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fust inferieure à son frere: pourtant elle n'a eu que deux corps, dont l'un est à Veselé pres d'Ausserre, et l'autre, qui est de plus grand renom, à sainct Maximin en Provence, là où la teste est à part, avec son Noli me tangere, qui est un lopin de cire, qu'on pense estre la marque que Iesus Christ luy feit par despit, pource qu'il estoit marry qu'elle le vouloit toucher. Ie ne diz pas les reliques qui en sont dispersées par tout le monde, tant de ses os que de ses cheveux. Qui voudroit avoir certitude de tout cela, il s'enquerroit, pour le premier, assavoir si le Lazare et ses deux sœurs Marthe et Magdaleine sont iamais venues en France pour prescher. Car en lisant les histoires anciennes, et en iugeant du tout avec raison, on voit evidemment que c'est la plus sotte fable du monde, et laquelle a autant d'apparence que si on disoit que les nuées sont peaux de veau; et neantmoins ce [page 88] sont les plus certaines reliques qu'on aye. Mais encores que ainsi fust, il suffisoit d'abuser d'un corps en idolatrie, sans faire d'un diable deux ou troys.

Ilz ont aussi bien canonisé celuy qui perça le costé de nostre Seigneur en la croix, et l'ont appellé sainct Longin.) Apres l'avoir baptisé, 2) ilz luy ont donné deux corps, dont l'un est à Mantouë, et l'autre à nostre Dame de l'Isle, pres Lyon. Ilz ont faict le semblable des Sages qui vindrent adorer nostre Seigneur Iesus apres sa nativité. Premierement, ilz ont determiné du nombre, disant qu'ilz n'estoyent que trois. Or l'Evangile ne dit pas combien ilz estoyent; et aucuns des Docteurs anciens ont dict qu'ilz estoyent quatorze, comme celuy qui a escrit le commentaire imparfaict sur sainct Mathieu, qu'on intitule de Chrysostome. 8) Apres, au lieu que l'Evangile les dit Philosophes, 4) ilz en ont faict des roys à la haste, sans pays et sans subiectz. Finalement, ilz les ont baptisez, donnant à l'un nom Balthasar, à l'autre Melchior, [page 89] et à l'autre Gaspar. Or, 5) que nous leur concedions toutes leurs fables, ainsi frivoles qu'elles sont, il est certain que les Sages retournerent au pays d'orient; car la saincte escriture le dit, et ne peut on dire autre chose, sinon qu'ilz moururent là. Qui est-ce qui les en a transporté depuis? Et qui est-ce qui les congnoissoit, pour les marquer, afin de faire ainsi des reliques de leurs corps?

1) Le traducteur ajoute: puerili certe errore; nam quum nomen hoc Graecis lancearium significet, tanquam proprium unius hominis nomen arripuerunt.

2) Apres l'avoir ainsi baptisé 1563 suiv.; Post talem baptismum G.

3) qu'on attribue à Chrysostome 1566 et G.
4) magos id est philosophos G.

5) Or encore 1563 suiv.

Mais ie m'en deporte, d'autant que c'est folie à moi de redarguer des moqueries tant evidentes. Seulement ie dis qu'il faut que ceux de Colongne et ceux de Milan se debatent') à qui les aura; car tous deux pretendent ensemble de les avoir, ce qui ne se peut faire. Quand leur procés sera vuydé, lors nous adviserons qu'il sera de faire.

Entre les Martyrs anciens, sainct Denis est des plus celebrez; car on le tient pour un des disciples des Apostres, et le premier evangeliste de France. A cause de ceste dignité, on a de ses reliques en plusieurs lieux. Toutesfoys, [page 90] le corps 2) est demeuré entier seulement en deux lieux: à S. Denis en France, et à Regesbourg en Allemaigne. Pource que les François maintenoyent de l'avoir, ceux de Regesbourg en esmeurent le procés à Rome, il y a environ cent ans, et le corps leur fut adiugé par sentence diffinitive, present l'ambassadeur de France, dont ilz ont belle bulle. Qui diroit, à S. Denis pres Paris, que le corps n'est point là, il seroit lapidé. Quiconques voudra contredire qu'il ne soit à Regesbourg, sera tenu pour heretique, d'autant qu'il sera rebelle au S. siege apostolique. Ainsi, le plus expedient sera de ne s'entremettre point en leur querelle. Qu'ilz se crevent les yeux les uns aux autres, s'ilz veulent; et en ce faisant, qu'ilz ne profitent de rien, sinon pour descouvrir que tout leur cas gist en mensonge.

A

De sainct Estienne, ilz ont tellement party le corps, qu'il est entier à Rome en son eglise, le chief en Arle, et des os en plus de deux cens lieux. Mais pour monstrer qu'ilz sont des adherans de ceux qui l'ont meurtry, ilz ont canonisé [page 91] les pierres dont il a esté lapidé. On demandera où c'est qu'on les a peu trouver, et comment ilz les ont eues, de quelles mains, et par quel moyen. le respons briefvement que ceste demande est folle; car on sait bien qu'on treuve par tout des cailloux, tellement que la voiture n'en couste guere. Flourence, en Arle aux Augustins, au Vigan en Languedoc, on en monstre. Celuy qui voudra fermer les yeux et l'entendement croira que ce sont les propres pierres dont sainct Estienne fust lapidé; celuy qui voudra un peu considerer s'en moquera. Et de faict, les carmes de Poytiers en ont bien trouvé un depuis quatorze ans, auquel ilz ont assigné l'office de delivrer les femmes, lesquelles sont en travail d'enfant. Les Iacopins, ausquelz on avoit desrobé une coste de saincte Marguerite, servant à cest usage, leur en ont faict grand noyse, crians contre leur abus; mais en la fin, ilz ont gaigné en tenant bon.

1) combatent 1563 suiv.

2) Toutesfoys, comme l'on dit, le corps 1563 suiv.

I'avois quasi deliberé de ne parler point des Innocens, pource que, quand [page 92] i'en aurois assemblé une armée, ilz replicqueront tousiours que cela ne contrevient point à l'histoire, d'autant que le nombre n'en est point deffiny. Ie laisse donc à parler de la multitude. Seulement, qu'on note qu'il y en a en toutes les regions du monde. Ie demande maintenant, comment c'est qu'on a trouvé leurs sepulcres si long temps apres, veu qu'on ne les tenoit point pour sainctz quand Herode les fit mourir? Apres, quand c'est qu'on les a apportez? Ilz ne me peuvent respondre autre chose, sinon que ce a esté cinq ou six cens ans apres leur mort. Ie m'en rapporte aux plus povres idiotz qu'on pourra trouver, si on doit adiouster foy à des choses tant absurdes. Apres, encore qu'il s'en fut trouvé par fortune quelcun, comment se pouvoit il faire qu'on en apporta plusieurs corps en France, en Allemaigne, en Italie, pour les distribuer en des villes tant eslongnées l'une de l'autre? Ie laisse donc ceste faulseté pour convaincue du tout.

[page 93] Pourtant que sainct Laurens est du nombre des anciens Martyrs, nous luy donnerons icy son lieu: ie ne say point que son corps soit en plus d'un lieu, c'est assavoir à Rome, en l'eglise dediée de son nom; il est vray qu'il y a puis apres un vaisseau de sa chair grillée. Item, deux fioles pleines, l'une de son sang, et l'autre de sa gresse. Item, en l'eglise surnommée Palisperne, son bras et de ses os: et à sainct Silvestre, d'autres reliques. Mais si on vouloit amasser tous les ossemens qui s'en monstrent seulement en France, il y en auroit pour former deux corps, au long et au large. Il y a puis apres la grille sur laquelle il fut rosty; combien que l'eglise qu'on surnomme Palisperne se vante d'en avoir une piece. Or, pour la grille, encores la laisseroys-ie passer; mais ilz ont d'autres reliques trop feriales, dont il ne m'est point licite de me taire: comme des charbons qu'on monstre à sainct Eustache; item, une serviette dont l'Ange torcha son corps. Puis qu'ilz ont prins le loisir de [page 94] songer telles resveries pour abuser le monde, que ceux qui verront cest advertissement prennent aussi le loisir de penser à eux, pour se garder de n'estre plus ainsi moquez. D'une mesme forge est sortie sa tunique, qu'on monstre à Rome mesme, en l'eglise saincte Barbe. Pource qu'ilz ont ouy dire que sainct Laurens estoit Diacre, ilz ont pensé qu'il devoit avoir les mesmes acoustremens dont leurs Diacres se desguisent, en iouant leur personnage à la messe. Mais c'estoit bien un autre office, de ce temps là, en l'Eglise Chrestienne, que ce n'est à present à la Papauté: c'estoyent les commis ou deputez à distribuer les aumosnes, et non point basteleurs pour iouer des farces. Ainsi ilz n'avoyent que faire de tuniques,

ne dalmatiques, ne autres habitz de folz pour se desguiser.

Nous adiousterons à sainct Laurens, sainct Gervaise, et sainct Protaise, desquelz le sepulcre fut trouvé à Milan du temps de sainct Ambroise, comme luy mesme le testifie: pareillement S. [page 95] Hierome et sainct Augustin et plusieurs autres. Ainsi, la ville de Milan maintient qu'elle en a encore les corps. Nonobstant cela, ilz sont a Brisac, en Allemaigne, et à Besanson, en l'eglise parrochialle de sainct Pierre; sans les pieces infinies qui sont esparses en diverses eglises: tellement, qu'il faut necessairement que chascun ayt eu quatre corps pour le moins, ou qu'on iecte aux champs tous les os qui s'en monstrent à faulses enseignes.

Pource qu'ilz ont donné à sainct Sebastien l'office de guerir de la peste, cela a faict qu'il a esté plus requis, et que chascun a plus appeté de l'avoir: ce credit l'a fait multiplier en quatre corps entiers, dont l'un est à Rome, à sainct Laurens, l'autre à Soyssons, le troysiesme à Piligny, pres Nantes, le quatriesme pres de Narbonne, au lieu de sa nativité. En outre, il a deux testes: l'une à sainct Pierre de Rome, et l'autre aux Iacopins de Thoulouse. Il est vray qu'elles sont creuses, si on se rapporte aux Cordeliers d'Angiers, lesquelz [page 96] se disent en avoir la cervelle. Item plus les Iacopins d'Angiers en ont un bras; il y en a un autre à sainct Sernin 1) de Thoulouse; un autre à la chase Dieu 2) en Auvergne, et un autre à Montbrison en forest: ) sans les menuz lopins qui en sont en plusieurs eglises. Mais quand on aura bien contrepoisé, qu'on divine où est le corps de sainct Sebastien? Mesme ilz n'ont pas esté contens de tout cela, s'ilz ne faisoyent aussi bien des reliques des fleches dont il fut tiré; desquelles ils en monstrent une à Lambesc en Provence, une à Poytiers, aux Augustins, et les autres. par cy par là. Par cela voit on bien qu'ilz ont pensé de ne iamais rendre compte de leurs tromperies.

Une semblable raison a vallu à S. Anthoine, pour luy multiplier ses reliques. Car d'autant que c'est un sainct colere et dangereux, comme ilz le feignent, lequel brusle ceux à qui il se courrouce: par ceste opinion il se faict craindre et redoubter. La crainte a engendré devotion, laquelle a aiguisé [page 97] l'appetit pour faire desirer d'avoir son corps, à cause du proffit. Parquoy la ville d'Arles en a eu grand combat et long, contre les Anthoniens de Vienois; mais l'issue n'en a esté autre

1) Saturnini G.

2) case Dieu 1543. 1544; Case Dieu 1563 suiv.; la ChaiseDieu éd. Lacroix.

3) Forez éd. Lacroix.

qu'elle a accoustumé d'estre en telle matiere, c'est à dire que tout est demeuré en confuz. Car si on vouloit liquider la verité, nulle des parties n'auroit bonne cause. Avec ces deux corps, il a un genoil aux Augustins d'Alby: à Bourg, à Mascon, à Diion, à Chalons, à Ouroux, à Besanson, des reliques de divers membres; sans ce qu'en portent les questeurs, qui n'est point petite quantité. Voyla que c'est d'avoir le bruit d'estre mauvais. Car sans cela le bon sainct fust demeuré en sa fosse, ou en quelque coing, sans qu'on en eust tenu compte.

I'avoys oblié saincte Petronelle, la fille de sainct Pierre, laquelle a son corps entier à Rome, en l'eglise de son pere; item plus, des reliques à part à saincte Barbe. Mais elle ne laisse point pourtant d'en avoir un autre au Mans, [page 98] au Couvent des Iacopins; lequel est là tenu en grande solennité, pource qu'il guarit des fievres. D'autant qu'il y a eu plusieurs sainctes nommées Susannes, ie ne say pas bonnement si leur intention a esté de redoubler le corps d'une; mais tant y a qu'il y a un corps de saincte Susanne à Rome, en l'eglise dediée de son nom, et un autre à Thoulouse. Saincte Heleine n'a pas esté si heureuse: car, outre son corps qui est à Venise, elle n'a gaigné de superabondant qu'une teste, laquelle est à sainct Gerion de Coulongne. Saincte Ursule l'a surmontée en ceste partie: son corps, premierement, est à sainct Iehan d'Angely; elle a puis apres une teste à Couloigne, une portion aux Iacopins du Mans, une autre aux Iacopins de Tours, l'autre à Bergerat. De ses compaignes, qu'on appelle les unze mille Vierges, on en a bien peu avoir par tout. Et de faict, ilz se sont bien aydez de cela, pour oser mentir plus librement. Car, outre cent charretées d'ossemens, qui sont à Coulongne, il n'y a à grand peine [page 99] ville en toute l'Europe, qui n'en soit remparée, ou en une eglise ou en plusieurs.

Si ie acommençoye à faire les monstres des sainctz vulgaires, i'entreroye en une forest dont ie ne trouveroys iamais issue. Parquoy ie me contenteray d'alleguer quelques exemples en passant, dont on pourra faire iugement de tout le reste. A Poyctiers, il y a deux eglises qui se combatent du corps sainct Hylaire; assavoir les chanoines de son eglise, et les moynes de la Selle: le procés en est pendant au crochet iusques à ce qu'on en face visitation. Cependant les idolatres seront contrainctz d'adorer deux corps d'un homme. Les fideles laisseront reposer le corps, où qu'il soit, sans s'en soucier. De S. Honorat, son corps est en Arles, et aussi bien à Lisle') de Lyrins, pres Antibou. Sainct Gilles a l'un de ses corps à Toulouse, et

1) l'Isle 1563 suiv.; Antibes éd. Lacroix; Antipolin G.

l'autre à une ville de Languedoc, laquelle porte son nom. Sainct Guillaume est en une abbaye de Languedoc, nommée sainct Guillaume [page 100] du desert, et en une ville d'Aussoy, nommée Ecrichen, 1) avec la teste à part; combien qu'il ayt une autre teste au faubourg de Turen en Iullet, 2) en l'abbaye des Guillermites. Que diray ie de sainct Saphorin ou Simphorien, lequel est en tant de lieux, en corps et en os? Pareillement de sainct Loup, qui est à Ausserre, à Senes, ) à Lyon, et faisoit on à croire qu'il estoit à Geneve. Autant de sainct Ferreot, 4) qui est tout entier à Usez, en Languedoc, et à Briende, 5) en Auvergne. Au moins qu'ilz fissent quelques bonnes transactions ensemble, pour ne point tant descouvrir leurs mensonges: comme ont faict les chanoines de Trier avec ceux du Liege, touchant la teste de sainct Lambert. Car ilz ont composé à quelque somme d'argent pour l'interest des offrandes, de ne la monstrer publiquement, de peur qu'on ne s'estonnast de l'avoir) en deux villes tant voisines. Mais c'est ce que i'ay dit du commencement: ilz n'ont point pensé d'avoir iamais un contrerolleur qui osast ouvrir la bouche pour remonstrer [page 101] leur impudence.

On me pourroit demander comment ces bastisseurs de reliques, veu qu'ilz ont ainsi amassé sans propoz tout ce qu'il leur venoit en la teste, et en soufflant ont forgé tout ce qu'il leur plaisoit, ont laissé derriere les choses notables du vieil Testament? A cela ie ne sauroys que respondre, sinon qu'ilz les ont mesprisées, pource qu'ilz n'esperoyent point d'en avoir grand proffit, combien qu'ilz ne les ont du tout obliées. Car à Rome, ilz se disent avoir des os Abraham, d'Isaac et de Iacob, à saincte Marie supra Minervam. A S. Iehan de Latran, ilz se vantent d'avoir l'Arche de l'alliance avec la verge d'Aaron, et neantmoins ceste verge est aussi bien à la saincte chappelle de Paris; et ceux de sainct Salvador en Hespaigne en ont quelque piece. Outre cela, ceux de Bordeaux maintiennent que la verge de S. Martial, qui se monstre là en l'eglise de S. Severin, est celle mesme de Aaron. Il semble advis qu'ilz ayent voulu faire un miracle nouveau, à l'envie [page 102] de Dieu. Car comme ceste verge fut convertie en serpent par la vertu d'ice

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luy, aussi maintenant ilz l'ont convertie en troys verges. Il peut bien estre qu'ilz ont beaucoup d'autres manicles de l'ancien Testament; mais il suffit d'en avoir touché ce mot là, pour monstrer qu'ilz se sont portez aussi loyallement en cest endroict qu'en tout le reste.

Ie prie maintenant les lecteurs d'avoir souvenance de ce que i'ay dit du commencement: c'est que ie n'ay pas eu des commissaires pour visiter les sacristies de tous les pays, dont i'ay faict par cy dessus mention. Pourtant il ne faut point prendre ce que i'ay dit des reliques, comme un registre ou inventoire entier de ce qui s'en pourroit trouver. Ie n'ay nommé d'Allemaigne qu'environ demy douzeine de villes. Ie n'en ay nommé d'Hespaigne que trois, que ie sache; d'Italie, environ une quinzaine; de France, de trente à quarante. Et de celles là encores n'ay ie pas) tout ce qui en est. Que chascun donc face coniccture en soy mesme quel tripotaige [page 103] ce seroit, si on mettoit par ordre la multitude des reliques qui sont par toute la chrestienté. Ie dis seulement des pais qui, nous sont, congneuz et où nous hantons. Car le principal est de noter que toutes les reliques qu'on monstre de Iesus Christ par deça) et des Prophetes, on les trouvera aussi bien en Grece et en Asie, et aux autres regions où il y a des eglises chrestiennes. Or, ie demande maintenant quand les chrestiens de l'eglise orientale disent que tout ce que nous en pensons avoir est par devers eux, quelle resolution pourra on prendre la dessus? Si on leur contredit, allegant qu'un tel corps sainct fut apporté par des marchans, l'autre par des moynes, l'autre par un evesque; une partie de la couronne d'espines fut envoyée à un Roy de France par l'empereur de Constantinoble, l'autre conquise par guerre, et ainsi de chascune piece, ilz hocheront la teste en se moquant. Comment vuydera on ces querelles? car, en cause doubteuse, il faudra iuger par coniectures. Or, en ce faisant, ilz gaigneront tousiours. Car [page 104] ce qu'ilz ont à dire de leur costé est plus vraysemblable que tout ce qu'on pourra pretendre du costé de par deça. C'est un poinct fascheux à demesler pour ceux qui voudront defendre les reliques.

Pour faire fin, ie prie et exhorte, au Nom de Dieu, tous lecteurs de vouloir entendre à la verité pendant qu'elle leur est tant ouvertement monstrée, et congnoistre que cela s'est faict par une singuliere providence de Dieu, que ceux qui ont voulu ainsi seduire le povre monde ont esté tant aveuglez, qu'ilz n'ont point pensé à couvrir autrement leurs

1) n'ay ie pas dit 1563 suiv.

2) in Europa G.

Calvini opera. Vol. VI.

mensonges: mais comme Madianites, ayans les yeux crevez, se sont dressez les uns contre les autres. Comme nous voyons qu'ilz se font euxmesmes la guerre et se dementent mutuellement. Quiconques ne se voudra point endurcir pour repugner à toute raison à son escient, encor qu'il ne soit pas pleinement instruict que c'est une idolatrie exccrable d'adorer relique aucune, quelle qu'elle soit, vraye ou [page 105] faulse: neantmoins, voyant la faulseté tant evidente, n'aura iamais le courage d'en baiser une seule; et quelque devotion qu'il y ayt eu auparavant, il en sera entierement degousté.

Le principal seroit bien, comme i'ay du commencement dit, d'abolir entre nous Chrestiens ceste superstition payenne, de canoniser les reliques, tant de Iesus Christ que de ses sainctz, pour en faire des idoles. Ceste façon de faire est une pollution et ordure qu'on ne devroit nullement tolerer en l'Eglise. Nous avons desia remonstré par raisons et tesmoignages de l'Escriture, qu'ainsi est. Si quelqu'un n'est content de cela, qu'il regarde l'usage des peres anciens, afin de se conformer à leurs exemples. Il y eu beaucoup de sainctz Patriarches, beaucoup de Prophetes, de sainctz Roys et autres fideles en l'ancien Testament. Dieu avoit ordonné plus de ceremonies de ce temps là que nous n'en devons avoir. Mesme la sepulture se devoit faire en plus grand appareil que maintenant, pour representer [page 106] par figures la resurrection glorieuse, d'autant qu'elle n'estoit pas si clerement revelée de parolle, comme nous l'avons. Lisons nous qu'on ayt tiré lors ) les sainctz de leurs sepulcres, pour en faire des pouppécs? Abraham Pere de tous fideles, a il iamais esté eslevé? Sara, aussi princesse en l'Eglise de Dieu, a elle esté retirée de sa fosse? Ne les a on pas laissé avec tous les autres sainctz à repos? Qui plus est, le corps de Moyse n'a il pas esté caché par le vouloir de Dieu, sans que iamais on l'ayt peu trouver? Le Diable n'en a il pas debattu 2) contre les Anges, comme dit sainct Iude? Pourquoy est-ce que nostre Seigneur l'a osté de la veue des hommes, et que le Diable le y a voulu remettre? C'est comme chascun confesse, que Dieu a voulu oster à son peuple d'Israel occasion d'idolatrie. Le Diable, au contraire, l'a voulu establir. Mais le peuple d'Israel, dira quelqu'un, estoit enclin à superstition. Ie demande que c'est de nous? N'y a il pas, sans comparaison, [page 107] plus de perversité entre les Chrestiens en cest endroict qu'il n'y eut iamais entre les Iuifz? Advisons ce qui a esté faict en l'Eglise ancienne: il est vray que les fideles ont

1) tiré lors 1543. 1544; tiré hors 1563 suiv.; unquam G. 2) Le traducteur ajoute: ob eam causam.

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tousiours mis peine de retirer les corps des Martyrs, afin qu'ilz ne fussent mangez des bestes et des oyseaux, et les ont ensevelis honestement: comme nous lisons et de sainct Iehan Baptiste et de sainct Estienne. Mais c'estoit en la fin les mettre) en terre, pour les laisser là iusques au iour de la resurrection, et non pas les colloquer en veue des hommes, pour s'agenouiller dovant. Iamais ceste mal heureuse pompe de les canonizer n'a esté introduicte en l'Eglise, iusques à ce que tout a esté perverty et comme profané: partie par la bestise des Prelatz et Pasteurs, partie par leur avarice, partie qu'ilz ne pouvoyent resister à la coustume, depuis qu'elle estoit receue; et aussi que le peuple cherchoit d'estre abusé, s'adonnant plustost à folies pueriles qu'à la vraye adoration de Dieu. Pourtant, ce qui a esté mal [page 108] commencé, et mis sus contre toute raison, devroit estre totallement abbatu, qui voudroit droictement corriger l'abus. Mais si on ne peut venir du premier coup à ceste intelligence, pour le moins que de l'un on vienne à l'autre, et qu'on ouvre les yeux pour discerner quelles sont les reliques qu'on presente. Or, cela n'est pas difficile à voir à quiconques y voudra entendre. Car entre tant de mensonges si patens, comme ie les ay produictz, où est ce qu'on choisira une vraye relique, de laquelle on se puisse tenir certain? D'avantage, ce n'est rien de ce que i'en ay touché, au pris de ce qui en

1) afin de les mettre 1563 suiv.

reste. Mesme ce pendant qu'on imprimoit ce livret, on m'a adverty d'un troysiesme Prepuce de nostre Seigneur, qui se monstre à Hyldesheym, dont ie n'avoye faict nulle mention. Il y en a une infinité de semblables. Finalement, la visitation descouvriroit encores cent fois plus que tout ce qui s'en peut dire. Ainsi, que chascun à son endroit s'advise de ne se laisser à son escient traisner [page 109] comme une beste, pour errer à travers champs, sans qu'il puisse appercevoir ne voye, ne sentier, pour avoir quelque seure adresse. Il me souvient de ce que i'ay veu faire aux marmousetz de nostre parroisse, estant petit enfant. Quand la feste de sainct Estienne venoit, on paroit aussi bien de chappeaux et afficquetz les images des tyrans qui le lapidoient (car ainsi les appelle on en commun language) comme la sienne. Les povres femmes, voyant les tyrans ainsi en ordre, les prenoyent pour compagnons du sainct, et chascun avoit sa chandelle. Qui plus est, cela se faisoit bien au Diable sainct Michel. Ainsi en est il des reliques: tout y est si brouillé et confus, qu'on ne sauroit adorer les os d'un martyr que on ne soit en dangier d'adorer les os de quelque Brigand ou Larron, ou bien d'un asne, ou d'un chien, ou d'un cheval. On ne sauroit adorer un aneau de nostre Dame, ou un sien pigne, ou ceincture, qu'on ne soit en dangier d'adorer les bagues de quelque paillarde. [page 110] Pourtant, se garde du dangier qui voudra; car nul doresnavant ne pourra pretendre excuse d'ignorance.

Sainct Paul au troysiesme1) chapitre de la Seconde aux Thessaloniciens. 2)

Celuy qui ne veut point honorer le createur qui est beneit eternellement, c'est une iuste vengence de Dieu qu'il serve aux creatures. Et celuy qui ne veut obeir à la verité, c'est raison qu'il soit subiect au mensonge.

1) au second 1544.

2) Le texte cité ici ne se trouve ni dans l'épitre aux Thessaloniciens, ni ailleurs dans le N. T. La traduction latine y substitue le passage 2 Thess. 2, 11. L'édition de 1563 omet le tout.

FIN.

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