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LE CHRÉTIEN ÉVANGÉLIQUE

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Il n'est aucun de nous devant l'esprit duquel cette question ne se soit plus d'une fois posée. La Société pastorale suisse l'avait mise, il y a deux ans, à l'ordre du jour de sa réunion à Lausanne. J'eus l'honneur de rendre compte de cette discussion dans l'une de nos revues 2. Le travail que je vous présente maintenant ne sera guère que le développement des remarques que je me permis d'émettre à propos des deux rapports présentés par MM. H. Secrétan et Fayot. Je suis, je l'avoue, aujourd'hui plus qu'alors, frappé de l'actualité de cette question. On constate, sans doute, depuis quelque temps, dans la jeunesse

1 Ce discours a été lu à la séance de rentrée de la Faculté de théologie indépendante de Neuchâtel, le 6 octobre dernier.

• Chrétien évangélique du 20 septembre 1888.

NOVEMBRE 1890.

universitaire française, une tendance à se rapprocher des idées religieuses, on ne peut dire encore à revenir à des convictions chrétiennes. Mais, ce dernier cas se présentât-il, et le mouvement, à peine dessiné encore, prit-il les proportions d'un réveil religieux, il y a un autre phénomène dont il faudrait tenir grand compte. Si la religion reprend quelque empire sur les esprits devenus étrangers à l'Eglise, dans le sein de l'Eglise elle-même les convictions vont incontestablement s'affaiblissant. Où sont les robustes croyances des jours passés ? Où les croyants dont la foi, à de certaines heures, ne ressemble pas bien plus au doute qu'à la foi? Où les Eglises qui possèdent un corps de doctrines acceptées de tous leurs membres et... de tous leurs ministres ? Je ne parle pas des confessions de foi du xvre siècle, dont le règne est passé dès longtemps, mais des grandes doctrines professées par les chrétiens de tous les temps: divinité de Jésus-Christ, incarnation, expiation. A l'égard de tous ces points capitaux, le désarroi est dans les esprits, le trouble dans les âmes; et le doute, de ces hauteurs, descend par une lente infiltration jusqu'aux fondements de l'édifice : la chute, la révélation, le surnaturel, la personnalité même de Dieu et la responsabilité.

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A qui attribuer la faute d'une telle situation? A la critique biblique ? Dans une certaine mesure, oui. Mais l'attitude négative de la critique n'est elle-même que le symptôme d'un état d'esprit qui est propre à cette seconde moitié de siècle et qui tient à bien des causes : mœurs, progrès des sciences positives, philosophie déterministe.

Ne nous perdons pas dans l'étude des causes. Cherchons plutôt le remède au doute, le point fixe où appuyer notre foi. Ce point d'appui découvert nous permettra de reconstruire l'édifice de notre croyance tout entier, et, fût-il encore pour longtemps inachevé et plus semblable à une ruine qu'à un palais, tant que ce point fixe demeurera, toutes les restaurations de la foi seront possibles et pourront être espérées.

J'ose vous convier, messieurs les nouveaux étudiants, qui abordez, je l'espère, la théologie avec une foi positive en Jésus-Christ dans le cœur, à vous rendre compte des bases sur lesquelles elle repose; car votre développement moral et scientifique ne s'accomplira pas sans qu'elle ait à subir de sérieux assauts. Et vous, messieurs, qui avez déjà, depuis que vous étudiez la théologie, connu plus d'un doute angoissant, je vous invite à vous demander avec moi ce qui chez nous a finalement résisté au choc et vaincu le doute. Répondre à cette question, ce sera dire à ceux qui nous suivent comment nous en sommes sortis, comment on en sort. Vous ne serez pas surpris, après ce que je viens de dire, si mon exposé prend plutôt les allures d'un

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I

Sur quoi repose ma foi? Je ne puis évidemment répondre avec le catholique Sur l'autorité de l'Eglise. Cette autorité, il faudrait la démontrer tout d'abord, et ma foi aurait pour base une argumentation plus ou moins plausible. Du reste, moi protestant, je devrais demander avant tout: Où est l'Eglise? et, quelle que fût l'Eglise particulière qu'on me désignât comme étant en possession de la vérité, j'aurais de trop bonnes raisons de ne pas croire à son infaillibilité.

Répondrai-je plutôt que ma foi repose sur l'Ecriture sainte? Les doctrines scripturaires sont belles et sublimes : je demande si elles sont vraies. La Bible se présente comme un livre divin: je demande qu'on prouve son inspiration. L'orthodoxie protestante me fournira de la divinité de l'Ecriture des preuves qui ne seront pas sans force et ne laisseront pas de produire une sérieuse impression sur mon esprit. Mais je sens que si ma foi n'a pas d'autre base qu'une série de raisonnements, elle est fragile. Remarquez bien que je ne nie pas, que je ne mets même pas en question l'autorité de l'Ecriture; je dis seulement que je n'en puis faire la base de l'édifice de ma foi, le point de départ de ma certitude chrétienne, parce qu'elle a besoin elle-même d'être établie par des preuves; il me faut comme base une certitude plus immédiate, une évidence plus directe.

La trouverai-je peut-être, en me repliant sur moi-même, dans les expé

examen de conscience ou d'une profes-riences religieuses que je puis avoir

sion de foi que d'une dissertation scientifique.

faites? Les deux rapporteurs de Lausanne et nombre de théologiens évangé

de tous les dogmes évangéliques. C'est sur ces bases que le théologien luthérien Frank, d'Erlangen, a construit son système d'apologétique et de dogmachrétienne.

liques me l'affirment. A leurs yeux, le fondement de la certitude chrétienne c'est l'expérience individuelle du salut, la conscience qu'a le chrétien de son pardon et du renouvellement intérieur opérétique en lui par le Saint-Esprit. Le chrétien a conscience qu'un facteur surnaturel, divin, est entré dans sa vie, qu'une force d'en haut habite en lui, qu'une vie nouvelle a commencé pour lui. Cette expérience lui atteste de la façon la plus certaine la réalité objective de Dieu, du Saint-Esprit, de toute l'œuvre de Christ, à laquelle sa régénération est indissolublement liée. Nous sommes ici sur le terrain, non plus du raisonnement, mais des faits, sur un terrain accessible à tous, quel que soit le degré de leur culture, et en présence d'affirmations que chacun peut contrôler à la lumière de sa propre expérience.

On va plus loin; on croit avoir trouvé dans les expériences de la conscience chrétienne non seulement le fondement de la certitude, mais la source même de notre connaissance religieuse; et de l'expérience fondamentale de la nouvelle naissance on pense pouvoir tirer tous les dogmes chrétiens, comme autant de postulats impliqués dans cette expérience. Ainsi, de ce que nous percevons l'action en nous d'un facteur objectif, et que cette action est de nature morale, on déduit l'existence de Dieu, et que ce Dieu est personnel. De ce que le procès de la régénération comporte trois degrés : le sentiment du péché et de la condamnation, la certitude de notre libération et enfin la communion avec Dieu dans laquelle nous sommes introduits, on déduira que Dieu est un en trois personnes.... Et de même

Mais ne se rend-on pas compte qu'il est à proprement parler inexact de dire: la conscience chrétienne, l'expérience chrétienne? Je ne puis parler que de ma conscience, de mon expérience, ou de celles de tel et tel. Or, on sait comme l'expérience varie d'homme à homme, de chrétien à chrétien, et quelles formes variées la conversion, la nouvelle naissance revêtent chez les divers individus. Si l'on systématise l'expérience chrétienne pour en tirer les dogmes, le point de départ sera nécessairement une expérience individuelle, incomplète, et telle sera l'expérience, telle sera la dogmatique. Le résultat sera entièrement différent selon le théologien qui accomplira ce travail. Autant d'individualités chrétiennes, autant de dogmatiques. Que si l'on nous parle d'une conscience collective de l'Eglise, qui corrige les écarts possibles du sentiment individuel, il restera toujours à savoir quelle est, entre les Eglises, celle dont les expériences doivent servir de norme à la croyance. Pour M. Frank, ce sera l'Eglise luthérienne; les expériences d'un bon luthe rien seront la source de la dogmatique chrétienne. D'autres estimeront que c'est aux expériences du calviniste ou du méthodiste qu'il faut s'adresser.

Si l'expérience individuelle ou collective du salut ne peut être la source de la doctrine chrétienne, y trouverai-je du moins le fondement d'une certitude religieuse inébranlable? J'en dois malheureusement douter, et voici pourquoi.

D'abord, cette affirmation repose sur une confusion. Dire que la certitude de la foi se fonde sur l'expérience de l'œuvre du Saint-Esprit en nous, c'est trop manifestement renverser les termes. Le point de départ du développement religieux n'est pas l'expérience. Celle-ci bien plutôt suppose la foi; elle est le fruit de la foi; elle ne peut exister que là où préalablement est née la foi. L'expérience de la régénération ne peut se produire que dans l'âme qui croit au salut en Christ. Celui qui attend l'expérience pour croire, ne fera jamais l'expérience. Admettre une expérience du salut qui précéderait la foi, qui la fonderait, ce serait supposer une expérience dans laquelle le sujet serait absolument passif, subirait une action qu'il n'aurait ni demandée, ni provoquée. La régénération ne serait liée à aucune condition de foi, de bonne volonté; elle n'aurait rien de moral; ce serait un coup de la gràce arbitraire et magique. En faveur d'une telle conception, il ne faut pas citer les conversions soudaines, comme celle de Saul; car si, au point de départ de ces sortes de conversions, il y a une expérience pour ainsi dire foudroyante de la puissance de Dieu, cette expérience n'est pas encore celle du salut, mais une simple mise en demeure d'accepter le salut. Le rôle de la foi, de la volonté, est réservé, et l'expérience chrétienne, l'œuvre du Saint-Esprit ne se produit que plus tard, chez ceux qui ont, comme Saul, librement obéi à la sollicitation divine.

La place qu'on voudrait assigner à l'expérience lui appartint-elle réellement, je n'en douterais pas moins qu'elle put être le fondement d'une certitude

chrétienne solide. Je suis certain que Dieu est mon père et que Jésus-Christ est mon Sauveur, par l'expérience du pardon; certain de la réalité de la personne glorifiée de Christ et de la puissance du Saint-Esprit, par celle de la régénération. Cette assurance me suffit aujourd'hui. Mais demain, sous l'influence des circonstances qui modifieront mes impressions, par l'effet de quelque infidélité peut-être, je ne trouverai plus en moi cette joyeuse assurance, et je me demanderai si je suis réellement pardonné, si j'ai été véritablement affranchi du péché, dont je découvre encore en moi tant de traces; je douterai de la réalité de mon expérience; je me demanderai si cette prétendue expérience n'avait point sa source dans mon imagination, si je n'ai pas vécu d'illusions; si enfin une réalité objective, — Dieu me pardonnant, le Saint-Esprit me régénérant, - répond à ces impressions, jadis si vives, aujourd'hui affaiblies ou disparues? Soyez certains, messieurs, qu'une fois en proie à ce doute-là, je ne retrouverai la certitude qu'à la condition de posséder un point d'appui en dehors de ma subjectivité. On aura beau fouiller l'expérience, on n'en fera pas sortir la certitude, quand c'est la réalité de l'expérience même qui est en cause. Ce serait comme si l'on voulait consolider une muraille qui branle en prenant le point d'appui dans la muraille elle-même.

II

Ma foi ne repose pas sur mon expérience. Ma foi est bien plutôt la condition, la source de mon expérience. Sur quoi repose ma foi elle-même? Elle porte

en elle une certitude que l'expérience religieuse confirme, mais qu'elle n'a pas créée, qui en est indépendante, car elle la précède, et tellement indépendante que souvent elle subsiste lorsque l'expérience a cessé de se produire ou parait la contredire. Où se puise cette certitude?

Si je scrute ma foi pour trouver une réponse à cette question, je ne découvre qu'une seule chose à dire : Ma foi repose sur un fait, que je ne puis ignorer, puisqu'il occupe le centre même de l'histoire, et que je n'ai pas le droit de traiter avec indifférence, parce qu'il a des caractères par lesquels il s'impose à ma conscience, je parle ici de la conscience morale et non plus de la conscience religieuse au sens de tout à l'heure.

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C'est le mérite de Ritschl et de son école de nous avoir rappelé que toute connaissance chrétienne a son fondement, sa source et sa norme dans l'apparition historique de Jésus de Nazareth. Je dis connaissance chrétienne. Ritschl va plus loin et dit connaissance religieuse. Car, selon lui, nous n'avons de connaissance de Dieu qu'autant qu'il se révèle, et il ne se révèle à nous qu'en Christ. Tout ce qu'en dehors de la révélation chrétienne nous pouvons faire, c'est d'établir son existence, que Ritschl croit pouvoir prouver scientifiquement par un argument moral renouvelé de Kant. Mais dire ce qu'il est, nous ne le pouvons absolument pas. Du fait qu'en dehors de Christ nous ne connaissons pas Dieu, des disciples plus logiques que le maître ont conclu que nous ne pouvons pas davantage prouver qu'il existe, et que, Jésus-Christ étant l'unique Révélateur, son apparition nous fournit aussi

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la seule preuve que nous puissions avoir de l'existence de Dieu. Je suis, quant à moi, porté à croire qu'il existe, même en dehors de l'Evangile, des preuves suffisantes, sinon rigoureusement scientifiques, ce qui n'est peutêtre point nécessaire, de l'existence de Dieu; je crois également à une connaissance de Dieu indépendante de la révélation chrétienne. Autrement, d'où naîtraient la foi universelle en la divinité et l'idée souvent très pure que l'humanité païenne s'est faite de Dieu ? La nature et la conscience ont dès l'origine parlé à l'homme un langage, pas toujours compris, mais perçu quelquefois avec une étonnante netteté. Nier cette révélation naturelle que la Bible atteste en mille endroits, refuser à l'homme toute connaissance de Dieu en dehors de la révélation positive, c'est, me semble-t-il, ôter au christianisme ses points d'attache dans la raison et dans la conscience humaines, et faire œuvre de scepticisme.

Ces réserves faites, il faut louer hautement l'école de Ritschl d'avoir rendu au Christ historique sa place fondamentale et centrale dans la dogmatique chrétienne et d'avoir réagi fortement contre l'intrusion dans ce domaine de la spéculation philosophique. C'est peutêtre se faire illusion que de croire qu'on puisse comprendre et interpréter le fait chrétien sans user de procédés et appliquer des catégories empruntés à la philosophie. Ritschl lui-même a été le premier infidèle à son desideratum, car il a apporté dans sa théologie une méthode et des notions prises toutes faites d'une philosophie déterminée. Mais ce que la philosophie n'a pas le droit de

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