La frayeur saisissaient les hôtes de ces bois;
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable Où les attendait le lion.
N'ai-je pas bien servi dans cette occasion?
Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse. Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :
Si je ne connaissais ta personne et ta race, J'en serais moi-même effrayé.
L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère, Encore qu'on le rallât avec juste raison. Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron? Ce n'est pas là leur caractère.
Les Membres et l'Estomac.
Je devais par la royauté
Avoir commencé mon ouvrage;
A la voir d'un certain côté,
Messer Gaster (*) en est l'image:
S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.
De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme, Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster. Il faudraient, disaient-ils, sans nous qu'il vécût d'air. Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme; Et pour qui? pour lui seul . nous n'en profitons pas ; Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.
Chommons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre. Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d'agir, les jambes de marcher :
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher. Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent : Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur; Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur; Chaque membre en souffrit; les forces se perdirent. Par ce moyen les mutins virent
Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux. Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale. Elle reçoit et donne; et la chose est égale. Tout travaille pour elle; et réciproquement Tout tire d'elle l'aliment.
Elle fait subsister l'artisan de ses peines, Enrichit le marchand, gage le magistrat, Maintient le laboureur, donne paie au soldat, Distribue en cent lieux ses grâces souveraines, Entretient seule tout l'état.
Ménénius le sut bien dire.
La commune s'allait séparer du sénat. Les mécontens disaient qu'il avait tout l'empire, Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité : Au lieu que tout le mal était de leur côté, Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre. Le peuple hors des murs était déjà posté : La plupart s'en allaient chercher une autre terre, Quand Ménénius leur fit voir
Qu'ils étaient aux membres semblables ;
Et par cet apologue, insigne entre les fables, Les ramena dans leur devoir.
Le Lion abattu par l'Homme.
On exposait une peinture
Où l'artisan avait tracé
Un lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardans en tiraient gloire.
Un lion en passant rabattit leur caquet. Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire : Mais l'ouvrier vous a déçus;
Il avait liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre.
Le Renard et les Raisins.
Certain renard gascon, d'autres disent normand, Mourant presque de faim, de faim, vit au haut d'une treille Des raisins, mûrs apparemment,
Et couverts d'une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas.
Mais comme il n'y pouvait atteindre :
Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. Fit-il pas mieux que de se plaindre?
Le Cygne et le Cuisinier.
Dans une ménagerie
De volatilles remplie
Vivaient le cygne et l'oison :
Celui-là destiné pour les regards du maître ; Celui-ci pour son goût : l'un qui se piquait d'être Commensal du jardin; l'autre, de la maison. Des fossés du château faisant leurs galeries, Tantôt on les eût vus côte à côte nager, Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger, Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup, Prit pour oison le cygne; et, le tenant au cou, Il allait l'égorger, puis le mettre en potage. L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage. Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu'il s'était mépris.
Quoi! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe! Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe La gorge à qui s'en sert si bien!
Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe Le doux parler ne nuit de rien.
Le lion, terreur des forêts, Chargé d'ans, et pleurant son antique prouesse, Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.
Le cheval s'approchant lui donne un coup de pied, Le loup un coup de dent, le bœuf un coup de corne. Le malheureux lion, languissant, triste et morne, Peut à peine rugir, par l'âge estropié.
Il attend son destin sans faire aucunes plaintes; Quand voyant l'âne même à son antre accourir : Ah! c'est trop, lui dit-il : je voulais bien mourir; Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes.
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