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Pierre est debout près de cette mer et domine le monde. Tout ce qui a été grand et puissant a eu vers elle une sorte d'attraction les barbares y étaient poussés comme par une impulsion du ciel; le mahométisme l'a envahie avec fureur, et a été près de la conquérir; les puissances du Nord viennent se baigner et se fortifier dans ses eaux. A tout ce qui s'est tenu éloigné d'elle, il a manqué une certaine vérité, une certaine civilisation dans la grandeur. Alexandre et César sont nés près d'elle, Bonaparte dans son sein; Charlemagne est venu conquérir son rivage: les quatre plus grands noms de l'histoire profane. Près d'elle se sont élevées Rome et Carthage, Venise et Corinthe, Athènes et Alexandrie, Constantinople et Jérusalem. Et si l'on en croit aujourd'hui les préoccupations des politiques et leurs regards tous tournés vers cette mer, les grands combats et les grandes choses vont y revenir, et c'est là, comme autrefois, que se jugeront les questions décisives pour l'humanité.

Or, cette admirable mer n'était que la grande artère de l'empire romain, le chemin de ronde des légions. La flotte de Fréjus et celle de Misène la parcouraient incessamment, portant à l'Espagne ou à la Syrie les ordres ou les envoyés de César. Autour de son bassin se rangeaient les provinces romaines; les plus riches et les plus puissantes étaient celles qui se baignaient de plus près dans ses flots.

Quinze provinces sous la république, dix-neuf selon la première organisation d'Auguste, trente-trois à la fin du règne de Néron, partageaient cet empire. Entre ces provinces, dont chacune serait un royaume, une distinction est à observer.

Une ligne, à peu près identique au 17o degré de latitude, sépare au nord la Dalmatie de l'Épire; puis traversant la mer Ionienne laisse à droite l'Italie, à gauche la Grèce; puis tombe en Afrique, près de la ville de Bérénice, entre les colonies grecques de la Cyrénaïque, et les déserts où, à la race lybique, se mêlent quelques descendants des colons phéniciens. Si nous laissons de côté la Sicile, Grecque par son

origine et ses arts, Romaine par ses relations intime. avec l'Italie, cette ligne se pose assez bien entre les deux grandes influences qui formaient la civilisation de l'empire, l'influence grecque et l'influence romaine. Cette distinction n'est point factice; Rome la sentait et s'en rendait compte. Ni ses procédés de gouvernement, ni la marche de sa politique ne furent les mêmes en Orient et en Occident, chez le Grec ou chez le barbare. Auguste, en traçant sa division des provinces, au lieu de rattacher la Cyrénaïque aux provinces voisines d'Afrique ou d'Égypte, la joignit à la Crète, séparée d'elle par la mer, mais comme elle Grecque et civilisée.

Au point de vue de la civilisation, l'Italie et la Grèce étaient done les deux foyers de cette vaste ellipse que l'on appelle l'Empire Romain, les deux métropoles auxquelles, plus ou moins, chacun des peuples se rattachait. La Grèce, la première, avec une admirable puissance d'expansion, toute libre et toute spontanée, avait semé des colonies sur tous les rivages, sur les bords du Pont-Euxin, sur le Danube, jusqu'à l'entrée de la mer de Tauride. La côte d'Asie était grecque comme elle; la Sicile était toute sienne. Cyrène, sa colonie, déployait aux portes du désert une merveilleuse civilisation; Marseille, colonie phocéenne, avait ouvert à la Grèce l'entrée de la Gaule; à la suite des Phéniciens et des Carthaginois, la Grèce était arrivée en Espagne. Les conquêtes d'Alexandre avaient amené l'Orient à sa science et à ses mœurs; et cet empire de quelques années, démembré, comme celui de Charlemagne, le lendemain de la mort de son fondateur, avait donné naissance à vingt monarchies gréco-orientales, en Égypte, en Syrie, dans l'Asie mineure. La Grèce enfin avait fondé Alexandrie et Byzance. De nos jours, des médailles grecques ont été trouvées jusque dans la Bactriane et près des Indes; et, si ous tenons compte des simples traces laissées par les voyageurs, bien longtemps avant les Romains, Pythéas avait exploré la Grande-Bretagne, Néarque visité l'Inde, et Éra

tosthène nous la peint telle que nous la connaissons aujourd'hui.

La civilisation romaine, au contraire, avait dû prendre une autre route. L'Italie, admirablement placée, défendue au nord par les Alpes, se prolongeant au midi vers la Grèce et l'Afrique, entre les deux mers qui lui servent de rempart à droite et à gauche; l'Italie était Gauloise par le nord, grâce aux invasions celtiques qui avaient peuplé la Cisalpine; Grecque par le midi et par ces colonies opulentes qui firent donner le nom de Grande-Grèce à la partie méridionale de la péninsule. Les peuples italiques proprement dits, et leur chef le peuple romain, se trouvaient donc entre les Celtes et les Ioniens, entre la barbarie et les lumières. Ils reçurent la civilisation et la transmirent. Les arts leur vinrent de Corinthe et d'Athènes ; ils les portèrent à Narbonne et à Vienne, d'où les conquêtes de César devaient les mener plus loin encore. De plus, la lutte héroïque contre Carthage, ce moment décisif de la vie du peuple romain, lui avait ouvert par une autre porte le monde occidental. La Sicile, l'Afrique, l'Espagne, lui furent livrées, d'abord comme la lice du combat, puis commé le prix de la victoire, l'héritage de l'ennemi vaincu. L'accession de l'Orient, même à la considérer comme conquête, ne fut que secondaire; les républiques épuisées de la Grèce, les décadentes royautés des généraux d'Alexandre, coûtèrent peu d'efforts aux Romains, et tombèrent sans peine dans leurs filets. Mais l'Occident demanda plusieurs siècles de lutte; aussi, c'est en Occident que la conquête romaine devait être fructueuse, et que Rome devait gagner le titre de peuple civili

sateur.

Montrons donc cet Occident soumis, gouverné, civilisé par l'influence romaine; nous passerons ensuite à l'influence grecque et à l'Orient. Dans l'Occident était véritablement la force de l'empire; la culture et la population active étaient là. Là se rencontre le génie d'Auguste, comme aussi le génie auxiliaire de son lieutenant Agrippa. Ce sont douze ans de

voyage (ans de Rome 714-726) d'Auguste et d'Agrippa, qui ont civilisé la Gaule et l'Espagne. C'est à cette époque, dans une assemblée générale tenue à Narbonne, que le partage et le gouvernement de la Gaule ont été réglés. C'est alors qu'ont été tracées ou complétées ces routes qui, partant de Milan, vont rejoindre d'un côté Cadix et l'Océan, de l'autre Boulogne et la mer du Nord. Alors aussi les deux contrées ont reçu de la munificence des empereurs leurs plus magnifiques monuments, tous marqués du cachet de la même époque. Nîmes, cette ville d'Auguste, qui semble avoir fait du fils d'Atia son génie populaire, Nîmes a vu s'élever sa Maison carrée et cet aqueduc que nous appelons le Pont du Gard; en même temps que se bâtissaient, dans des formes pareilles, le temple de Vénus à Almenara, les immenses aqueducs de Ségovie et de Tarragone. Narbonne, Vienne, Fréjus, Lyon, s'embellissaient des magnificences romaines, en même temps qu'Antequerra, Mérida, Tarragone, Cordoue, recevaient de la libéralité de César ces temples et ces amphithéâtres, dont les vestiges debout à chaque pas nous étonnent encore (1).

Aussi, sous l'influence de ces grands civilisateurs, la barbarie recule vers le nord, les forêts disparaissent, les routes marchent en avant, les fleuves deviennent navigables, les canaux se creusent. Le midi de la Gaule n'est plus une province, dit Pline, c'est de l'Italie (2); forte, laborieuse, économe, féconde, comme l'Italie, hélas! ne l'est plus; féconde en hommes et en richesses (magna parens frugum... Magna

(1) Monuments du règne d'Auguste en Espagne : — Temple d'Antequerra (Anticyra), bâti par Agrippa sur le modèle du Panthéon. — Aqueducs magnifiques à Mérida, Tolède, Ségovie. —A Tarragone, tombeau des Scipions, palais des proconsuls dit palais d'Auguste, amphithéâtre au bord de la mer, temple d'Auguste (V. Tacite, Ann. I. 78), aqueducs, cirque, etc.- Ailleurs encore, théatres, amphithéâtres, thermes, naumachies, dont les vestiges se retrouvent dans presque toutes les grandes villes d'Espagne. - Médailles, inscriptions, etc... V. le voyage pittoresque de M. de Laborde.

(2) Italia veriùs quam provincia.... virorum morumque dignatio. Pline, H. N. III. 4.

virum). Toute cette contrée porte la toge (Gallia togata), parle la langue latine; elle est, je le croirais volontiers, plus romaine que Rome elle-même. Narbonne, le port de toute la Gaule, par lequel la Méditerranée se met en communication. avec l'Océan; Marseille, cette université gallo-grecque, qui, depuis un demi-siècle, enlève à Athènes les étudiants romains, et dans laquelle s'unissent avec bonheur la politesse grecque et l'économie provinciale (1) : voilà les deux ports par lesquels la civilisation est arrivée chez les peuples celtiques. Marseille depuis longtemps l'amena de la Grèce, et fit pénétrer dans les Gaules la science et les arts helléniques; Narbonne reçoit de son proconsul les traditions romaines, et les transmet aux peuples avec toute l'autorité du commandement. Puis de Marseille, la civilisation remonte à Lyon, la colonie de Plancus, la cité favorite des Césars, si puissante et si belle au bout de cent années d'existence (2); — Lyon à son tour commande à toute la Gaule celtique (Gallia Lugdunensis), vaste triangle dont le sommet est Lyon et dont la mer d'Armorique (la Manche) est. la base; des bords de cette mer une nuit de navigation conduit jusque dans l'inculte et sauvage Bretagne. Voilà la route que suivent la civilisation et le trafic: dans toutes ces contrées, les navires remontent et descendent les fleuves, les légions arrivent, les envoyés de César amènent avec eux les arts, l'industrie, les habitudes de la paix. Ici, sur les bords du Rhône, un peuple barbare de la Gaule, les Cavares, grâce à la colonie d'Orange, étaient déjà sous Tibère de véritables Romain's par la langue, par les mœurs, quelques-uns par le droit de cité (3). Là, près de

(1) Locum græcâ comitate et provinciali parcimoniâ mixtum et benè compositum. Tacite, in Agric. 7. V. aussi Ann. IV. 44. Strabon.

(2) Tot pulcherrima opera quæ singula singulas urbes ornare possint.... Lugdunum quod ostendebatur in Galliâ... Una dies interfuit inter maximam urbem et nullam..., dit Sénèque en déplorant l'incendie de Lyon. Ep. 91.

(3) Strabon. IV. Arausio secundanorum in agro Cavarum. Pline. H. N. III. 4. Mela. II. Ptolémée.

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