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IPHIGÉNIE

Que cette amour m'est chère!
Quel plaisir de vous voir et de vous contempler
Dans ce nouvel éclat dont je vous vois briller!
Quels honneurs! quel pouvoir! Déjà la renommée
Par d'étonnants récits m'en avoit informée;
Mais que voyant de près ce spectacle charmant,
Je sens croître ma joie et mon étonnement!

1

Dieux! avec quel amour la Grèce vous révère !
Quel bonheur de me voir 2 la fille d'un tel père!

AGAMEMNON

Vous méritiez, ma fille, un père plus heureux.

IPHIGÉNIE

Quelle félicité peut manquer à vos vœux?

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A de plus grands honneurs un roi peut-il prétendre?
J'ai cru n'avoir au ciel que des grâces à rendre.

AGAMEMNON

Grands Dieux! à son malheur dois-je la préparer?

IPHIGÉNIE

Vous vous cachez, Seigneur, et semblez soupirer;
Tous vos regards sur moi ne tombent qu'avec peine.
Avons-nous sans votre ordre abandonné 3 Mycène?

540

545

550

1. Que, dans le sens de combien, très fréquent dans Malherbe et après lui. Corneille (Sertorius, v. 1301):

Que se tiendroit heureux un amour moins sincère
Qui n'auroit d'autre but que de se satisfaire.

2. Voir est employé quatre fois dans ce couplet. On a pu remarquer déjà quel usage Racine fait de ce verbe, qu'il ne se fait pas scrupule de répéter.

3. Abandonner, dans Racine, ne conserve souvent rien de son sens primitif, et signifie simplement quitter.

Par moi seule, éloigné de l'hymen d'Octavie,

Le frère de Junic abandonna la vie.

(Britannicus, v. 64.)

AGAMEMNON

Ma fille, je vous vois toujours des mêmes yeux.

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Mais les temps sont changés, aussi bien que les lieux. D'un soin cruel ma joie est ici combattue.

IPHIGÉNIE

Hé! mon père, oubliez votre rang à ma vue.,
Je prévois la rigueur d'un long éloignement 2,
N'osez-vous sans rougir être père un moment?
Vous n'avez devant vous qu'une jeune princesse
A qui j'avois pour moi vanté votre tendresse.
Cent fois lui promettant mes soins, votre bonté,
J'ai fait gloire à ses yeux de ma félicité.
Que va-t-elle penser de votre indifférence?
Ai-je flatté ses vœux 3 d'une fausse espérance?
N'éclaircirez-vous point ce front chargé d'ennuis?

560

565

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1. Soin, inquiétude, souci, très fréquent dans Racine, plus encore chez ses successeurs, Crébillon par exemple, La Grange-Chancel, etc. Il est devenu un de ces termes vagues et généraux, sans précision et sans couleur, dont s'est composé le vocabulaire des tragédies pseudoclassiques.

2. L'éloignement a ici un sens de réciprocité c'est la séparation, le temps pendant lequel le père et la fille seront éloignés l'un de l'autre, Mme de Sévigné a dit de mème : « Continuons de nous aimer, malgré nos éloignements ». Ce pluriel, avec le même sens, avait déjà été employé par Corneille, en parlant d'une fille qui doit quitter ses parents pour suivre son époux (Edipe, v. 296):

Le sang royal n'a point de ces attachements
Qui font les déplaisirs de ces éloignements.

3. Vœux est encore un mot du vocabulaire de Racine, dont ses successeurs ont fait un malheureux abus.

4. On trouve dans Esther (v 832):

Éclaircissez ce front où la tristesse est peinte.

On a comparé plus d'une fois les chagrins à des nuages qui obscur

IPIIGÉNIE

Seigneur, poursuivez.

AGAMEMNON

Je ne puis.

IPHIGÉNIE

Périsse le Troyen auteur de nos alarmes!

AGAMEMNON

Sa perte à ses vainqueurs coûtera bien des larmes. 570

IPHIGÉNIE

Les Dieux daignent surtout prendre soin de vos jours!

AGAMEMNON

Les Dieux depuis un temps me sont cruels et sourds 2.

IPHIGÉNIE

Calchas, dit-on, prépare un pompeux sacrifice.

AGAMEMNON

Puissé-je auparavant fléchir leur injustice!

cissent le front, qui font le visage sombre. Cela mène naturellement à la métaphore que Racine a employée. Malherbe avait dit :

De toutes parts sont éclaircis

Les nuages de vos soucis.

Le sens figuré le plus ordinaire du mot éclaircir, au XVIIe siècle, est éclairer, expliquer, ôter de doute ou d'erreur.

Daignez avec César vous éclaircir du moins.

(Britannicus, v. 117.)

Éclaircis promptement ma triste inquiétude.

(La Thébaïde, v. 587.)

1. Un, dans le sens de quelque, un certain. On trouve ailleurs : un temps. « On crut même un temps que les affaires allaient changer de face » (Racine, t. IV, p. 534). Molière a dit aussi : « Je souffrirai un temps » (Bourgeois gent., III, x).

2. Me sont cruels et sourds. Nous avons déjà eu cet emploi du pronom comme complément indirect, équivalant au datif latin. « Une mère qui m'a été si bonne » (Racine, VI, 406). « Homère et Virgile nous sont encore en vénération >> (id., IV, 279),

L'offrira-t-on bientôt?

IPHIGÉNIE

AGAMEMNON

Plus tôt que je ne veux.

IPHIGÉNIE

Me sera-t-il permis de me joindre à vos vœux?
Verra-t-on à l'autel votre heureuse famille?

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SCÈNE III

IPHIGÉNIE, ÉRIPHILE, DORIS

IPHIGÉNIE

580

De cet accueil que dois-je soupçonner? D'une secrète horreur je me sens frissonner 1. Je crains, malgré moi-même, un malheur que j'ignore. Justes Dieux, vous savez pour qui je vous implore.

1. Il semble que la scène précédente et le commencement de celle-ci aient inspiré Crébillon au premier acte de son Idoménée. Idoménée a juré d'immoler la première personne qu'il rencontrerait après avoir débarqué en Crèle. C'est son fils Idamante qui s'est présenté à lui. Comme

ÉRIPHILE

Quoi? parmi tous les soins qui doivent l'accabler,
Quelque froideur suffit pour vous faire trembler?
Hélas! à quels soupirs suis-je donc condamnée,
Moi, qui de mes parents toujours abandonnée,
Étrangère partout, n'ai pas même en naissant
Peut-être reçu d'eux un regard caressant!
Du moins, si vos respects sont rejetés d'un père,
Vous en
pouvez gémir dans le sein d'une mère;
Et de quelque disgrace 2 enfin que vous pleuriez,
Quels pleurs par un amant ne sont point essuyés?

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590

Agamemnon, il hésite, il recule; il fait la vue de son fils. Idamante lui dit (I, II):

Pourquoi détournez-vous les yeux?

Seigneur, qu'ai-je donc fait ? Vous craignez ma présence!
Quel traitement après une si longue absence!

IDOMÉNÉE

Non; il n'est pas pour moi de spectacle plus doux;
Mon fils, je ne sais rien de plus aimé que vous...
Je crains le cicl vengeur...

IDAMANTE

Peut-être que le ciel plus sensible à vos plaintes
Va s'expliquer bientôt, et fléchi désormais...

IDOMÉNÉE

Ah! mon fils! puisse-t-il ne s'expliquer jamais!
Adieu.

SCÈNE III

IDAMANTE

De cet accueil qu'attendre, Polyclète?

Que ce silence affreux me trouble et m'inquiète!

Les vers de Crébillon font valoir ceux de Racine.

1. En rappelle toute la proposition: si vos respects sont rejetés. (Cf., p. 81, note 1.)

2. Disgrace: le sens ordinaire au XVIIe siècle est malheur, accident. Sa disgrace mortelle, dans la Thébaïde (v. 1293), signifie sa mort. Mme de

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