qui les touche. Les hommes se sont formé une certaine idole de fortune que nous accusons tous de nous être inJuste; et, sous le nom de la fortune, c'est la Sagesse divine dont nous accusons les conseils, parce que nous ne pouvons pas en savoir le fond. Nous voulons qu'elle se mesure à nos intérêts, et qu'elle se renferme dans nos pensées. Faible et petite partie du grand ouvrage de Dieu, nous prétendons qu'il nous détache du dessein total, pour nous traiter à notre mode, au gré de nos fantaisies; comme si cette profonde Sagesse composait In Joan., Tract., xш, no 5 tom. 11, part. II, col. 393. ses desseins par pièces, à la manière des hommes; et nous ne concevons pas que si Dieu n'est pas comme nous, il ne pense pas non plus comme nous, il ne résout pas comme nous, il n'agit pas comme nous; tellement que ce qui répugne à notre raison s'accorde nécessairement à une raison plus haute que nous devons adorer, et non tenter vainement de la comprendre. (Ibid.) MAGNIFICENCE ET BONTÉ DE DIEU DANS LA Ouvrez les yeux, o mortels! contemplez le ciel et la terre, et la sage économie de cet univers: est-il rien de mieux entendu que cet édifice? est-il rien de mieux pourvu que cette famille? est il rien de mieux gouverné que cet empire? Ce grand Dieu qui a construit le monde, et qui n'y a rien fait qui ne soit très-bon, a fait néanmoins des créatures meilleures les unes que les autres. Il a fait les corps célestes, qui sont immortels; il a fait les terrestres, qui sont périssables. Il a fait des animaux admirables par leur grandeur; il a fait les insectes et les oiseaux, qui paraissent méprisables par leur petitesse. Il a fait ces grands arbres des forêts, qui subsistent des siècles entiers; il a fait les fleurs des champs, qui se passent du matin au soir. Il y a de l'inégalité dans ses créatures, parce que cette même bonté qui a donné l'être aux plus nobles, ne l'a pas voulu envier aux moindres. Mais depuis les plus grandes jusqu'aux plus petites, sa providence se répand partout; elle nourrit les petits oiseaux, qui l'invoquent dès le matin par la mélodie de leur chant; et ces fleurs dont la beauté est sitôt flétrie, elle les pare si superbement durant ce petit moment de leur vie, que Salomon, dans toute sa gloire, n'a rien de comparable à cet ornement. Si ses soins s'éten 1 dent si loin, vous hommes qu'il a faits à son image, qu'il a éclairés de sa connaissance, qu'il a appelés à son royaume, pouvez-vous croire qu'il vous oublie? Est-ce que sa puissance n'y suffira pas? mais son fonds est infini et inépuisable: cinq pains et deux poissons pour cinq mille hommes. Est-ce que sa bonté n'y pense pas? mais les moindres créatures sentent ses effets. Que si vous les voulez connaître en vous-mêmes, regardez le corps qu'il vous a formé, et la vie qu'il vous a donnée. Combien d'organes a-t-il fabriqués, combien de machines a-t-il inventées, combien de veines et d'artères a-t-il disposées, pour porter et distribuer la nourriture aux parties du corps les plus éloignées ? Et croirez-vous après cela qu'il vous la refuse? Apprenez de l'anatomie combien de défenses il a mises au-devant du cœur et combien autour du cerveau; de combien de tuniques et de pellicules il a revêtu les nerfs et les muscles; avec quel art et quelle industrie il vous a formé cette peau qui couvre si bien le dedans du corps, et qui lui sert comme d'un rempart ou comme d'un étui pour le conserver. Et après une telle libéralité, vous croirez qu'il vous épargnera quatre aunes d'étoffe pour vous mettre à couvert du froid et des injures de l'air! Ne voyez-vous pas manifestement que, ne manquant ni de bonté ni de puissance, s'il vous laisse quelquefois souffrir, c'est pour quelque raison plus haute? C'est un père qui châtie ses enfants, un capitaine qui exerce ses soldats, un sage médecin qui ménage les forces de son malade. Cherchez donc sa vérité et sa justice, cherchez le royaume qu'il vous prépare, et soyez assurés sur sa parole que tout le reste vous sera donné, s'il est nécessaire; et s'il ne vous est pas donné, donc il n'était pas nécessaire. O consolation des fidèles! parmi tant de besoins de la vie humaine, parmi tant de mystères qui nous accablent, dussent toutes les villes être ruinées et tous les États renversés, mon établissement est certain, et je suis assuré sur la foi d'un Dieu, ou que jamais je ne souffrirai de nécessité, ou que je ne ferai jamais aucune perte qu'un plus grand bien en la récompense. Ainsi je puis avoir de la prévoyance, je puis avoir de l'économie, pourvu qu'elle soit juste et modérée; mais du trouble, de l'inquiétude, si j'en ai, je suis infidèle, (Prem. Serm. pour le quatr. dim. de Carême.) DES AMBITIONS DE LA FORTUNE. Et cependant, ô mœurs dépravées! ô étrange désolation du christianisme! nul ne les regarde en cet esprit, on ne songe qu'à la vanité et à la pompe. Parlez, parlez, messieurs, démentez-moi hautement, si je ne dis pas la vérité. Quel siècle a-t-on jamais vu où l'ambition ait été si désordonnée? quelle condition n'a pas oublié ses bornes? quelle famille s'est contentée des titres qu'elle avait reçus de ses ancêtres? On s'est servi de l'occasion des misères publiques pour multiplier sans fin les dignités. Qui n'a pas pu avoir la grandeur, a voulu néanmoins la contrefaire; et cette superbe ostentation de grandeur a mis une telle confusion dans tous les ordres, qu'on ne [peut] plus y faire de discernement; et, par un juste retour la grandeur s'est tellement étendue qu'elle s'est enfin ravilie. O siècle stérile en vertu, magnifique seulement en titres! Saint Chrysostome a dit1, et il a dit vrai, qu'une marque que l'on n'a pas en soi la grandeur, c'est lorsqu'on la cherche hors de soi dans des ornements extérieurs. Donc, ô siècle vainement superbe, je le dis avec assurance, et la postérité le saura bien 1 In Matth., Hom. IV, tom. VII, pag. 65, 66. |