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laisse persuader qu'ainsi est. Mais quand l'auray remonstré evidamment la fraude qui s'y commet, quiconque aura un petit de prudence et raison, ouvrira lors les yeux et se mettra à considerer ce que iamais ne luy estoit venu en pensée.

Combien que ie ne puis pas faire en ce livret ce que ie voudroys bien. Car il seroit besoing d'avoir registres de toutes pars, pour savoir quelles reliques on dit qu'il y a en chascun lieu, afin d'en faire comparaison. Et lors on congnoistroit que chascun Apostre auroit plus de quatre corps, et chascun Sainct pour le moins deux ou trois. Autant en seroit-il de tout le reste. Brief, quand on auroit amassé un tel monceau, ') il n'y auroit celuy qui ne [page 13] fust estonné, voyant la moquerie tant sotte et lourde, laquelle neantmoins a peu aveugler toute la terre. Ie pensoys que puis qu'il n'y a si petite eglise cathedrale qui n'ayt comme une fourmillere d'ossemens, et autres telz menus fatras, que seroit-ce si on assembloit toute la multitude de deux ou trois mille Eveschez, de vingt ou trente mille Abbayes, de plus de quarante mille Couventz, de tant d'eglises parochialles et de chappelles? Mais encore le principal seroit de les visiter, et non pas nommer seulement; car on ne les congnoist point toutes à nommer. 2) En ceste ville on avoit, ce disoit-on, le temps passé, 3) un bras de sainct Anthoine: quand il estoit enchassé, on le baisoit et adoroit: quand on le mist en avant, on trouva que c'estoit le membre) d'un cerf. Il y avoit au grand autel de la cervelle de sainct Pierre. Pendant qu'elle estoit enchassée, on n'en faisoit nulle doubte; car ce eust esté un blaspheme de ne s'en fier au billet. Mais quand on esplucha le nid, et on y [page 14] regarda de plus pres, on trouva que c'estoit une pierre d'esponge.") Ie pourroys reciter beaucoup de semblables exemples, mais ceux cy suffiront pour donner à entendre combien on descouvriroit d'ordure si on faisoit une foys une bonne visitation universelle de toutes les reliques d'Europe. Voire avec prudence, pour savoir discerner. Car plusieurs, en regardant un reliquiaire, ferment les yeux par superstition: afin, en voyant, de ne veoir goutte, c'est à dire qu'ilz n'osent pas iecter l'œil à bon escient pour considerer ce que c'est. Ainsi que plusieurs, qui se vantent d'avoir veu le corps de S. Claude tout entier, ou d'un autre sainct, n'ont iamais eu ceste hardiesse de lever la veue pour regarder que c'estoit. Mais celuy qui auroit

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la liberté de veoir le secret, et l'audace d'en user, en sauroit bien à dire autrement. Autant en est-il de la teste de la Magdelaine qu'on monstre pres de Marseille, avec le morceau de paste ou de cire attaché sur l'œil. On en faict un thresor, 1) comme si [page 15] c'estoit un dieu descendu du ciel. Mais si on en faisoit l'examen, on trouveroit clairement la fourbe.

Ce seroit donc une chose à desirer, que d'avoir certitude de toutes les fariboles qu'on tient çà et là pour reliques, ou bien au moins, d'en avoir un registre et denombrement, pour monstrer combien il y en a de faulses. Mais puis qu'il n'est possible de ce faire, ie souhaitteroye d'avoir seulement l'inventoire de dix ou douze villes, comme de Paris, Tholouse, Reins et Poytiers. Quand ie n'auroys que cela, si verroit-on encore de merveilleuses garannes, 2) ou pour le moins ce seroit une boutique bien confuse. Et est un souhait que i'ay accoustumé de faire souvent, que de pouvoir recouvrer un tel repertoire. Toutesfoys, pource que cela me seroit aussi par trop difficile, i'ay pensé à la fin qu'il vailloit mieux donner ce petit advertissement qui s'ensuyt, afin de resveiller ceux qui dorment, et les faire penser, que ce peut estre du total, quand en une bien petite [page 16] portion il se trouve tant à redire.) I'entendz quand on aura trouvé tant de mensonge en ce que ie nommeray de reliquiaire) qui n'est pas à peu près la millesiesme partie de ce qui s'en monstre, que pourra-on estimer du reste? Davantage, s'il appert que celles qu'on a tenues pour les plus certaines ayent esté frauduleusement controuvées, que pourra-on penser des plus doubteuses?

Et pleust à Dieu que les Princes Chrestiens pensassent un petit à cela. Car leur office seroit de ne permettre point leurs povres subiectz estre ainsi seduictz, non seulement par faulse doctrine, mais visiblement en leur faisant à croyre que vessies de belier sont lanternes, comme dit le proverbe. Car ilz auront à rendre compte à Dieu de leur dissimulation, s'ilz se taisent en le voyant, et leur sera une faute bien chierement vendue, que d'avoir permis qu'on se moquast de Dicu, où ilz y pouvoyent) donner remede. Quoy qu'il soit, ") i'espere que ce petit traicté servira à tous, donnant occasion à un [page 17] chascun de penser en son endroit à ce que le tiltre porte. C'est que si on avoit un

1) in thesauro servatur G.

2) garennes 1563 suiv.; mirabilia veluti apum examina G.

3) tanta impostura deprehendatur G.

4) des reliquaires 1563 suiv.; in reliquiariis G.

5) y manque 1563 suiv.

6) Quoy qu'il en soit 1563 suiv.

rolle de toutes les reliques du monde, qu'on verroit clairement combien on auroit esté aveuglé par cy devant, et quelles tenebres et stupidité il y auroit eu par toute la terre.

Commençons donc par Iesus Christ, duquel, pource qu'on ne pouvoit dire qu'on eust le corps naturel (car du corps miraculeux, ilz ont bien trouvé la façon de le forger, voire en tel nombre, et toutes et quantes foys que bon leur sembleroit), on a amassé, au lieu, mille autres fatras, pour supplier ce deffaut. Combien encore qu'on n'a point laissé eschapper le corps de Iesus Christ sans en retenir quelque loppin. Car outre les dens et les cheveux, l'Abbaye de Charroux, au diocese de Poytiers, se vante d'avoir le Prepuce, c'est à dire la peau qui luy fut couppée à la Circoncision. Ie vous prie, dont est-ce que leur est venue ceste peau? L'Evangeliste sainct Luc recite bien que nostre Seigneur Iesus a esté [page 18] circonciz; mais que la peau ayt esté serrée, pour la reserver en relique, il n'en faict point de mention. Toutes les histoires anciennes n'en disent mot. Et par l'espace de cinq cens ans il n'en a iamais esté parlé en l'Eglise Chrestienne. Où estce donc qu'elle estoit cachée, pour la retouver si soudainement? D'avantage, comment eust-elle vollé iusque à Charroux? Mais, pour l'approuver, ilz disent qu'il en est tombé quelques gouttes de sang. Cela est leur dire, qui auroit mestier de probation. Parquoy on veoit bien que ce n'est qu'une moquerie. Toutesfoys, encore que nous leur concedions que la peau qui fut couppée à Iesus Christ ayt esté gardée, et qu'elle puisse estre ou là, ou ailleurs, que dirons nous du Prepuce qui se monstre à Rome à S. Iehan de Latran? Il est certain que iamais il n'y en a eu qu'un. Il ne peut donc estre à Rome et à Charroux tout ensemble. Ainsi, voyla une faulseté toute manifeste.

Il y a puis apres le sang, duquel il y [page 19] a eu grans combats. Car plusieurs ont volu dire qu'il ne se trouvoit point du sang de Iesus Christ, sinon miraculeux. Neantmoins il s'en monstre de naturel en plus de cent lieux. En un lieu quelques gouttes, comme à la Rochelle, en Poictou, que recueilla ) Nicodeme en son gand, comme ilz disent. En d'autres lieux, des fioles pleines, comme à Mantouë, et ailleurs. En d'autres, 2) à pleins gobeletz, comme à Rome, à S. Eustace. Mesme on ne s'est pas contenté d'avoir du sang simple, mais il l'a fallu avoir meslé avec l'eaue comme il saillit de son costé quand il fut percé en la croix. Ceste marchandise se trouve en l'eglise de sainct Iehan

1) recueillit 1563 suiv.

2) Le texte latin dit: Alibi plenae phialae ut Mantuae. Biliomi in Arvernia ostenditur vase crystallino liquidus: in quodam proximo vico, coagulatus, et aliis in locis.

de Latran, à Rome. He laisse le iugement à chascun, quelle certitude on en peut avoir. Et mesmes, si ce n'est pas mensonge evident, de dire que le sang de Iesus Christ ayt esté trouvé sept ou huyt cens ans apres sa mort, pour en espandre par tout le monde, veu qu'en l'Eglise ancienne iamais n'en a esté mention. 1)

[page 20] Il y a puis apres ce qui a touché 2) au corps de nostre Seigneur: ou bien tout ce qu'ilz ont peu ramasser pour faire reliques en sa memoire, au lieu de son corps. Premierement, la creche en laquelle il fut posé à sa nativité, se monstre à Rome en l'eglise nostre Dame la maieur. Là mesme, en l'eglise S. Paul, le drappeau dont il fut enveloppé: combien qu'il y en a quelque lambeau à sainct Salvador en Hespaigne. Son berceau est aussi bien à Rome, avec la chemise que luy feit la vierge Marie sa mere. Item, en l'eglise sainct Iaques, à Rome, on monstre l'autel sur lequel il fut posé au Temple à sa presentation, comme s'il y eust eu lors plusieurs autelz, ainsi qu'on en faict à la Papaulté tant qu'on veut. Ainsi en cela ilz mentent sans couleur. Voyla ce qu'ilz ont eu pour le temps de son enfance. ) Il n'est ia mestier de disputer beaucoup où c'est qu'ilz ont trouvé tout ce bagage, si long temps depuis la mort de Iesus Christ. Car il n'y a nul de si petit iugement, qui ne voye la follie. Par toute [page 21] l'histoire Evangelique, il n'y a pas un seul mot de ces choses. Du temps des Apostres, iamais on n'en ouyt parler. Environ cinquante ans apres la mort de Iesus Christ, Ierusalem fut saccagée et destruicte. Tant de Docteurs anciens ont escrit depuis, faisant mention des choses qui estoyent de leur temps, mesme de la croix et des cloux que Heleine trouva. De tout ce menu fatras ilz n'en sonnent 4) mot. Qui plus est, du temps de sainct Gregoire, il n'est point question qu'il y eust rien de tout cela à Rome, comme on voit par ses escritz. Apres la mort duquel Rome a esté plusieurs foys prinse, pillée et quasi du tout ruynée. Quand tout cela sera consideré, que sauroit on dire autre chose, sinon que tout cela a esté controuvé pour abuser le simple peuple? Et de faict, les Caffars, tant Prestres, que Moynes, confessent bien que ainsi est, en les appelant pias fraudes, 5) c'est à dire des tromperies honnestes, pour esmouvoir le peuple à devotion.

Il y a puis apres les reliques qui appartiennent [page 22] au temps entre l'enfance 6) de Iesus Christ, iusqu'à sa mort. Entre lesquelles est la coulomne

1) n'en a esté faite mention 1563 suiv. 2) attouché 1563 suiv.

3) de l'enfance de Iesus Christ 1563 suiv. 4) disent 1563 suiv.

5) piae fraudes 1566.

6) qui est depuis l'enfance 1563 suiv.

où il estoit appuyé en disputant au Temple, avec unze autres semblables du Temple de Salomon. Ie demande qui c'est qui leur a revelé que Iesus Christ fust appuyé sur une coulomne, car l'Evangeliste n'en parle point en racomptant l'histoire de ceste dispute. Et n'est pas vray-semblable qu'on luy donnast lieu comme à un prescheur, veu qu'il n'estoit pas en estime ne auctorité, ') ainsi qu'il appert. Outre-plus, ie demande, encore qu'il fust appuyé sur une coulomne, comment est-ce qu'ilz savent que ce fust ceste là? Tiercement, dont estce qu'ilz ont eu ces douze coulomnes, qu'ilz disent estre du Temple de Salomon?

Il y a puis apres les cruches où estoit l'eaue que Iesus Christ changea en vin aux nopces en Canna de Galilée, lesquelles ilz appellent hydries. Ie voudroys bien savoir qui en a esté le gardien par si long temps pour les distribuer? Car il nous faut tousiours [page 23] noter cela, qu'elles ont esté trouvées seulement huyt cens ans ou mille apres que le miracle a esté faict. Ie ne sçay point tous les lieux où on les monstre. Ie sçay bien qu'il y en a à Pise, à Ravenne, à Cluny, à Angiers, à sainct Salvador en Hespaigne. Mais sans en faire plus long propos, il est facile, par la veue seule, de les convaincre de mensonge. Car les unes ne tiennent point plus de cinq quartes de vin, tout au plus haut; les autres encore moins, et les autres tiennent environ un muys. 2) Qu'on accorde ces fleuttes, si on peut; et lors ie leur laisseray leurs hydries, sans leur en faire controversie. Mais ilz n'ont pas esté contens seulement du vaisseau, s'ilz n'en avoyent quant et quant le brevage. Car à Orleans ilz se disent avoir du vin, lequel ilz nomment de l'Architriclin. Car pource que S. Iehan, 3) recitant le miracle, parle de l'Architriclin, qui est à dire maistre d'hostel, ) il leur a semblé advis que c'estoit le nom propre de l'espousé: ") et entretiennent le peuple en ceste bestise. Une [page 24] foys l'an, Une [page 24] foys l'an, ilz font lescher le bout d'une petite coulliere à ceux qui leur veulent apporter leur offrande, leur disant qu'ilz leur donnent à boire du vin que nostre Seigneur feit au banquet; et iamais la quantité ne s'en diminue, moyennant qu'on remplisse bien le gobbelet. Ie ne say de quelle grandeur sont ses soliers, qu'on dit estre à Rome au lieu nommé Sancta Sanctorum, et s'il les a portez en son enfance, ou estant desia homme. Et quand tout est

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dit, autant vaut l'un que l'autre. Car ce que i'ay desia dit monstre suffisamment quelle impudence c'est de produire maintenant les souliers de Iesus. Christ, que les Apostres mesmes n'ont point eu de leur temps.

Venons à ce qui appartient à la Cene derniere que Iesus Christ fit avec ses Apostres. La table en est à Rome, à sainct Iehan de Latran. Il y en a du pain à sainct Salvador en Hespaigne. Le couteau dont fut couppé l'agneau Pascal est à Trier. Notez que Iesus Christ estoit en un lieu emprunté quand il feit [page 25] sa Cene. En partant de là, il laissa la table; nous ne lisons point que iamais elle ayt esté retirée par les Apostres. Ierusalem, quelque temps apres, fut destruite, comme nous avons dict. Quelle apparence y a il d'avoir trouvé ceste table sept ou huit cens ans apres? D'avantage, la forme des tables estoit lors toute autre qu'elle n'est maintenant. Car on estoit couché au repas, et non pas assis, ce qui est expressement dit en l'Evangile. Le mensonge donc est trop patent. Et que faut il plus? La couppe où il donna le Sacrement de son sang à boire à ses Apostres, se monstre à Nostre Dame de l'Isle, pres de Lion, et en Albigeois en certain couvent d'Augustins. Auquel croira on? Encores est-ce pis du plat où fut mis l'agneau Pascal: car il est à Rome, à Genes, et en Arles. Il faut dire 1) que la coustume de ce temps là estoit diverse de la nostre. Car au lieu qu'on change maintenant de metz, pour un seul metz on changeroit de plat: voire si on veut adiouster foy à ces sainctes reliques. [page 26] Voudroit on une faulseté plus patente? Autant en est il du linceul duquel Iesus Christ torcha les piedz de ses Apostres, apres les avoir lavez. Il y en a un à Rome à S. Iehan de Latran, un autre à Aix en Allemaigne, à Saint Corneille, avec le signe du pied de Iudas. Il faut bien que l'un ou l'autre soit faux. Qu'en iugerons nous done? Laissons les debatre l'un contre l'autre, iusques à ce que l'une des parties ayt verifié son cas. Cependant, estimons que ce n'est que tromperie de vouloir faire à croire que le drap que Iesus Christ laissa au lougis où il feit sa Cene, cinq ou six cens ans apres la destruction de Ierusalem, soit vollé, ou en Italie, ou en Allemaigne.

l'avoys oblyé le pain dont miraculeusement furent repeuz les cinq mil hommes au Desert, duquel on en monstre une piece à Rome, en l'eglise Nostre Dame la neufve, et quelque petit à sainct Salvador en Hespaigne. Il est dit en l'Escriture qu'il y eut quelque portion de manne reservée, pour sou

1) La traduction latine a bien rendu le sens de cette phrase en disant: Forsitan oportuit etc.

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venance que Dieu avoit nourry miraculeusement [page 27] le peuple d'Israel au Desert. Mais des reliefz qui demeurerent des cinq pains, l'Evangile ne dit point qu'il en fut rien reservé à telle fin; et n'y a nulle histoire ancienne qui en parle, ne aucun docteur de l'Eglise. Il est donc facile de iuger qu'on a pestry depuis ce qu'on en monstre maintenant. Autant en faut il iuger du rameau qui est à sainct Salvador en Hespaigne. Car ilz disent que c'est celuy que tenoit Iesus Christ quand il entra en Ierusalem le iour de Pasques flouries. Or, l'Evangile ne dit pas qu'il en tint; c'est donc une chose controuvée. Finalement, il faut mettre en ce reng une autre relique qui se monstre là mesme: c'est de la terre où Iesus Christ avoit les piedz assis quand il ressuscita le Lazare. Ie vous prie, qui est-ce qui avoit si bien marqué la place, que apres la destruction de Ierusalem, que tout estoit changé au pays de Iudée, on ayt peu adresser au lieu où Iesus Christ avoit une foys marché?

Il est temps de venir aux principales [page 28] reliques de nostre Seigneur. Ce sont celles qui appartiennent à sa mort et passion. Et premierement nous faut dire de sa croix, en laquelle il fut pendu. Ie say qu'on tient pour certain qu'elle fut trouvée d'Heleine, mere de Constantin, Empereur Romain. Ie say aussi qu'ont escrit aucuns docteurs anciens touchant l'approbation, pour certifier que la croix qu'elle trouva estoit sans doubte celle en laquelle Iesus Christ avoit esté pendu. De tout cela, ie m'en rapporte à ce qui en est. Tant y a que ce fut une folle curiosité à elle, ou une sotte devotion et inconsiderée. Mais encores, prenons le cas que ce eust esté une œuvre louable à elle de mettre peine à trouver la vraye croix, et que nostre Seigneur declara adonc, par miracle, que c'estoit celle qu'elle trouva: seulement, considerons ce qui est de nostre temps. On tient que ceste croix que trouva Heleine est encores à Ierusalem; et de cela, nul n'en doubte. Combien que l'histoire Ecclesiastique y contredit notamment. [page 29] Car il est là recité que Heleine en print une partie pour envoyer à l'Empereur son filz, lequel la mist à Constantinoble, sur une coulomne de pourphyre, au milieu du marché; ) de l'autre partie, il est dit qu'elle l'enferma en un estuict d'argent, et la bailla en garde à l'Evesque de Ierusalem. Ainsi, ou nous arguerons l'histoire de mensonge, ou ce qu'on tient auiourdhuy de la vraye croix est une opinion vaine et frivole. Or, advisons d'autre part combien il y en a de pieces par tout le monde. Si ie vouloye reciter seulement ce que i'en pourroye dire, il y auroit un rolle pour remplir un livre entier. Il n'y

1) au milieu du marché, manque dans la traduction latine.

a si petite ville où il n'y en ayt, non seulement en l'eglise cathedralle, mais en quelques paroisses. Pareillement, il n'y a si mechante abbaye où on n'en monstre. Et en quelques lieux, il y en a de bien gros esclatz: comme à la saincte chappelle de Paris, et à Poytiers et à Rome, où il y en a un crucifix assés grand qui en est faict, comme l'on dit. Brief, si on vouloit ramasser tout ce qui s'en est [page 30] trouvé, il y en auroit la charge d'un bon grand bateau. L'Evangile testifie que la croix pouvoit estre portée d'un homme. Quelle audace donc a ce esté de remplir la terre de pieces de boys en telle, quantité que troys cens hommes ne le sauroyent porter? Et de faict, ilz ont forgé ceste excuse que, quelque chose qu'on en couppe, iamais elle n'en decroist. Mais c'est une bourde si sotte et lourde, que mesme les superstitieux la congnoissent. He laisse donc à penser quelle certitude on peut avoir de toutes les vrayes croix qu'on adore çà et là. He laisse à dire dont c'est que sont venues certaines pieces, et par quel moyen. Comme les uns disent que ce qu'ilz en ont leur a esté porté par les Anges; les autres, qu'il leur est tombé du ciel. Ceux de Poytiers racomptent que ce qu'ilz en ont fut apporté par une damoyselle d'Heleine, laquelle l'avoit desrobé; et comme elle s'en fuyoit, se trouva esgarée aupres de Poytou. Ilz adioustent à la fable, qu'elle estoit boy teuse. Voila [page 31] les beaux fondemens qu'ilz ont pour persuader le pouvre peuple à idolatrer. Car ilz n'ont pas esté contens de seduire et abuser les simples en monstrant du boys commun au lieu du boys de la croix; mais ilz ont resolu qu'il le faloit adorer, qui est une doctrine diabolique. Et sainct Ambroise nommement la reprouve, comme superstition de Payens.

Apres la croix s'ensuit le tiltre, que fit mettre Pilate, où il avoit escrit: Iesus Nazarien, Roy des Iuifz. Mais il faudroit savoir et le lieu, et le temps, et comment c'est qu'on l'a trouvé. Quelcun me dira que Socrates, historien de l'Eglise, en faict memoire. Ie le confesse. Mais il ne dit point qu'il est devenu. Ainsi, ce tesmoignage n'est pas de grand valeur. D'avantage, ce fut une escriture faicte à la haste, et sur le champ apres que Iesus Christ fut crucifié. Pourtant de monstrer un tableau curieusement faict, comme pour tenir en monstre, il n'y a nul propos. Ainsi, quand il n'y en auroit qu'un seul, on le pourroit [page 32] tenir pour une faulseté et fiction. Mais quand la ville de Thoulouse se vante de l'avoir, et ceux de Rome y contredisent, le monstrant en l'eglise de saincte Croix, ilz dementent l'un l'autre. Qu'ilz se combatent donc tant qu'ilz voudront: en la fin, toutes les deux parties seront convaincues de mensonge, quand on voudra examiner ce qui en est.

Encores y a il plus grand combat des cloux. Ie reciteray ceux qui sont venuz à ma notice. Sur cela, il n'y aura si petit enfant qui ne iuge que le Diable s'est par trop moqué du monde, en luy ostant sens et raison, pour ne pouvoir rien discerner en cest endroit. Si les anciens escrivains disent vray, et nomméement Theodorite, histoirien de l'Eglise ancienne, 1) Heleine en feit enclaver un au heaume de son filz; des deux autres, elle les mist au mors de son cheval. Combien que sainct Ambroyse ne dit pas du tout ainsi; car il dit que l'un fut mis à la couronne de Constantin; de l'autre, le mors de son cheval en fut [page 33] faict; le troisiesme, que Heleine le garda. Nous voyons qu'il y a desia plus de douze cens ans que cela estoit en different, qu'est-ce que les cloux estoient devenuz. Quelle certitude en peut on donc avoir à present? Or, à Milan, ilz se vantent d'avoir celuy qui fut posé au mors du cheval de Constantin. A quoy la ville de Carpentras s'oppose, disant que c'est elle qui l'a. Or, sainct Ambroise ne dit pas que le clou fut attaché au mors, mais que le mors en fut faict. Laquelle chose ne se peut nullement accorder avec ce que disent tant ceux de Milan que ceux de Carpentras. Apres, il y en a un à Rome, à saincte Heleine; un autre là mesme, en l'eglise saincte Croix; un autre à Sene, un autre à Venise; en Alemaigne, deux: un à Coulogne, aux troys Maries, l'autre à Triers. En France, un à la saincte chappelle de Paris: l'autre aux Carmes; un autre à sainct Denis en France; un a Bourges; un à la Tenaille; 2) un à Draguignan. En voyla quatorze de compte faict. Chascun lieu allegue bonne approbation [page 34] en son endroit, ce luy semble. Tant y a que chascun a aussi bon droit que les autres. Pourtant, il n'y a meilleur moyen que de les faire passer tous soubz un fidelium:) c'est de reputer que tout ce qu'on en dit n'est que mensonge, puis que autrement on n'en peut venir à bout.

S'ensuit le fer de la lance, qui ne pouvoit estre qu'un; mais il faut dire que il est passé par les fourneaux de quelque alchumiste: car il s'est multiplyé en quatre, sans ceux qui peuvent estre çà et là, dont ie n'ay point ouy parler. Il y en a un à Rome, l'autre à la saincte chappelle de Paris, le troisiesme en l'abbaye de la Tenaille, en sainct Onge; 4) le quatriesme à la Selve, pres de Bordeaux. Lequel est-ce qu'on choisira maintenant pour vray?

1) Au second livre de l'histoire tripartite.
2) in Abbatia cui a forficibus est nomen G.

3) Itaque nihil expeditius quam eandem de omnibus ferri sententiam G.

4) Toutes les éditions anciennes écrivent ainsi. Gallasius traduit: apud Xantones, ce qu'offrent aussi les éditions françaises plus récentes.

Pourtant, le plus court, c'est de les laisser tous quatre pour telz qu'ilz sont. Mais encor, quand il n'y en auroit qu'un seul, si voudroys ie bien savoir dont il est venu: car les histoires anciennes, ne tous les autres escritz, n'en font nulle mention. Il [page 35] faut donc qu'ilz ayent esté forgez de

nouveau.

Touchant de la couronne d'espines, il faut dire que les pieces en ont esté replantées pour reverdir: autrement, ie ne say comment elle pourroit estre ainsi augmentée. Pour un item 1) il y en a la troisiesme portion en la saincte chapelle de Paris; à Rome, en l'eglise saincte Croix, il y en a trois espines; et en l'eglise sainct Eustace 2) de Rome mesmes, quelque quantité; à Sene, ie ne say quantes espines; à Vincence, une; à Bourges, cinq; à Besanson, en l'eglise de sainct Iehan, troys; à Mont royal, troys; à sainct Salvador en Hespaigne, ie ne say combien; à Sainct Iaques, en Galice, ) deux; à Alby, troys; à Thoulouse, à Mascon, à Charroux en Poictou, à Clery, à sainct Flour, à sainct Maximin en Provence, en l'abbaye de la Salle, en l'eglise parochialle de sainct Martin à Noyon: en chascun de tous ces lieux, il y en a une. 4) Quand on auroit faict diligente inquisition, on en pourroit nommer plus de quatre foys autant. Necessairement on [page 36] voit qu'il y a de la faulseté. Quelle fiance donc peut on avoir ne des unes ne des autres? Avec ce, il est à noter qu'en toute l'eglise ancienne, iamais on ne sceut à parler que ceste couronne estoit devenue. Parquoy il est aisé de conclurre que la premiere plante a commencé à ietter long temps apres la passion de nostre Seigneur Iesus Christ.

Il y a puis apres la Robbe de pourpre, de laquelle Pilate vestit nostre Seigneur par derision, d'autant qu'il s'estoit appellé Roy. Or, c'estoit une robbe precieuse, qui n'estoit pas pour ietter à l'abandon. Et n'est pas à presumer que Pilate ou ses gens la laissassent perdre, apres s'estre moqué pour une foys de nostre Seigneur. 5) Ie voudroys bien savoir qui a esté le marchant qui l'achepta de Pilate, pour la garder en reliquaire. Et pour mieux colorer leur bourde, ilz monstrent quelques gouttes de sang dessus, comme si les meschantz eussent voulu gaster une robbe royale, en la mettant par risée sur les espaules de Iesus Christ. Ie ne [page 37] say pas s'il y en a quelqu'une aussi bien ailleurs. Mais de la robbe qui estoit tissue de haut en bas

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