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votre providence a pris soin de détourner les maux de dessus leur tête, afin qu'ils pensassent à ceux du prochain: vous les avez mis à leur aise et en liberté, afin qu'ils fissent leur affaire du soulagement de vos enfants : et leur grandeur au contraire les rend dédaigneux, leur abondance secs, leur félicité insensibles; encore qu'ils voient tous les jours non tant des pauvres et des misérables, que la misère elle-même et la pauvreté en personne, pleurante et gémissante à leur porte. D'où vient [une dureté si étonnante]?

Je ne m'en étonne pas, chrétiens; d'autres pauvres plus pressants et plus affamés ont gagné les avenues les plus proches, et épuisé les libéralités à un passage plus secret. Expliquons-nous nettement : je parle de ces pauvres intérieurs qui ne cessent de murmurer, quelque soin qu'on prenne de les satisfaire, toujours avides, toujours affamés dans la profusion et dans l'excès même ; je veux dire vos passions et vos convoitises. C'est en vain, o pauvre Lazare, que tu gémis à la porte, ceuxci sont déjà au cœur ; ils ne s'y présentent pas, mais ils l'assiégent; ils ne demandent pas, mais ils arrachent. O Dieu, quelle violence! Représentez-vous, chrétiens, dans une sédition, une populace furieuse, qui demande arrogamment, toute prête à arracher si on la refuse; ainsi dans l'âme de ce mauvais riche; et ne l'allons pas chercher dans la parabole, plusieurs le trouveront dans leur conscience. Donc dans l'âme de ce mauvais riche et de ses cruels imitateurs, où la raison a perdu l'empire, où les lois n'ont plus de vigueur, l'ambition, l'avarice, la délicatesse, toutes les autres passions, troupe mutine et emportée, font retentir de toutes parts un cri séditieux, où l'on n'entend que ces mots : « Apporte, apporte:>> Dicentes: Affer, affer1: apporte toujours de

1 Prov., XXX, 15.

l'aliment à l'avarice, du bois à cette flamme dévorante; apporte une somptuosité plus raffinée à ce luxe curieux et délicat; apporte des plaisirs plus exquis à cet appétit dégoûté par son abondance. Parmi les cris furieux de ces pauvres impudents et insatiables, se peut-il faire que vous entendiez la voix languissante des pauvres, qui tremblent devant vous, qui, accoutumés à surmonter leur pauvreté par leur travail et par leurs sueurs, se laissent mourir de faim plutôt que de découvrir leur misère? C'est pourquoi ils meurent de faim; oui, messieurs, ils meurent de faim dans vos terres, dans vos châteaux, dans les villes, dans les campagnes, à la porte et aux environs de vos hôtels; nul ne court à leur aide: hélas! ils ne vous demandent que le superflu, quelques miettes de votre table, quelques restes de votre grande chère. Mais ces pauvres que vous nourrissez trop bien au dedans, épuisent tout votre fonds. La profusion, c'est leur besoin; non-seulement le superflu, mais l'excès même, leur est nécessaire, et il n'y a plus aucune espérance pour les pauvres de Jésus-Christ, si vous n'apaisez ce tumulte et cette sédition intérieure : et cependant ils subsisteraient, si vous leur donniez quelque chose de ce que votre pro digalité répand, ou de ce que votre avarice ménage.

Mais, sans être possédé de toutes ces passions violentes, la félicité toute seule, et je prie que l'on entende cette vérité, oui, la félicité toute seule est capable d'endurcir le cœur de l'homme. L'aise, la joie, l'abondance, remplissent l'âme de telle sorte, qu'elles en éloignent tout le sentiment de la misère des autres, et mettent à sec, si l'on n'y prend garde, la source de la compassion. C'est ici la malédiction des grandes fortunes; c'est ici que l'esprit du monde paraît le plus opposé à l'esprit du christianisme car qu'est-ce que l'esprit du christianisme? esprit de fraternité, esprit de tendresse et de

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compassion, qui nous fait sentir les maux de nos frères, entrer dans leurs intérêts, souffrir de tous leurs besoins. Au contraire, l'esprit du monde, c'est-à-dire l'esprit de grandeur, c'est un excès d'amour-propre, qui, bien loin de penser aux autres, s'imagine qu'il n'y a que lui. Écoutez son langage dans le prophète Isaïe : « Tu as « dit en ton cœur Je suis, et il n'y a que moi sur la « terre » Dixisti in corde tuo: Ego sum, et præter me, non est alter. Je suis, il se fait un Dieu, et il semble vouloir imiter celui qui a dit : « Je suis celui qui est'. » Je suis; il n'y a que moi : toute cette multitude, ce sont des têtes de nul prix, et, comme on parle, des gens de néant. Ainsi chacun ne compte que soi, et, tenant tout le reste dans l'indifférence, on tâche de vivre à son aise, dans une souveraine tranquillité des fléaux qui affligent le genre humain.

Ah! Dieu est juste et équitable. Vous y viendrez vousmême, riche impitoyable, aux jours de besoin et d'angoisse. Ne croyez pas que je vous menace du changement de votre fortune : l'événement en est casuel, mais ce que je veux dire n'est pas douteux. Elle viendra au jour destiné, cette dernière maladie, où, parmi un nombre infini d'amis, de médecins et de serviteurs, vous demeurerez sans secours, plus délaissé, plus abandonné que ce pauvre qui meurt sur la paille, et qui n'a pas un drap pour sa sépulture: car, en cette fatale maladie, que serviront ces amis, qu'à vous affliger par leur présence; ces médecins, qu'à vous tourmenter; ces serviteurs, qu'à courir deçà et delà dans votre maison avec un empressement inutile? Il vous faut d'autres amis, d'autres serviteurs: ces pauvres, que vous avez méprisés, sont les seuls qui seraient capables de vous secou

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rir. Que n'avez-vous pensé de bonne heure à vous faire de tels amis, qui maintenant vous tendraient les bras, afin de vous recevoir dans les tabernacles éternels? Ah! si vous aviez soulagé leurs maux, si vous aviez eu pitié de leur désespoir, si vous aviez seulement écouté leurs plaintes, vos miséricordes prieraient Dieu pour vous: les bénédictions qu'ils vous auraient données, lorsque vous les auriez consolés dans leur amertume, feraient maintenant distiller sur vous une rosée rafraîchissante: leurs côtés revêtus, dit le saint prophète, leurs entrailles rafraîchies, leur faim rassasiée, vous auraient béni; leurs saints anges veilleraient autour de votre lit comme des amis officieux; et ces médecins spirituels consulteraient entre eux nuit et jour pour vous trouver des remèdes. Mais vous avez aliéné leur esprit, et le prophète Jérémie me les représente vous condamnant euxmêmes sans miséricorde.

(Deux. Serm. pour le jeudi de la 2o sem. de Carême.)

ILLUSION DES SENS.

Quiconque donc s'attache au sensible, il faut qu'il erre nécessairement d'objets en objets, et se trompe, pour ainsi dire, en changeant de place; ainsi la concupiscence, c'est-à-dire l'amour des plaisirs, est toujours changeant, parce que toute son ardeur languit et meurt dans la continuité, et que c'est le changement qui le fait revivre. Aussi qu'est-ce autre chose que la vie des sens, qu'un mouvement alternatif de l'appétit au dégoût, et du dégoût à l'appétit, l'âme flottant toujours incertaine entre l'ardeur qui se ralentit et l'ardeur qui se renouvelle? inconstantia concupiscentiæ. Voilà ce que c'est que la vie des sens. Cependant, dans ce mouvement perpétuel, on ne laisse pas de se divertir par l'image d'une

les vents contraires. Mais cet asile, que vous vous préparez contre la fortune, est encore de son ressort; et, si loin que vous puissiez étendre votre prévoyance, jamais vous n'égalerez ses bizarreries: vous penserez vous être munis d'un côté, la disgrace viendra de l'autre; vous aurez tout assuré aux environs, l'édifice manquera par le fondement. Si le fondement est solide, un coup de foudre viendra d'en haut, qui renversera tout de fond en comble : je veux dire simplement et sans figure que les malheurs nous assaillent et nous pénètrent par trop d'endroits, pour pouvoir être prévus et arrêtés de toutes parts. Il n'y a rien sur la terre où nous mettions notre appui, qui non-seulement ne puisse manquer, mais encore nous être tourné en une amertume infinie. Et nous serions trop novices dans l'histoire de la vie humaine, si nous avions besoin que l'on nous prouvât cette vérité. ·

(Prem. Serm. pour le trois. dim. de Carême.)

DE LA CONVERSATION ET DE L'AMITIÉ.

Quoique l'esprit de division se soit mêlé bien avant dans le genre humain, il ne laisse pas de se conserver au fond de nos cœurs un principe de correspondance et de société mutuelle qui nous rend ordinairement assez tendres, je ne dis pas seulement à la première sensibilité de la compassion, mais encore aux premières impressions de l'amitié. De là naît ce plaisir si doux de la conversation, qui nous fait entrer comme pas à pas dans l'âme les uns des autres. Le cœur s'échauffe, se dilate; on dit souvent plus qu'on ne veut, si l'on ne se retient avec soin; et c'est peut-être pour cette raison que le Sage dit quelque part, si je ne me trompe, que la conversation enivre, parce qu'elle pousse au dehors le secret de

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