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c'est-à-dire par l'amour : là est la force et le courage; car il n'y a rien qu'on ne souffre pour l'amour de Dieu : là se trouve la tempérance parfaite; car on ne peut plus goûter les plaisirs des sens, qui dérobent à Dieu les cœurs et l'attention des esprits : là on commence à faire justice à Dieu, au prochain et à soi-même; à Dieu, parce qu'on lui rend tout ce qu'on lui doit en l'aimant plus que soi-même; au prochain, parce qu'on commence à l'aimer véritablement, non pour soi-même, mais comme soi-même, après qu'on a fait l'effort de renoncer à soi-même; enfin on se fait justice à soi-même, parce qu'on se donne de tout son cœur à qui on appartient naturellement. Mais, en se donnant de la sorte, on acquiert le plus grand de tous les biens, et on a ce merveilleux avantage d'être heureux par le même objet qui fait la félicité de Dieu.

L'amour de Dieu fait donc naître toutes les vertus; et pour les faire subsister éternellement, il leur donne pour fondement l'humilité. Demandez à ceux qui ont dans le cœur quelque passion violente, s'ils conservent quelque orgueil ou quelque fierté en présence de ce qu'ils aiment; on ne se soumet que trop, on n'est que trop humble. L'âme possédée de l'amour de Dieu, transportée par cet amour hors d'elle-même, n'a garde de songer à elle, ni par conséquent de s'enorgueillir; car elle voit un objet au prix duquel elle se compte pour rien, et en est tellement éprise qu'elle le préfère à ellemême, non-seulement par raison, mais par amour.

Mais voici de quoi l'humilier plus profondément encore attachée à ce divin objet, elle voit toujours audessous d'elle deux gouffres profonds: le néant, d'où elle est tirée; et un autre néant plus affreux encore, c'est le péché, où elle peut retomber sans cesse pour peu qu'elle s'éloigne de Dieu, et qu'elle l'oblige de la quitter.

Elle considère que, si elle est juste, c'est Dieu qui la fait telle continuellement. Saint Augustin ne veut pas qu'on dise que Dieu nous a faits justes; mais il dit qu'il nous fait justes à chaque moment'. Ce n'est pas, dit-il, comme un médecin qui, ayant guéri son malade, le laisse dans une santé qui n'a plus besoin de son secours; c'est comme l'air qui n'a pas été fait lumineux pour le demeurer ensuite par lui-même, mais qui est fait tel continuellement par le soleil. Ainsi l'âme attachée à Dieu sent continuellement sa dépendance, et sent que la justice qui lui est donnée ne subsiste pas toute seule, mais que Dieu la crée en elle à chaque instant : de sorte qu'elle se tient toujours attentive de ce côté-là; elle demeure toujours sous la main de Dieu, toujours attachée au gouvernement et comme au rayon de sa grâce. En cet état elle se connaît, et ne craint plus de périr de la manière dont elle le craignait auparavant : elle sent qu'elle est faite pour un objet éternel, et ne connaît plus de mort que le péché.

Il faudrait ici vous découvrir la dernière perfection de l'amour de Dieu; il faudrait vous montrer cette âme détachée encore des chastes douceurs qui l'ont attirée à Dieu, et possédée seulement de ce qu'elle découvre en Dieu même, c'est-à-dire de ses perfections infinies. Là se verrait l'union de l'âme avec un Jésus délaissé ; là s'entendrait la dernière consommation de l'amour divin dans un endroit de l'âme si profond et si retiré, que les sens n'en soupçonnent rien, tant il est éloigné de leur région : mais, pour expliquer cette matière, il faudrait tenir un langage que le monde n'entendrait pas.

Finissons donc ce discours, et permettez qu'en le finissant je vous demande, messieurs, si les saintes vé

1 De Gen. ad litt., lib. vIII, no 25; tom. 11, part. 1, col. 234.

rités que j'ai annoncées ont excité en vos cœurs quelque étincelle de l'amour divin. La vie chrétienne que je vous propose si pénitente, si mortifiée, si détachée des sens et de nous-mêmes, vous paraît peut-être impossible. Peut-on vivre, direz-vous, de cette sorte? peut-on renoncer à ce qui plaît? On vous dira de là-haut1 qu'on peut quelque chose de plus difficile, puisqu'on peut embrasser tout ce qui choque. Mais pour le faire, direzvous, il faut aimer Dieu; et je ne sais si on peut le connaître assez pour l'aimer autant qu'il faudrait. On vous dira de là-haut qu'on en connaît assez pour l'aimer sans bornes. Mais peut-on mener dans le monde une telle vie? Oui, sans doute, puisque le monde même vous désabuse du monde : ses appas ont assez d'illusions, ses faveurs assez d'inconstance, ses rebuts assez d'amertume; il y a assez d'injustice et de perfidie dans le procédé des hommes, assez d'inégalités et de bizarreries dans leurs humeurs incommodes et contrariantes; c'en est assez sans doute pour nous dégoûter.

Hé! dites-vous, je ne suis que trop dégoûté : tout me dégoûte en effet, mais rien ne me touche; le monde me déplaît, mais Dieu ne me plaît pas pour cela. Je connais cet état étrange, malheureux et insupportable, mais trop ordinaire dans la vie. Pour en sortir, àmes chrétiennes, sachez que qui cherche Dieu de bonne foi ne manque jamais de le trouver; sa parole y est expresse : << Celui qui frappe, on lui ouvre; celui qui demande, << on lui donne; celui qui cherche, il trouve infailli«<blement. » Si donc vous ne trouvez pas, sans doute vous ne cherchez pas. Remuez jusqu'au fond de votre cœur les plaies du cœur ont cela qu'elles peuvent être

*Madame de la Vallière était à la grille d'en haut avec la reine. 2 Matt., II,

sondées jusqu'au fond, pourvu qu'on ait le courage de les pénétrer. Vous trouverez dans ce fond un secret orgueil qui vous fait dédaigner tout ce qu'on vous dit, et tous les sages conseils; vous trouverez un esprit de raillerie inconsidérée, qui naît parmi l'enjouement des conversations. Quiconque en est possédé croit que toute la vie n'est qu'un jeu : on ne veut que se divertir; et la face de la raison, si je puis parler de la sorte, paraît trop sérieuse et trop chagrine.

Mais à quoi est-ce que je m'étudie? à chercher des causes secrètes du dégoût que vous donne la piété? Il y en a de plus grossières et de plus palpables: on sait quelles sont les pensées qui arrêtent le monde ordinairement. On n'aime point la piété véritable; parce que, contente des biens éternels, elle ne donne point d'établissement sur la terre, elle ne fait point la fortune de ceux qui la suivent. C'est l'objection ordinaire que font à Dieu les hommes du monde : mais il y a répondu, d'une manière digne de lui, par la bouche du prophète Malachie': «Vos paroles se sont élevées contre moi, dit << le Seigneur; et vous avez répondu : Quelles paroles << avons-nous proférées contre vous? Vous avez dit : << Celui qui sert Dieu se tourmente en vain : quel bien << nous est-il revenu d'avoir gardé ses commandements, « et d'avoir marché tristement devant sa face? Les << hommes superbes et entreprenants sont heureux; car « ils se sont établis en vivant dans l'impiété, et ils ont << tenté Dieu en songeant à se faire heureux malgré ses «<lois, et ils ont fait leurs affaires. >>

Voilà l'objection des impies, proposée dans toute sa force par le Saint-Esprit. « A ces mots, poursuit le «prophète, les gens de bien étonnés se sont parlé se«< crètement les uns aux autres. » Personne sur la terre

1 Mal., 1, 13 et seq.

n'ose entreprendre, ce semble, de répondre aux impies qui attaquent Dieu avec une audace si insensée ; mais Dieu répondra lui-même : « Le Seigneur a prêté « l'oreille à ces choses, dit le prophète, et il les a ouïes: <«< il a fait un livre où il écrit les noms de ceux qui le « servent; et en ce jour où j'agis, dit le Seigneur des «< armées, c'est-à-dire en ce dernier jour où j'achève << tous mes ouvrages, où je déploie ma miséricorde et << ma justice; en ce jour, dit-il, les gens de bien seront << ma possession particulière; je les traiterai comme << un bon père traite un fils obéissant. Alors vous vous << retournerez, o impies, vous verrez de loin leur féli« cité, dont vous serez exclus pour jamais; et vous ver<< rez alors quelle différence il y a entre le juste et l'im« pie, entre celui qui sert Dieu et celui qui méprise << ses lois. » C'est ainsi que Dieu répond aux objections des impies. Vous n'avez pas voulu croire que ceux qui me servent puissent être heureux : vous n'en avez cru ni ma parole, ni l'expérience des autres; votre expérience vous en convaincra; vous les verrez heureux, et vous vous verrez misérables: Hæc dicit Dominus faciens hæc: « C'est ce que dit le Seigneur; il l'en faut croire: «< car lui-même qui le dit, c'est lui qui le fait; » et c'est ainsi qu'il fait taire les superbes et les incrédules.

Serez-vous assez heureux pour profiter de cet avis, et pour prévenir sa colère? Allez, messieurs, et pensez-y: ne songez point au prédicateur qui vous a parlé, ni s'il a bien dit, ni s'il a mal dit : qu'importe qu'ait dit un homme mortel? Il y a un prédicateur invisible qui prêche dans le fond des cœurs; c'est celui-là que les prédicateurs et les autres auditeurs doivent écouter. C'est lui qui parle intérieurement à celui qui parle au dehors, et c'est lui que doivent entendre au dedans du cœur tous ceux qui prêtent l'oreille aux discours sacrés. Le prédicateur, qui parle au dehors, ne fait qu'un seul sermon

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