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l'esprit humain, qui, dans le temps qù il est, pour ainsi parler, le plus balancé par l'indifférence, se laisse toujours gagner plus facilement par le penchant de la haine. Je n'ai pas assez de temps pour peser cette circonstance; mais je ne puis omettre en ce lieu ce que souffre le divin Sauveur par l'ambition et la politique du monde, pour expier les péchés que fait faire la politique : toujours, si l'on n'y prend garde, elle condamne la vérité, elle affaiblit et corrompt malheureusement les meilleures intentions. Pilate nous le fait bien voir, en se laissant lâchement surprendre aux piéges que tendent les Juifs à son ambition tremblante.

Ces malheureux savent joindre si adroitement à leurs passions les intérêts de l'État, le nom et la majesté de César, qui n'y pensait pas, que Pilate reconnaissant l'innocence, et toujours prêt à l'absoudre, ne laisse pas néanmoins de le condamner. Oh! que la passion est hardie, quand elle peut prendre le prétexte du bien de l'État! oh! que le nom du prince fait souvent des injustices et des violences qui feraient horreur à ses mains, et dont néanmoins quelquefois elles sont souillées, parce qu'elles les appuient, ou du moins qu'elles négligent de les réprimer! Dieu préserve de tels péchés le plus juste de tous les rois, et que son nom soit si vénérable, qu'il soit toujours si saintement et si respectueusement ménagé, que, bien loin d'opprimer personne, il soit l'espérance et la protection de tous les opprimés, jusqu'aux provinces les plus éloignées de son empire!

Mais reprenons le fil de notre discours, et admirons ici, chrétiens, en Pilate la honteuse et misérable faiblesse d'une vertu mondaine et politique. Pilate avait quelque probité et quelque justice : il avait même quelque force et quelque vigueur; il était capable de résister aux persuasions des pontifes et aux cris d'un peuple

mutiné. Combien s'admire la vertu mondaine, quand elle peut se soutenir en de semblables rencontres! Mais voyez que la vertu même, quelque forte qu'elle nous paraisse, n'est pas digne de porter ce nom, jusqu'à ce qu'elle soit capable de toute sorte d'épreuves. C'était beaucoup, ce me semble, à Pilate d'avoir résisté à un tel concours et à une telle obstination de toute la nation judaïque, et d'avoir pénétré leur envie cachée, malgré tous leurs beaux prétextes; mais parce qu'il n'est pas capable de soutenir le nom de César, qui n'y pense pas, et qu'on oppose mal à propos au devoir de sa conscience, tout l'amour de la justice lui est inutile; sa faiblesse a le même effet qu'aurait la malice; elle lui fait flageller, elle lui fait condamner, elle lui fait crucifier l'innocence même; ce qu'aurait pu faire de pis une iniquité déclarée, la crainte le fait entreprendre à un homme qui paraît juste. Telles sont les vertus du monde : elles se soutiennent vigoureusement, jusqu'à ce qu'il s'agisse d'un grand intérêt; mais elles ne craignent point de se relâcher pour faire un coup d'importance. O vertus indignes d'un nom si auguste! ô vertus, qui n'avez rien par-dessus les vices, qu'une faible et misérable apparence!

Qu'il me serait aisé, chrétiens, de vous faire voir, en ce lieu, que la plupart des vertus du monde sont des vertus de Pilate; c'est-à-dire un amour imparfait de la vérité et de la justice! On les estime, on'en parle, on en veut savoir les devoirs; mais faiblement et nonchalamment. On demande, à la façon de Pilate : « Qu'est-ce «<< que la vérité1? » et aussitôt on se lève sans avoir reçu la réponse. C'est assez qu'on s'en soit enquis en passant, et seulement pour la forme; mais on ne veut pas pé

1 Joan., XVIII, 38.

nétrer le fond. Ainsi l'on ignore la vérité, ou l'on ne la sait qu'à demi; et la savoir à demi, c'est pis que de l'ignorer tout entière, parce que cette connaissance imparfaite fait qu'on pense avoir accompli ce qui souvent n'est pas commencé. C'est ainsi qu'on vit dans le monde; et, manque de s'être affermi dans un amour constant de la vérité, on étale magnifiquement une vertu de parade dans de faibles occasions, qu'on laisse tout à coup tomber dans les occasions importantes.

Jésus donc, étant condamné par cette vertu imparfaite, nous apprend à expier ces défauts et ces faiblesses honteuses. Vous avez vu, ce me semble, toute la malignité de la créature, assez clairement déchaînée contre Jésus-Christ; vous l'avez vu accablé par ses amis, par ses ennemis, par ceux qui, étant en autorité, devaient protection à son innocence, par l'inconstance des uns, par la cruelle fermeté des autres, par la malice consommée, et par la vertu imparfaite. Il n'oppose rien à toutes ces insultes qu'un pardon universel qu'il accorde à tous, et qu'il demande pour tous. « Père, << dit-il, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils << font1. » Non content de pardonner à ses ennemis, sa divine bonté les excuse; elle plaint leur ignorance plus qu'elle ne blâme leur malice; et, ne pouvant excuser la malice même, elle donne tout son sang pour l'expier. A la vue d'un tel excès de miséricorde, y aurat-il quelque âme assez dure pour ne vouloir pas excuser tout ce qu'on nous a fait souffrir par faiblesse, pour ne vouloir pas pardonner tout ce qu'on nous a fait souffrir par malice? Ah! pardon, mes frères, pardon, grâce, miséricorde, indulgence en ce jour de rémission; et que personne ne laisse passer ce jour sans avoir donné

I Luc., XXIII,

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CHEFS-D'OEUV. DE BOSS. — T. II.

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à Jésus quelque injure insigne, et pardonné pour l'amour de lui quelque offense capitale.

Mais, au sujet de ces haines injustes, je me souviens, chrétiens, que je ne vous ai rien dit, dans tout ce discours, de ce que l'amour déshonnête avait fait souffrir au divin Jésus. Toutefois, je ne crains point de le dire, aucun crime du genre humain n'a plongé son âme innocente dans un plus grand excès de douleurs. Oui, ces passions ignominieuses font souffrir à notre Sauveur une confusion qui l'anéantit. C'est ce qui lui fait dire à son Père: « Vous connaissez les opprobres << dont ils m'ont chargé : » Tu scis improperium meum1. Ce trouble qui agite nos sens émus a causé à sa sainte âme ce trouble fâcheux qui lui a fait dire : « Mon âme « est troublée. » Cette intime attache au plaisir sensible qui pénètre la moelle de nos os, a rempli le fond de son cœur de tristesse et de langueur; et cette joie dissolue qui se répand dans les sens, a déchiré sa chair virginale par tant de cruelles blessures qui lui ont ôté la figure humaine, qui lui font dire par le saint Psalmiste : « Je suis un ver, et non pas un homme3. » Donc, ó délices criminelles, de combien d'horribles douleurs avez-vous percé le cœur de Jésus! Mais il faut aujourd'hui, mes frères, satisfaire à tous ces excès en nous plongeant dans le sang et dans les souffrances de JésusChrist: c'est, messieurs, ce qu'il nous ordonne, et c'est la dernière partie de son testament.

TROISIÈME POINT.

Quiconque veut avoir part à la grâce de ses douleurs, il doit en ressentir quelque impression: car ne croyez

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pas qu'il ait tant souffert pour nous faire aller au ciel à notre aise, et sans goûter l'amertume de sa passion. Il est vrai qu'il a soutenu le plus grand effort; mais il nous a laissé de moindres épreuves, et toutefois nécessaires pour entrer en conformité de son Esprit et être honorés de sa ressemblance.

C'est dans le sacrement de la pénitence que nous devons entrer en société des souffrances de Jésus-Christ. Le saint concile de Trente dit que les satisfactions que l'on nous impose doivent nous rendre conformes à Jésus-Christ crucifié1. Mon Sauveur, quand je vois votre tête couronnée d'épines, votre corps déchiré de plaies, votre âme percée de tant de douleurs, je dis souvent en moi-même : Quoi donc, une courte prière, ou quelque légère aumône, ou quelque effort médiocre, sont-ils capables de me crucifier avec vous? ne faut-il point d'autres clous pour percer mes pieds, qui tant de fois ont couru aux crimes, et mes mains, qui se sont souillées par tant d'injustices? Que si notre délicatesse ne peut supporter les peines du corps, que l'Église imposait autrefois à ses enfants par une discipline salutaire, récompensons-nous sur les cœurs pour honorer la douleur immense par laquelle le Fils de Dieu déplore nos crimes, brisons nos cœurs endurcis, par l'effort d'une contrition sans mesure. Jésus mourant nous y presse : car que signifie ce grand cri avec lequel il expire? Ah! mes frères, il agonisait, il défaillait peu à peu, attirant l'air avec peine d'une bouche toute livide, et traînant lentement les derniers soupirs par une respiration languissante: cependant il fait un dernier effort pour nous inviter à la pénitence; il pousse au ciel un grand cri, qui étonne toute la nature, et que

1 De Satisfact. necess., sess. XIV, cap. viii.

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