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Mais prenez bien garde, messieurs, qu'il faut ici observer plus que jamais le précepte que nous donne l'Ecclésiastique. «<Le sage qui entend, dit-il1, une parole <«< sensée, la loue, et se l'applique à lui-même : » il ne regarde pas à droite et à gauche, à qui elle peut convenir; il se l'applique à lui-même, et il en fait son profit. Ma sœur, parmi les choses que j'ai à dire, vous saurez bien démêler ce qui vous est propre. Faites-en de même, chrétiens, suivez avec moi l'amour de soi-même dans tous ses excès; voyez jusqu'à quel point il vous a gagnés par ses douceurs dangereuses. Considérez ensuite une âme qui, après s'être ainsi égarée, commence à revenir sur ses pas, qui abandonne peu à peu tout ce qu'elle aimait, et qui, laissant enfin tout au-dessous d'elle, ne se réserve plus que Dieu seul. Suivez-la dans tous les pas qu'elle fait pour retourner à lui, et voyez si vous avez fait quelque progrès dans cette voie; voilà ce que vous aurez à considérer. Entrons d'abord au fond de notre matière ; je ne veux pas vous tenir longtemps en suspens.

PREMIER POINT.

L'homme que vous voyez si attache à lui-même par son amour-propre, n'a pas été créé avec ce défaut. Dans son origine, Dieu l'avait fait à son image: et ce nom d'image lui doit faire entendre qu'il n'était pas fait pour lui-même; une image est toute faite pour son original. Si un portrait pouvait tout d'un coup devenir animé, comme il ne se verrait aucun trait qui ne se rapportât à celui qu'il représente, il ne vivrait que pour lui seul, et ne respirerait que sa gloire. Et toutefois ces portraits que nous animons se trouveraient obligés à

Eccli., xx1, 18.

partager leur amour entre les originaux qu'ils représentent, et le peintre qui les a faits. Mais nous ne sommes point dans cette peine : nous sommes les images de notre auteur, et celui qui nous a faits nous a faits aussi à sa ressemblance: ainsi en toute manière nous nous devons à lui seul, et c'est à lui seul que notre âme doit être attachée.

En effet, quoique cette âme soit défigurée, quoique cette image de Dieu soit comme effacée par le péché, si nous en cherchons bien tous les anciens traits, nous reconnaîtrons, nonobstant sa corruption, qu'elle ressemble encore à Dieu, et que c'est pour Dieu qu'elle est faite. O âme! vous connaissez et vous aimez; c'est là ce que vous avez de plus essentiel, et c'est par là que vous ressemblez à votre auteur, qui n'est que connaissance et qu'amour. Mais la connaissance est donnée pour entendre ce qu'il y a de plus vrai, comme l'amour est donné pour aimer ce qu'il y a de meilleur. Qu'est-ce qu'il y a de plus vrai que celui qui est la vérité même ? et qu'y a-t-il de meilleur que celui qui est la bonté même ? L'âme est donc faite pour Dieu : c'est à lui qu'elle devait se tenir attachée, et comme suspendue, par sa connaissance et par son amour; c'est ainsi qu'elle est l'image de Dieu. Il se connaît lui-même, il s'aime luimême; et c'est là sa vie : et l'âme raisonnable devait vivre aussi en le connaissant et en l'aimant. Ainsi, par sa naturelle constitution, elle était unie à son auteur, et devait faire sa félicité de celle d'un être si parfait et si bienfaisant ; en cela consistait sa doctrine et sa force. Enfin, c'est par là qu'elle était riche; parce que, encore qu'elle n'eût rien de son propre fonds, elle possédait un bien infini par la libéralité de son auteur; c'est-à-dire qu'elle le possédait lui-même, et le possédait d'une manière si assurée, qu'elle n'avait qu'à l'aimer persévé

ramment pour le posséder toujours; puisque aimer un si grand bien, c'est ce qui en assure la possession, ou plutôt c'est ce qui la fait.

Mais elle n'est pas demeurée longtemps en cet état. Cette âme, qui était heureuse parce que Dieu l'avait faite à son image, a voulu non lui ressembler, mais être absolument comme lui. Heureuse qu'elle était de connaître et d'aimer celui qui se connaît et s'aime éternellement, elle a voulu, comme lui, faire elle-même sa félicité. Hélas! qu'elle s'est trompée! et que sa chute a été funeste! Elle est tombée de Dieu sur elle-même. Que fera Dieu pour la punir de sa défection? il lui donnera ce qu'elle demande se cherchant elle-même, elle se trouvera elle-même. Mais en se trouvant ainsi elle-même, étrange confusion! elle se perdra bientôt elle-même; car voilà que déjà elle commence à se méconnaitre : transportée de son orgueil, elle dit: Je suis un Dieu, et je me suis faite moi-même. C'est ainsi que le prophète fait parler les âmes hautaines, qui mettent leur félicité dans leur propre grandeur et dans leur propre excellence 1.

En effet, il est véritable que, pour pouvoir dire : Je veux être content de moi-même et me suffire à moimême, il faut aussi pouvoir dire : Je me suis fait moimême, ou plutôt, je suis de moi-même. Ainsi l'âme raisonnable veut être semblable à Dieu par un attribut qui ne peut convenir à aucune créature, c'est-à-dire par l'indépendance et par la plénitude de l'être. Sortie de son état pour avoir voulu être heureuse indépendamment de Dieu, elle ne peut ni conserver son ancienne et naturelle félicité, ni arriver à celle qu'elle poursuit vainement. Mais, comme ici son orgueil la

1 Ezech., XXVIII, 2; xxix, 9.

trompe, il faut lui faire sentir par quelque autre endroit sa pauvreté et sa misère: il ne faut pour cela que la laisser quelque temps à elle-même; cette âme, qui s'est tant aimée et tant cherchée, ne se peut plus supporter aussitôt qu'elle est seule avec elle-même; sa solitude lui fait horreur; elle trouve en elle-même un vide infini, que Dieu seul pouvait remplir; si bien qu'étant séparée de Dieu, que son fonds réclame sans cesse, tourmentée par son indigence, l'ennui la dévore, le chagrin la tue; il faut qu'elle cherche des amusements au dehors, et jamais elle n'aura de repos si elle ne trouve de quoi s'étourdir: tant il est vrai que Dieu la punit par son propre déréglement, et que, pour s'être cherchée ellemême, elle devient elle-même son supplice. Mais elle ne peut pas demeurer en cet état, tout triste qu'il est; il faut qu'elle tombe encore plus bas; et voici comment.

Représentez-vous un homme qui est né dans les richesses, et qui les a dissipées par ses profusions; il ne peut souffrir sa pauvreté : ces murailles nues, cette table dégarnie, cette maison abandonnée, où on ne voit plus cette foule de domestiques, lui fait peur; pour se cacher à lui-même sa misère, il emprunte de tous côtés; il remplit par ce moyen, en quelque façon, le vide de sa maison, et soutient l'éclat de son ancienne abondance. Aveugle et malheureux, qui ne songe pas que tout ce qui l'éblouit menace sa liberté et son repos! Ainsi l'âme raisonnable, née riche par les biens que lui avait donnés son auteur, et appauvrie volontairement pour s'être cherchée elle-même, réduite à ce fonds étroit et stérile, tâche de tromper le chagrin que lui cause son indigence, et de réparer ses ruines en empruntant de tous côtés de quoi se remplir.

Elle commence par son corps et par ses sens, parce qu'elle ne trouve ren qui lui soit plus proche. Ce

corps qui lui est uni si étroitement, mais qui toutefois est d'une nature si inférieure à la sienne, devient le plus cher objet de ses complaisances. Elle tourne tous ses soins de ce côté-là; le moindre rayon de beauté qu'elle y aperçoit suffit pour l'arrêter: elle se mire, pour ainsi parler, et se considère elle-même dans ce corps elle croit voir, dans la douceur de ces regards et de ce visage, la douceur d'une humeur paisible; dans la délicatesse des traits, la délicatesse de l'esprit; dans ce port et cette mine relevée, la grandeur et la noblesse du courage. Faible et trompeuse image sans doute; mais enfin la vanité s'en repaît. A quoi es-tu réduite, âme raisonnable? Toi qui étais née pour l'éternité et pour un objet immortel, tu deviens éprise et captive d'une fleur que le soleil dessèche, d'une vapeur que le vent emporte; en un mot, d'un corps qui, par sa mortalité, est devenu un empêchement et un fardeau à l'esprit.

Elle n'est pas plus heureuse en jouissant des plaisirs que ses sens lui offrent : au contraire, elle s'appauvrit dans cette recherche, puisque, en poursuivant le plaisir, elle perd d'abord la raison. Le plaisir est un sentiment qui nous transporte, qui nous enivre, qui nous saisit indépendamment de la raison, et nous entraine malgré ses lois. La raison, en effet, n'est jamais si faible que lorsque le plaisir domine; et ce qui marque une opposition éternelle entre la raison et le plaisir, c'est que, pendant que la raison demande une chose, le plaisir en exige une autre ainsi l'âme, devenue captive du plaisir, est devenue en même temps ennemie de la raison. Voilà où elle est tombée quand elle a voulu emprunter des sens de quoi réparer ses pertes: mais ce n'est là encore la fin de ses maux. Ces sens, pas aui elle emprunte, empruntent eux-mêmes de tous cô

de

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