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ou pour expliquer, ou enfin pour perfectionner les lu

mières de la nature.

Là il me serait aisé de vous faire voir que Dieu étant souverainement juste, il gouverne et le monde en général, et le genre humain en particulier par une justice éternelle; et que c'est cette attache immuable qu'il a à ses propres lois, qui fait remarquer dans l'univers un esprit d'uniformité et d'égalité, qui se soutient de soimême au milieu des agitations et des variétés infinies de la nature muable. Ensuite nous verrions, messieurs, comme la justice découle sur nous de cette source céleste, pour faire en nos âmes l'un des plus beaux traits de la divine ressemblance; et de là nous conclurions que nous devons imiter, par un amour ferme et inviolable de l'équité et des lois, cette constante uniformité de la justice divine. D'où il s'ensuit que tout homme juste doit être constant; mais que ceux-là le doivent être plus que tous les autres, qui sont les juges du monde, et qui, étant pour cette raison appelés dans l'Écriture les dieux de la terre, doivent faire reluire dans leur fermeté une image de l'immutabilité de ce premier Étre, dont ils représentent parmi les hommes la grandeur et la majesté.

Mais comme je me propose de descendre par des principes connus à des vérités de pratique, je laisse toutes ces hautes spéculations, pour vous dire, chrétiens, que la justice étant définie, comme tout le monde sait, << une volonté constante et perpétuelle de donner à cha<«< cun ce qui lui appartient, » constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi1, il est aisé de connaître que l'homme juste doit être ferme, puisque même la fermeté est comprise dans la définition de la justice.

Inst., lib. I, tit. 1.

Et certainement, chrétiens, comme par le nom de vertus nous prétendons désigner non quelque acte passager, ou quelque disposition changeante, mais quelque chose de fixe et de permanent, c'est-à-dire une habitude formée, il est aisé de juger que quelque inclination que nous ayons pour le bien, elle ne mérite pas le nom de vertu jusqu'à ce qu'elle se soit affermie constamment dans notre cœur, et qu'elle ait pris, pour ainsi parler, tout à fait racine. Mais outre cette fermeté que doit tirer la justice du génie commun de la vertu, elle y est encore obligée par son caractère particulier : à cause qu'elle consiste dans une certaine égalité envers tous, qui demande, pour se soutenir, un esprit ferme et vigoureux, qui ne puisse être ébranlé par la complaisance, ni par l'intérêt, ni par aucune autre faiblesse humaine, et une résolution arrêtée de ne s'écarter jamais des maximes justement posées. Or il est clair que, pour soutenir cette égalité, il faut quelque chose de ferme; autrement on déclinera tantôt à droite et tantôt à gauche on regardera les visages contre le précepte de la loi1; c'est-à-dire qu'on opprimera le faible qui est sans défense, et qu'on ne craindra d'entreprendre que contre celui qui a du crédit.

En effet, il est remarquable que si l'on ne marche d'un pas égal dans le chemin de la justice, ce qu'on fait même justement devient odieux. Par exemple, si un magistrat n'exagère la rigueur des ordonnances que contre ceux qui lui déplaisent; si un bon droit lui paraît toujours embrouillé jusqu'à ce que le riche parle; si le pauvre, quelque effort qu'il fasse, ne peut jamais se faire entendre, et se voit malheureusement distingué d'avec le puissant dans un intérêt qu'ils ont commun :

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c'est en vain que ce magistrat se vante quelquefois d'avoir bien jugé; l'inégalité de sa conduite fait que la justice n'avoue pas pour sien, même ce qu'il fait selon les règles: elle a honte de ne lui servir que de prétexte; et jusqu'à ce qu'il devienne égal à tous, sans acception de personne, la justice qu'il refuse à l'un convainc d'une manifeste partialité celle qu'il se glorifie de rendre à l'autre.

Mais il y a encore une autre raison qui a obligé les jurisconsultes à faire entrer la fermeté dans la définition de la justice; c'est pour l'opposer davantage à son ennemi capital, qui est l'intérêt. L'intérêt, comme vous savez, n'a point de maximes fixes; il suit les inclina-. tions, il change avec les temps, il s'accommode aux affaires: tantôt ferme, tantôt relâché, et ainsi toujours variable. Au contraire, l'esprit de justice est un esprit de fermeté, parce que, pour devenir juste, il faut entrer dans l'esprit qui a fait les lois, c'est-à-dire dans un esprit immortel, qui, s'élevant au-dessus des temps et des affections particulières, subsiste toujours égal, malgré le changement des affaires.

Concluons donc, chrétiens, que la justice doit être ferme et inébranlable: mais pour descendre au détail de ces obligations, disons que le genre humain étant partagé en deux conditions différentes, je veux dire entre les personnes publiques et les personnes particulières, c'est le devoir commun des uns et des autres de garder inviolablement la justice; mais que ceux qui ont en main, ou le tout, ou quelque partie de l'autorité publique, ont cela de plus, qu'ils sont obligés d'être fermes, non- seulement à la garder, mais encore à la protéger et à la rendre.

Qui pourrait maintenant vous dire de quelle sorte et par quels artifices l'intérêt attaque l'intégrité de la justice,

tente la pudeur, affaiblit sa force, et corrompt enfin sa pureté ? Ce n'est pas un ouvrage fort pénible, que de connaître et de condamner les injustices des autres : nous les voyons détestées par une clameur universelle ; mais se détacher de soi-même, pour juger droitement de ses actions, c'est là véritablement le grand effort de la raison et de la justice. Qui nous donnera, chrétiens, `non ce point appuyé hors de la terre, que demandait ce grand géomètre1, pour la remuer hors de son centre; mais un point hors de nous-mêmes, pour nous regarder d'un même œil que nous regardons les autres, et arrêter dans notre cœur tant de mouvements irréguliers que l'intérêt y fait naître ? Quelle horreur aurions-nous de nos injustices, de nos usurpations, de nos tromperies? Mais, hélas! où trouverons-nous ce point de détachement, pour sortir nous-mêmes hors de nous-mêmes, et nous voir d'un œil équitable et d'un regard désintéressé? La nature ne le donne pas, nous n'écoutons pas la grâce c'est pourquoi c'est en vain que la raison dicte, que la loi publie, que l'Évangile confirme cette loi si naturelle et si divine tout ensemble: « Ne faites « point à autrui ce que vous ne voulez pas qui vous soit << fait. » Nul ne veut sortir de soi-même pour entrer dans cette mesure commune du genre humain : celui-là, ébloui de sa fortune, ne peut se résoudre de descendre de sa superbe hauteur, pour se mesurer avec personne. Mais pourquoi parler ici de la grandeur? chacun se fait grand à ses yeux, chacun se tire du pair, chacun a des raisons particulières par lesquelles il se distingue des autres.

Je parle premièrement à tous les hommes, et je leur dis à tous, de la part de Dieu : 0 hommes! quels que

Archimède de Syracuse.

2 Tob., IV, 15. Luc., vi, 51.

vous soyez, et quelque sort qui vous soit échu par l'ordre de Dieu dans le grand partage qu'il a fait du monde, soit que sa providence vous ait laissés dans le repos d'une vie privée, soit que, vous tirant du pair, elle ait mis sur vos épaules, avec de grandes charges, de grands périls et de grands comptes à rendre ; puisque vous vivez tous en société sous l'empire suprême de Dieu, n'entreprenez rien les uns sur les autres, et écoutez les belles paroles que vous adresse à tous le divin Psalmiste: Si vere utique justitiam loquimini, recta judicate, filii hominum1. « Si « c'est véritablement que vous parlez de la justice, ju<< gez donc droitement, ô enfants des hommes! » Permettez-moi, chrétiens, de paraphraser ces paroles, sans me départir toutefois du littéral, et de vous dire avec David: O hommes! vous avez toujours à la bouche l'équité et la justice; dans vos affaires, dans vos assemblées, dans vos entretiens, on entend partout retentir ce nom sacré; et si peu qu'on vous blesse dans vos intérêts, vous ne cesserez d'appeler la justice à votre secours : mais si c'est sincèrement et de bonne foi que vous parlez de la sorte, si vous regardez la justice comme l'unique asile de la vie humaine, et que vous croyiez avoir raison de recourir, quand on vous fait tort, à ce refuge commun du bon droit et de l'innocence, jugez-vous donc vous-mêmes équitablement, et ne vous laissez pas aveugler par votre intérêt; contenez-vous dans les limites qui vous sont données, et ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. Car en effet, chrétiens, qu'y a-t-il de plus violent et de plus inique, que crier à l'injustice, et d'appeler toutes les lois à notre secours, si peu qu'on nous touche, pendant que nous ne craignons pas d'attenter hautement sur le droit d'autrui;

I Ps. LVII, 1.

de

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