nous ne lisons pas que iamais aucun ayt eu ceste curiosité. Il est bien dict que les Pasteurs ont adoré Iesus Christ, que les Sages luy ont offert leurs presens; mais il n'est point dict qu'ilz ayent rapporté du laict pour recompense. Sainct Luc recite bien ce que Simeon predit à la Vierge, mais il ne dit pas qu'il luy demandast de son [page 62] laict. Quand on ne regardera que ce poinct, il ne faut ia arguer d'avantage, pour monstrer combien ceste follie est contre toute raison et sans couverture aucune. C'est merveilles, puis qu'ilz ne pouvoyent avoir autre chose du corps, qu'ilz ne se sont advisez de rongner de ses ongles et de choses semblables; mais il faut dire que tout ne leur est pas venu en memoire. Le reste qu'ilz ont des reliques de nostre Dame est de son baguage. Premierement, il y en a une chemise à Chartres, de la quelle on fait une idole assés renommée; et à Aix en Allemaigne, une autre. Ie laisse là comment c'est qu'ilz les ont peu avoir; car c'est chose certaine que les Apostres et les vrays chrestiens de leur temps n'ont pas esté si badins que de s'amuser à telles manigances. Mais qu'on regarde seulement la forme, et ie quitte le ieu, si on n'aperceoit à l'œil leur impudence. Quand on faict la monstre, à Aix en Allemaigne, de la chemise que nous avons dict estre là, on monstre, au bout d'une perche, [page 63] comme une longue aulbe de Prestre. Quand la vierge Marie auroit esté une geante, à grand peine eust elle porté une si grande chemise. Et pour luy donner meilleur Et pour luy donner meilleur lustre, on porte quant et quant les chaussettes sainct Ioseph, qui seroyent pour un petit enfant ou un Nain. Le proverbe dit: qu'un menteur doit avoir bonne memoire, de peur de se coupper par oubly. Ilz ont mal gardé ceste reigle, quand ilz n'ont pensé de faire meilleure proportion entre les chausses du mary et la chemise de la femme. Qu'on aille maintenant baiser bien devotement ces reliques, lesquelles n'ont autre apparence de verité. De ses couvrechefz, ie n'en say que deux: à Trier un, en l'abbaye sainct Maximin; à Lisio, en Italie, un autre. Mais ie voudroye qu'on advisast de quelle toile ilz sont, et si on les portoit de telle façon en ce temps là au pays de Iudée. Ie voudroye aussi qu'on fist comparaison de l'un à l'autre, pour veoir comment ilz s'entresemblent. A Boulongne') ilz en [page 64] ont un fronteau. Quelcun me demandera si ie pense que ce fronteau soit une chose controuvée. Ie respons que i'en estime autant que de sa ceincture qui est à Prat, et de celle qui est à nostre Dame de Montserrat; 2) item, de sa pantouffle qui est à sainct Iacquerie, et un de ses soliers, qui est à sainct Flour. Quand il n'y auroit autre chose, tout homme de moyenne prudence sait bien que ce n'a pas esté la façon des fideles, de ramasser ainsi chausses et soliers pour faire des reliques, et que iamais il n'en fut faict mention de plus de cinq cens ans après la mort de la vierge Marie. Qu'en faut-il done plus arguer, comme si la chose estoit doubteuse? Mesme ilz ont voulu faire à croire à la saincte Vierge qu'elle estoit fort curieuse à se parer et testonner. 1) Car ilz monstrent deux de ses peignes: l'un à Rome, en l'eglise de sainct Martin, et l'autre à sainct Iehan le grand, de Besanson, sans ceux qui se pourroyent monstrer ailleurs. Si cela n'est se moquer de la saincte Vierge, ie n'entens [page 65] point que c'est de moquerie. Ilz n'ont point oblyé l'aneau de ses espousailles, car ilz l'ont à Peruse. Pource que maintenant la coustume est que le mary donne un aneau à sa femme en l'espousant, ilz ont imaginé qu'il se faisoit ainsi adonc: et sans en faire plus longue inquisition, ont deputé un aneau à cest usaige, beau et riche, ne considerant point la povreté en laquelle a vescu la saincte Vierge. De ses robbes, ilz en ont à Rome, à sainct Iehan de Latran; item, en l'eglise saincte Barbe; item, à saincte Marie sus Minerve; item, en l'eglise sainct Blaise, et à sainct Salvador en Hespaigne: pour le moins ilz se disent en avoir des pieces. l'ay bien encores ouy nommer d'autres lieux, mais il ne m'en souvient. Pour monstrer la faulseté en cest endroit, il ne faudroit que regarder la matiere; car il leur a semblé advis qu'il leur estoit aussi facile d'attribuer à la vierge Marie des vestemens à leur poste, comme de vestir les images ainsi qu'ilz les vestent. Il reste à parler des images, non [page 66] point des communes, mais de celles qui sont en recommandation par dessus les autres, pour quelque singularité. Or, ilz font à croire à sainct Luc, qu'il en peingnit quatre à Rome, au lieu où est maintenant l'eglise de saincte Marie qu'ilz appellent inviolata. L'une se monstre là en un oratoire, laquelle il fit (comme ilz disent) à sa devotion, avec l'aneau duquel sainct Ioseph l'avoit espousée. Il s'en monstre à Rome mesme une autre à saincte Marie la neufve, laquelle ilz disent avoir esté faicte. ainsi par sainct Luc en Troade, et que depuis elle leur a esté apportée par un Ange; item une autre à saincte Marie ara coli, en telle forme qu'elle estoit aupres de la croix. Mais à sainct Augustin, ilz se vantent d'avoir la principalle; car c'est celle, si on les croit, que sainct Luc portoit tousiours avec 1) comae pectendae G. 28 soy, iusques à la faire enterrer en son sepulcre. Je vous prie, quel blaspheme de faire d'un sainct Evangeliste un idolatre parfaict? Et mesme quelle couleur ont ilz pour persuader que [page 67] sainct Luc ayt esté peinctre? S. Paul le nomme bien medecin, mais du mestier de peinctre, ie ne say où ilz l'ont songé. Et quand ainsi seroit qu'il s'en fust meslé, il est autant à presumer qu'il eust voulu peindre la vierge Marie, comme un Iuppiter, ou une Venus, ou quelque autre idole: ce n'estoit pas la façon des Chrestiens d'avoir des images; et n'a esté long temps apres, iusques à ce que l'eglise a esté corrompue de superstitions. D'autrepart, tous les angletz du monde sont pleins des images de la vierge Marie, qu'on dit qu'il a faict; comme à Cambray, et de çà de là. Mais en quelle forme? il y a autant d'honnesteté comme qui voudroit pourtraire une femme dissolue. Vela 1) comment Dieu les a aveuglez, qu'ilz n'ont eu consideration non. plus que bestes brutes. Combien que ie ne m'estonne pas trop de ce qu'ilz ont imputé à sainct Luc d'avoir faict des images de la Vierge, veu qu'ilz ont bien osé imposer le semblable au prophete Ieremie; tesmoing le Puys en Auvergne. Il seroit [page 68] temps, ce croy - ie, que le povre monde ouvrit les yeux une foys, pour veoir ce qui est tant manifeste. Ie laisse à parler de sainct Ioseph, dont les uns en ont des pantoffles, comme en l'abbaye sainct Simeon de Trier; les autres ses chausses, comme nous avons desia dit; les autres ses ossemens. Il me suffit de l'exemple que i'ay allegué pour descouvrir la sottise qui y est. plus forte et de meilleure pointe, et de meilleur trenchant que n'est pas ceste là. Sont ilz si bestes d'imaginer que ce soit une guerre charnelle, qu'ont tant les Anges que les fideles à lencontre des Diables, laquelle se demene par glaive materiel? Mais c'est ce que i'ay dit du commencement: que le monde meritoit bien d'estre seduict en telle bestise, d'autant qu'il estoit si pervers de convoiter des idoles et marmosetz pour adorer, au lieu de servir au Dieu vivant. Pour tenir ordre, il nous faut maintenant traicter de sainct Iehan Baptiste, lequel, selon l'histoire Evangelique, [page 70] c'est à dire la verité de Dieu, apres avoir esté decollé, fut enterré par ses disciples. Theodorite, chroniqueur ancien de l'Eglise, racompte que son sepulcre estant en Sebaste, ville de Sirie, fut ouvert par les Payens quelque temps apres, et que ses os furent bruslez par iceux, et la cendre esparse en l'air. Combien que Eusebe adiouste, que quelques hommes de Ierusalem survindrent là et en prindrent en cachette quelque peu, qui fut porté en Antioche, et là enterré par Athanaise en une muraille. Touchant de la teste, Sozomenus, un autre chroniqueur, dict qu'elle fut emportée par l'Empereur Theodose aupres de la ville de Constantinoble. Parquoy, selon les histoires anciennes, tout le corps fut bruslé, excepté la teste; et tous les os et les cendres perdues, excepté quelque petite portion que prindrent les hermites de Ierusalem à la desrobée. Voyons maintenant ce qu'il s'en trouve. Ceux d'Amiens se glorifient d'avoir le visage; et en la masque qu'ilz montrent, il y a la marque [page 71] d'un coup de cousteau sur l'œil, qu'ilz disent que Herodias luy donna. Mais ceux de sainct Iehan d'Angely contredisent, et monstrent la mesme partie. Quant au reste de la teste, le dessus, depuis le front iusques au der Ie mettray icy sainct Michel, afin qu'il face compagnie à la vierge Marie. On pensera que ie me gaudisse en recitant des reliques d'un Ange, car les ioueurs de farces mesmes s'en sont moquez. Mais les Caffars n'ont pas laissé pourtant d'abuser tout à bon escient le povre peuple. Car à Car-riere, 1) estoit à Rhodes, et est maintenant à Malcassonne, ilz se vantent d'en avoir des reliques, et pareillement à sainct Iulien de Tours. Au grand sainct Michel, qui est si bien frequenté de pelerins, on monstre son braquemart, qui est comme un poignart à usage de petit enfant; et son bouclier de mesme, qui est comme la bossete d'un mors de cheval:2) il n'y a homme [page 69] ny femme si simple, qui ne puisse iuger quelle moquerie c'est. Mais pource que telz mensonges sont couvers soubz ombre de devotion, il semble advis que ce n'est point mal faict de se moquer de Dieu et de ses Anges. Ilz repliqueront que l'Escriture tesmoigne que sainct Michel a combatu contre le Diable. Mais s'il falloit vaincre le Diable à l'espée, il la faudroit 1) Voila 1563 suiv. 2) est enim similis cucurbitulis aereis quae fraenis equorum adfigi solent G. tes, comme ie pense: au moins les Commandeurs ont faict à croire que le Turc le leur avoit rendu. Le derriere est à sainct Iehan de Nemours; la cervelle est à Noyan le Rantroux. 2) Nonobstant cela, ceux de sainct Iehan de Morienne ne laissent point d'avoir une partie de la teste. Sa machoire ne laisse point à estre à Besanson, à sainct Iehan le grand. Il y en a une autre partie à sainct Iehan de Latran, à Paris; et à sainct Flour en Auvergne, un bout de l'aureille. A sainct Salvador en Hespaigne, le front et des cheveux. Il y en a aussi bien quelque lopin à Noyon, qui s'y monstre fort autentiquement. Il y en a semblablement une partie à Lucques, ie ne say de quel endroict. Tout cela est-il faict? Qu'on aille à Rome et au Monastere [page 72] de sainct Silvestre, on oyra dire: Voicy la teste de sainct Iehan Baptiste. Les Poetes feingnent qu'il y avoit autresfoys un Roy en Hespaigne, nommé Gerion, lequel avoit troys testes: si noz forgeurs de reliques en pouvoyent autant dire de sainct Iehan Baptiste, cela leur viendroit bien à point pour les ayder à mentir. Mais puis que ceste fable n'a point lieu, comment s'excuserontilz? Ie ne les veux point presser de si près que de leur demander comment la teste s'est ainsi deschicquetée pour estre departie en tant de lieux, et si divers, ne comment c'est qu'ilz l'ont eue de Constantinoble: seulement, ie diz qu'il faudroit que sainct Iehan eust esté un monstre, ou que ce sont abuseurs effrontez de monstrer tant de pieces de sa teste. Qui pis est, ceux de Sene se vantent d'en avoir le bras: ce qui est repugnant, comme nous avons dict, à toutes les histoires anciennes. Et neantmoins cest abus non seulement est souffert, mais aussi approuvé: comme rien ne se trouve [page 73] mauvais au royaume de l'Antechrist, moyennant qu'il entretienne le peuple en superstition. Or, ilz ont controuvé une autre fable: c'est que, quand le corps fut bruslé, que le doigt dont il avoit monstré nostre Seigneur Iesus Christ demeura entier, sans estre violé. Cela non seulement n'est pas conforme aux histoires anciennes, mais mesme il se peut aisement redarguer par icelles; car Eusebe et Theodorit nomméement disent, que le corps estoit desia reduict en os quand les Payens le ravirent. Et n'eussent eu garde d'oblier un tel miracle, s'il en eust esté quelque chose: car ilz ne sont autrement que trop curieux à en racompter, mesmes de frivoles. Toutesfois, encores qu'ainsi fust, oyons un petit où est ce doigt. A Besanson, en l'eglise sainct Îehan le grand, il y en a un; à Thoulouse, un autre; à Lyon, un autre; à Bourges, un autre; à Flourence, un autre; à sainct Iehan des adventures, pres Mascon, un autre. Ie ne diz mot là dessus, sinon que ie prie les lecteurs de ne [page 74] se point endurcir à lencontre d'un advertissement si clair et si certain, et ne point fermer les yeux à une telle clairté, pour tousiours se laisser seduire comme en tenebres. Si c'estoyent ioueurs de passe passe qui nous esblouyssent les yeux, tellement qu'il nous semblast advis qu'il y en eust six, encores aurions nous cest advis de craindre d'estre abusez. Or, icy il n'y a nulle subtilité; il est seulement question si nous voulons croire que le doigt 1) Qui pis est 1543. 1544; At quod deterius est G.; Qui plus est 1563 suiv. sainct lehan soit à Flourence, et qu'il soit autrepart en cinq lieux. Autant de Lyon et de Bourges, et des autres. Ou, pour le dire plus brief, si nous voulons croire que six doigtz ne soyent qu'un, et qu'un seul soit six. Ie ne parle sinon de ce qui est venu à ma notice. Ie ne doubte pas que si on enqueroit plus diligemment, qu'il ne s'en trouvast encore une demy douzaine ailleurs. Et de la teste, qu'il ne s'en trouvast encores des pieces qui monteroyent bien la grosseur d'une teste de bœuf, voire outre ce que i'en ay dict. Or, de peur de ne rien [page 75] laisser derriere, ilz ont aussi bien faict semblant d'avoir les cendres: dont il y en a une partie à Genes, l'autre partie à Rome, en l'eglise sainct Iehan de Latran. Or avons nous veu que la pluspart avoit esté iectée en l'air; toutesfoys, ilz ne laissent point d'en avoir, comme ilz disent, une bonne portion, et principalement à Genes. Restent maintenant, apres le corps, les autres apertenances: comme un soulier, qui est aux Chartreux de Paris; lequel fut desrobé il y a environ douze ou treize ans. Mais incontinent il s'en retrouva un autre de nouveau. Et de faict, tant que l'enge des cordonniers soit faillie, iamais ilz n'auront faute de telles reliques. A Rome, à sainct Iehan de Latran, ilz se vantent d'avoir sa haire, de laquelle il n'est faict nulle mention en l'Evangile: sinon que pource qu'il est là parlé qu'il estoit vestu de poilz de chameaux, ilz veulent convertir une robbe en haire. Là mesme, ilz disent qu'ilz ont l'autel sur lequel il prioit au desert; comme si, de [page 76] ce temps là, on eust faict des autels à tous propos et en chascun lieu. C'est merveille qu'ilz ne luy font acroire qu'il ayt chanté messe. Én Avignon est l'espée de laquelle il fut decolé; et à Aix en Allemaigne le linceul, lequel fust estendu soubz luy. Ie voudroye bien savoir comment le bourreau estoit si gratieux, que de luy tapisser le pavé de la prison quand il le vouloit faire mourir. N'est-ce pas une sote chose de controuver cela? Mais encores, comment l'un et l'autre sont ilz venus entre leurs mains? Pensez vous qu'il est bien vray semblable que celuy qui le mist à mort, fut il un gendarme ou un bourreau, donnast le linceul et son espée pour en faire une relique? Puis qu'ilz vouloyent faire une telle garniture de toutes pieces, ilz ont failly de laisser le cousteau. de Herodias, dont elle frappa l'œil: tout le sang qui fut respandu, et mesmes son sepulcre. Mais ie pourroye bien aussi errer; car ie ne say pas si toutes ces bagues sont autre part. [page 77] C'est maintenant aux Apostres d'avoir leur tour. Mais pource que la multitude pourroit engendrer confusion, si ie les mettois tous ensemble, nous prendrons sainct Pierre et sainct Paul à part, puis nous parlerons des autres. Leurs corps sont à Rome: la moytié en l'eglise sainct Pierre, et l'autre moytié à sainct Paul. Et disent que sainct Silvestre les poysa, pour les destribuer ainsi en egales portions. Les deux testes sont aussi à Rome, à sainct Iehan de Latran. Combien qu'en la mesme eglise il y a une dent de sainct Pierre à part. Apres tout cela, on ne laisse point d'en avoir des os par tout; comme à Poyctiers, on a la maschoire avec la barbe; à Trier, plusieurs os de l'un et de l'autre; à Argenton en Berry, une espaule de sainct Paul. Et quand seroit ce faict? Car par tout où il y a eglise qui porte leurs noms, il y en a des reliques. Si on demande quelles, qu'on se souvienne de la cervelle de sainct Pierre, dont l'ay parlé, qui estoit au grand autel de ceste ville. Tout ainsi qu'on [page 78] trouve) que c'estoit une pierre d'esponge, ainsi trouveroit on beaucoup d'os de chevaux ou de chiens, qu'on attribue à ces deux Apostres. sem Avec les corps, il y a suite. 2) A sainct Salvador en Hespaigne, ilz en ont une pantouffle. De la forme et de la matiere, ie n'en puis respondre; mais il est bien à presumer que c'est une blable marchandise que celles qu'ilz ont à Poitiers, lesquelles sont d'un satin broché d'or. Voyla comment on le faict brave apres sa mort, pour le recompenser de la povreté qu'il a eue sa vie durant. Pource que les evesques de maintenant sont ainsi mignons quand ilz se mettent en leur pontificat, il leur semble advis que ce seroit deroguer à la dignité des Apostres, si on ne leur en faisoit autant. Or, les peintres peuvent bien contrefaire des marmousetz à leur plaisir, les dorant et ornant depuis la teste iusques aux piedz, puis apres leur imposer le nom de sainct Pierre ou de sainct Paul. 3) Mais on sait quel a esté leur estat, pendant qu'ilz [page 79] ont vescu en ce monde, et qu'ilz n'ont eu autres accoustremens que de povres gens. aussi bien à Rome la chaire episcopale de sainct Pierre, avec sa chasuble, comme si de ce temps là les evesques eussent eu des throsnes pour s'assoir. Mais leur office estoit d'enseigner, de consoler, d'exhorter en public et en particulier, et monstrer exemple de vraye humilité à leur trouppeau: non point de faire des idoles, comme font ceux de maintenant. Quand est de la chasuble, la façon n'estoit point encores venue de se desguiser: car on ne iouoyt point des farces en l'eglise, comme on faict à present. Ainsi, pour prouver que sainct Pierre eust une chasuble, il faudroit premierement monstrer qu'il auroit faict du basteleur, comme font noz prestres de maintenant, en voulant servir à Il y a 1) trouva 1563 suiv.; compertum est G. 2) Corpora subsequuntur eorum appendices G. 3) Le traducteur ajoute: aut quale ipsis visum est. Dieu. Il est vray 1) qu'ilz luy pouvoient bien donner une chasuble, quand ilz luy ont assigné un autel; mais autant a de couleur l'un comme l'autre. On sait quelles messes on chantoit alors. Les [page 80] Apostres ont celebré de leur temps simplement la Cene de nostre Seigneur, à laquelle il n'est point mestier d'avoir un autel. De la messe, on ne savoit encores quelle beste c'estoit, et ne l'a on pas sceu long temps apres. On voit bien donc que quand ilz ont inventé leurs reliques, ilz ne se doubtoyent point de iamais avoir contredisans, veu qu'ilz ont ainsi osé impudemment mentir à bride avalée. Combien que de cest autel ilz ne conviennent point entre eux; car ceux de Rome afferment qu'ilz l'ont, et ceux de Pise le monstrent aussi bien au faubourg 2) tirant vers la mer. Pour faire leur profit de tout, ilz n'ont point oblyé le cousteau duquel Malchus eut l'aureille couppée, comme si c'estoit un ioyau digne de mettre en relique. I'avoye oblié sa crosse, laquelle se monstre à sainct Estienne des Grés, ) à Paris, de laquelle il faut estimer autant que de l'autel, ou de la chasuble, car c'est une mesme raison. Il y a un petit plus d'apparence à son bourdon; car il est bien à [page 81] presumer qu'il pouvoit estre armé de tel baston, allant par les champs. Mais ilz gastent tout, de ne se pouvoir accorder. Car ceux de Colongne se font fortz de l'avoir, et ceux de Trier semblablement. Ainsi, en dementant l'un l'autre, ilz donnent bien occasion qu'on n'adiousto nulle foy à tous deux. Ie laisse à parler de la chaisne de sainct Paul, dont il fut lié; laquelle se monstre à Rome, en son eglise. Item, du pillier sur lequel sainct Pierre fut martyrisé, lequel est à sainct Anastase. Ie laisse seulement à penser aux lecteurs dont est ce que ceste_chaisne a esté prinse pour en faire une relique. Item, assavoir si en ce temps là on executoit les hommes sur des pilliers. Nous traicterons en commun de tous les autres Apostres, pour avoir plus tost faict. Et premierement, nous racompterons où il y en a des corps entiers, afin que en faisant conference de l'un à l'autre, on iuge quel arrest on peut prendre sur leur dire. Chascun sait que la ville de Thoulouse en pense avoir [page 82] six; assavoir: sainct Iaques le maieur, sainct André, sainct Iaques le mineur, sainct Philippe, sainct Simon et sainct Iude. A Padoue est le corps sainct Mathias; à Salerne, le corps sainct Matthieu; à Orthonne, ) celuy de sainct Thomas; au royaume de Naples, 5) celuy de 1) Il est bien vray 1563 suiv. 2) in suburbio G.; aux faubourgs 1563 suiv. 3) cui a saxis nomen est G.; des Grecs 1563 suiv. 4) Orconne 1563 suiv. 5) Neapoli aut circa eam regionem G. une sainct Barthelemy. Advisons maintenant lesquelz ont deux corps ou troys. Sainct André a un second corps à Melphe; sainct Philippe et sainct Iaques le mineur, chascun aussi un autre à Rome, ad sanctos Apostolos; sainct Simon et sainct Iude, aussi bien à Rome, à l'eglise sainct Pierre; sainct Barthelemy, à Rome, en son eglise. En voila desia six qui ont deux corps chascun. Et encores, de superabondant, la peau de sainct Barthelemy est à Pise. Toutesfoys, sainct Mathias a emporté tous les autres; car il a un corps à Rome à saincte Marie la maieure, 1) et le troysiesme à Trier. Outre cela, encores a il une teste à part et un bras à part, à Rome mesme. Il est vray que les lopins qui sont de sainct André çà et là recompensent à demy. [page 83] Car à Rome, à l'eglise sainct Pierre, il a une teste; en l'eglise sainct Grisogonne, 2) une espaule: à sainct Eustace, coste, et au sainct Esprit, un bras; à sainct Blaise, ie ne say quelle autre partie; à Aix en Prouvence, un pied. Qui conioindroit cela ensemble, ce seroit tantost pour en faire deux quartiers, moyennant qu'on les peut bien proportionner. Or, comme sainct Barthelemy a laissé la peau à Pise, aussi y a il une main; à Trier, il y en a ie ne say quel membre; à Freius, 3) un doigt; à Rome, en l'eglise saincte Barbe, d'autres reliques. Ainsi encores n'est il point des plus povres. Les autres n'en ont pas tant. Toutesfoys chascun en a encores quelque lopin. Comme sainct Philippe a un pied à Rome, ad sanctos Apostolos, et à saincte Barbe, ie ne say quelles reliques. Item plus, à Trier. En ces deux dernieres eglises, il a semblablement sainct Iaques pour compagnon: lequel a semblablement 4) une teste en l'eglise sainct Pierre, et un bras à sainct Grisogonne, et un autre ad sanctos Apostolos. [page 84] Sainct Matthieu et sainct Thomas sont demourez les plus povres; car le premier, avec son corps, n'a sinon quelques os à Trier, un bras à Rome à sainct Marcel, et à sainct Nicolas une teste. Sinon que par adventure il m'en soit eschappé quelque chose, ce qui se pourroit bien faire; car en tel abisme qui n'y seroit confuz? Pource qu'ilz trouvent en leurs chroniques que le corps sainct Iehan l'Evangeliste s'esvanouit incontinent apres qu'on l'eut mis en la fosse, ilz n'ont peu produire de ses ossemens; mais pour supplier ce deffaut, ilz se sont ruez sur son ba guage. Et premierement, ilz se sont advisez du calice où il beut la poison, estant condamné par Domitian. Mais pource que deux l'ont voulu avoir, ou il nous faut croire ce que disent les alchumistes de leur multiplication, ou ceux cy avec leur calice, se sont moquez du monde. L'un est à Boulongne, 1) et l'autre à Rome, à sainct Iehan de Latran. Ilz ont puis apres controuvé son hoqueton, et [page 85] une chaisne dont il estoit lié, quand on l'amena prisonnier d'Ephese; avec l'oratoire où il souloit prier estant en la prison. Ie voudroys bien savoir s'il avoit lors des menusiers à louage pour luy faire des oratoires. Item, quelle familiarité avoyent les Chrestiens avec sa garde, pour retirer la chaisne et en faire une relique? Ces moqueries sont trop sottes, et fust ce pour abuser les petis enfans. Mais le ioyau le plus ferial est des douze peignes des Apostres, qu'on monstre à nostre Dame de l'Isle, sus Lyon. Ie pense bien qu'ilz ont esté du commencement là mis, pour faire à croire qu'ilz estoyent aux douze Pers de France; mais depuis, leur dignité s'est acreue, et sont devenuz apostoliques. Il nous faut d'oresnavant depescher, ou autrement iamais nous ne sortirions de ceste forest. Nous reciterons donc en brief les reliques qu'on a des Sainctz qui ont esté du temps que nostre Seigneur Iesus Christ vivoit; puis, consequemment, des Martyrs anciens [page 86] et des autres Sainctz. Sur cela les lecteurs auront à iuger quelle estime ilz en devront avoir. Saincte Anne, mere de la vierge Marie, a l'un de ses corps à Apt en Provence, l'autre à nostre Dame de l'Isle, à Lyon; outre cela, elle a une teste à Trier, l'autre à Turen en Iullet, 2) l'autre en Turinge, en une ville nommée de son nom. He laisse les pieces qui sont en plus de cent lieux; et entre autres il me souvient que i'en ay baisé une partie en l'Abbaye d'Orcamps, pres Noyon, dont on faict grand festin. Finalement, elle a un de ses bras à Rome, en l'eglise sainct Paul. Qu'on prenne fondement là dessus si on peut. Il y a puis apres le Lazare, et la Magdaleine sa sœur. Touchant de luy, il n'a que troys corps, que ie sache: l'un est à Marseille, l'autre à Authun, le troysiesme à Avalon. Il est vray que ceux d'Authun en ont eu gros procés à lencontre de ceux d'Avalon; mais apres avoir beaucoup despendu d'argent d'un costé et d'autre, ilz ont tous deux gaigné leur cause: pour le moins, [page 87] ilz sont demeurez en possession du tiltre. Pource que la Magdaleine estoit femme, il falloit qu'elle 1) Bononiae G. 2) Tureni apud Iuliacenses G. |