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voudrions que l'infini se renfermât aussi dans les mêmes bornes, et qu'il déployât en si peu d'espace tout ce que sa miséricorde prépare aux bons, et tout ce que sa justice destine aux méchants.

(Prem. serm. pour le jeudi de la 2° sem. de Carême.)

LA VIE DU MONDE.

Que dirai-je maintenant de cette humeur inquiète, curieuse de nouveautés, ennemie du loisir, et impatiente du repos? D'où vient qu'elle ne cesse de nous agiter et de nous ôter notre meilleur [bien], en nous engageant d'affaire en affaire, avec un empressement qui ne finit pas? Une [maxime] très-véritable, mais mal appliquée, nous jette dans cet embarras : la nature même nous enseigne que la vie est dans l'action. Comme donc les mondains, toujours dissipés, ne connaissent pas l'efficace de cette action paisible et intérieure qui occupe l'âme en elle-même, ils ne croient pas s'exercer s'ils ne s'agitent, ni se mouvoir s'ils ne font du bruit; de sorte qu'ils mettent la vie dans cette action empressée et tumultueuse; ils s'abîment dans un commerce éternel d'intrigues et de visites, qui ne leur laisse pas un moment à eux. Ils se sentent eux-mêmes quelquefois pressés, et se plaignent de cette contrainte : mais, chrétiens, ne les croyez pas; ils se moquent, ils ne savent ce qu'ils veulent. Celui-là qui se plaint qu'il travaille trop, s'il était délivré de cet embarras, ne pourrait souffrir son repos : maintenant les journées lui semblent trop courtes, et alors son grand loisir lui serait à charge : il aime sa servitude, et ce qui lui pèse lui plaît; et ce mouvement perpétuel, qui l'engage en mille contraintes, ne laisse pas de le satisfaire, par l'image d'une liberté errante. Comme un arbre, dit saint Augustin, que le vent semble caresser en

se jouant avec ses feuilles et avec ses branches, bien que ce vent ne le flatte qu'en l'agitant, et le jette tantôt d'un côté, tantôt d'un autre avec une grande inconstance; vous diriez toutefois que l'arbre s'égaye par la liberté de son mouvement: ainsi, dit ce grand évêque, encore que les hommes du monde n'aient pas de liberté véritable, étant presque toujours contraints de céder aux divers emplois qui les poussent comme un vent; toutefois ils s'imaginent jouir d'un certain air de liberté et de paix, en promenant deçà et delà leurs désirs vagues et incertains. Tanquam oliva pendentes in arbore, ducentibus ventis, quasi quadam libertate auræ perfruuntur vago quodam desiderio suo1.

Voilà, si je ne me trompe, une peinture assez naturelle de la vie du monde et de la vie de la cour. Que faites-vous cependant, grand homme d'affaires, homme qui êtes de tous les secrets, et sans lequel cette grande comédie du monde manquerait d'un personnage nécessaire; que faites-vous pour la grande affaire, pour l'affaire de l'éternité? C'est à l'affaire de l'éternité que doivent céder tous les emplois : c'est à l'affaire de l'éternité que doivent servir tous les temps. Dites-inoi, en quel état est donc cette affaire? Ah! pensons-y, direz-vous. Vous êtes donc averti que vous êtes malade dangereusement, puisque vous songez enfin à votre salut. Mais, hélas! que le temps est court pour démêler une affaire si enveloppée que celle de vos comptes et de votre vie! je ne parle point en ce lieu, ni de votre famille qui vous distrait, ni de la maladie qui vous accable, ni de la crainte qui vous étonne, ni des vapeurs qui vous offusquent, ni des douleurs qui vous pressent : je ne regarde que l'empressement. Écoutez de quelle force on frappe à la porte; on la rompra bientôt,

Aug. in Ps. CXXXVI, no 9; tom. Iv, col. 1518.

si l'on n'ouvre. Sentence sur sentence, ajournement sur ajournement, pour vous appeler devant Dieu et devant sa chambre de justice. Écoutez avec quelle presse il vous parle par son prophète : « La fin est venue, la fin << est venue; maintenant la fin est sur toi : » Finis venit, venit finis; nunc finis super te : « et j'enverrai ma fureur «< contre toi, et je te jugerai selon tes voies; et tu sauras << que je suis le Seigneur: » Et immitam furorem meum in te, et scietis quia ego Dominus1. O Seigneur, que vous me pressez! encore une nouvelle recharge : « La fin est ve« nue, la fin est venue; la justice, que tu croyais endor« mie, s'est éveillée contre toi; la voilà qu'elle est à la « porte: » Finis venit, venit finis; evigilavit adversum te : ecce venit. « Le jour de vengeance est proche. » Toutes les terreurs te semblaient vaines, et toutes les menaces trop éloignées; et «< maintenant, dit le Seigneur, je te frapperai « de près, et je mettrai tous tes crimes sur ta tête, et tu << sauras que je suis le Seigneur qui frappe : » Venit tempus; prope est dies occisionis : nunc de propinquo effundam iram meam super te : et imponam tibi omnia scelera tua, et scietis quia ego sum Dominus percutiens. Tels sont, messieurs, les ajournements par lesquels Dieu nous appelle à son tribunal et à sa chambre de justice. Mais enfin voici le jour qu'il faut comparaître : Ecce dies, ecce venit, egressa est contritio*. L'ange qui préside à la mort recule d'un moment à l'autre, pour étendre le temps de la pénitence: mais enfin il vient un ordre d'en haut: Fac conclusionem: Pressez, concluez; l'audience est ouverte, le Juge est assis: criminel, venez plaider votre cause. Mais que vous avez peu de temps pour vous préparer! O Dieu, que le temps est court, pour démêler une affaire si en

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veloppée que celle de vos comptes et de votre vie! ah! que vous jetterez de cris superflus! ah! que vous soupirerez amèrement après tant d'années perdues! Vainement, inutilement, il n'y a plus de temps pour vous; vous entrez au séjour de l'éternité. Voyez qu'il n'y a plus de soleil visible qui commence et qui finisse les jours, les saisons, les années. Rien ne finit en cette contrée; c'est le Seigneur lui-même qui va commencer de mesurer toutes choses par sa propre infinité. Je vous vois étonné et éperdu en présence de votre Juge : mais regardez encore vos accusateurs; ce sont les pauvres, qui vont s'élever contre votre dureté inexorable.

(Deux. Serm. pour le jeudi de la 2o sem. de Carême.)

DE LA DURETÉ DU COEUR.

Voyez, dit saint Augustin, les buissons hérissés d'épines, qui font horreur à la vue; la racine en est douce, et ne pique pas; mais c'est elle qui pousse ces pointes perçantes qui piquent, qui déchirent les mains, et qui les ensanglantent si violemment ainsi l'amour des plaisirs. Quand j'écoute parler les voluptueux dans le livre de la Sapience, je ne vois rien de plus agréable ni de plus riant : ils ne parlent que de fleurs, que de festins, que de danses, que de passe-temps. Coronemus nos rosis1: « Couronnons nos têtes de fleurs, avant «< qu'elles soient flétries. » Il invitent tout le monde à leur bonne chère, et ils veulent leur faire part de leurs plaisirs Nemo nostrum exors sit luxuriæ nostræ2. Que leurs paroles sont douces ! que leur humeur est enjouée! que leur compagnie est désirable! Mais si vous laissez pousser cette racine, les épines sortiront bientôt : car

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écoutez la suite de leurs discours : « Opprimons, ajoutentils, « le juste et le pauvre : » Opprimamus pauperem justum1. «Ne pardonnons point ni à la veuve, » ni à l'orphelin. Quel est ce changement, et qui aurait jamais attendu d'une douceur si plaisante une cruauté si impitoyable? C'est le génie de la volupté; elle se plaît à opprimer le juste et le pauvre, le juste qui lui est contraire, le pauvre qui doit être sa proie : c'est-à-dire on la contredit, elle s'effarouche: elle s'épuise elle-même, il faut bien qu'elle se remplisse par des pilleries; et voilà cette volupté si commode, si aisée et si indulgente, devenue cruelle et insupportable.

Vous direz sans doute que vous êtes bien éloignés de ces excès; et je crois facilement qu'en cette assemblée, et à la vue d'un roi si juste, de telles inhumanités n'oseraient paraître : mais sachez que l'oppression des faibles et des innocents n'est pas tout le crime de la cruauté. Le mauvais riche nous fait bien connaître qu'outre cette ardeur furieuse qui étend les mains aux violences, elle a encore sa dureté qui ferme les oreilles aux plaintes, les entrailles à la compassion, et les mains au secours. C'est, messieurs, cette dureté qui fait des voleurs sans dérober, et des meurtriers sans verser de sang. Tous les saints Pères disent d'un commun accord que ce riche inhumain de notre évangile a dépouillé le pauvre Lazare, parce qu'il ne l'a pas revêtu : qu'il l'a égorgé cruellement, parce qu'il ne l'a pas nourri: Quia non pavisti, occidisti. Et cette dureté meurtrière est née de son abondance et de ses délices. O Dieu clément et juste! ce n'est pas pour cette raison que vous avez communiqué aux grands de la terre un rayon de votre puissance; vous les avez faits grands, pour servir de pères à vos pauvres :

I Sap., LI, 10. 2 Lactant. Divin. Instit. lib. VI, cap. xi.

CHEFS-D'OEUV. DE BOSS.-T. II.

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