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mille hommes); et même fallait-il des canaux à creuser, des routes à construire, des mines à exploiter pour occuper le loisir du soldat. En Syrie, avant la dernière guerre, on voyait des vétérans qui avaient fait leur temps de service à trafiquer et à s'engraisser dans les villes sans savoir seulement ce qu'était une palissade ou un fossé (1). Gardée moins par sa force que par la terreur de son nom, Rome proclamait que, « rassasiée de gloire, elle en était venue au point de souhaiter la paix même aux peuples étrangers (2). »

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En effet, jusqu'où n'allait pas le nom de Rome? Quel peuple n'avait entendu parler de sa grandeur? Autour d'elle s'étend le cercle immense de ses provinces, ces peuples sans nombre, ces milliers de villes qui lui payent l'impôt et obéissent à ses proconsuls : - plus loin le cercle indéfini de sa suzeraineté ; les princes qui lui rendent hommage, les peuples germains qui, à titre d'impôt, combattent pour elle, l'Arménie, à qui Néron vient de donner un roi : plus vaste et plus indéfini encore, le cercle des peuples que Rome tient dans l'épouvante on qu'elle protége, mais qui tous écoutent avec une respectueuse terreur le moindre bruit qui vient des bords du Tibre, peuples << d'une douteuse liberté ; » telles les nations du Bosphore et celles du Caucase, contre lesquelles Néron allait tenter une folle guerre. Jusqu'où ne sont pas allées les armées romaines? Vers le nord, elles sont arrivées à trois journées de marche du Tanaïs (3). Vers le midi, Elius Gallus les a menées jusqu'au bout des déserts de l'Arabie, expédition malheureuse, mais où il n'a pas perdu plus de sept hommes dans les combats (4). Suetonius Paulinus, en dix jours, est arrivé au delà du mont Atlas, et, à travers des plaines couvertes d'une cendre noire, a pénétré jusqu'au Niger (5). Les cohortes

(1) Ann. 59. Tacite, Ann. XI. 18 (an 47).

(2) Claude au roi parthe Méherdate (an 50). Tacite, Ann. XII. 10.

(3) Tacite, Ann. XII. 17 (an 50). — (4) An de Rome 719. Strabon.

(5) Ou plutôt jusqu'au Gyr. Pline. V. 1 (an de J.-C. 42).

du préfet d'Égypte ont remonté le Nil jusqu'à la capitale de l'Ethiopie, et les députés de la reine noire Candace sont venus se jeter aux pieds d'Auguste (1). Un autre général est allé troubler, dans les sables africains, les peuples à demi fabuleux qui les habitent, et est revenu dans Rome triompher de vingt nations que Rome ne connaissait pas (2).

Allez plus loin. Où Rome n'a pas conduit ses armées, elle est présente par ses commerçants et ses voyageurs, par son luxe ou par sa science. Néron a fait rechercher les sources du Nil jusqu'en un lieu où des marais immenses arrêtent également le piéton et le batelier (3). Les îles Fortunées, trop bien connues, ne sont plus le séjour des bienheureux, et depuis que le roi Juba y a établi une fabrique de pourpre, la mythologie, chassée de ces rivages, a dû porter plus loin ses traditions poétiques (4). L'Inde, déjà pénétrée par les navigateurs macédoniens, déjà accessible par deux routes de terre, se rapproche de Rome par la découverte d'Hippalus : cet Egyptien a observé la marche des vents réguliers que connaissaient les seuls Arabes; une flotte de cent vingt navires marchands, d'après ses instructions, s'est embarquée sur la mer Rouge; et chaque été la flottille romaine arrive dans l'Inde en quatre-vingt-quatorze jours et revient avant l'année écoulée (5).

Enfin sur l'Océan, la conquête de la Bretagne a dû agrandir la sphère de la géographie antique. Une flotte romaine, probablement sous le règne de Claude, a fait le tour de cette île, qu'auparavant on appelait un monde. Elle a reconnu lerné (l'Irlande), pays barbare où le fils se nourrit de la chair de son père. Elle a soumis les Orcades; elle a enfin, en naviguant sur une mer paresseuse que la rame pouvait

(1) Strabon (an de Rome 732).

(2) Cornelius Balbus sous Tibère (Pline. V. 5). Il aurait pénétré jusque vers le 250 de latitude. (3) Sénèque, Nat. Quæst. VI. 8. Pline. VI. 29.

(4) Pline. VI. 31. 37. Horat., Epod. 26.―(5) Strabon.

à peine soulever, aperçu la terre de Thulé (1). Thulé est le nom que l'antiquité donne toujours à la dernière terre signalée vers le nord (2). Pythéas la place où est le Jutland; il lą peint comme une côte sablonneuse qui mêle à la mer l'arène de ses dunes, où les nuits d'été sont à peine de quelques heures (3). Pline la fait remonter vers le pôle, la met à l'entrée d'un océan de glace, y compte six mois de jour et six mois de nuit. Et le poëte à son tour, inspiré peut-être par des traditions antiques, prophétise le temps où l'Océan, ce lien de la terre, laissera passage à l'homme vers des contrées nouvelles, et où la lointaine Thulé ne sera plus l'extrémité du monde (4).

Or, les peuples que Rome va chercher si loin, à leur tour viendront à elle. Le Zahara lui enverra pour l'amphithéâtre ses lions, ses serpents énormes et sa girafe merveilleuse; de main en main, de peuple en peuple, l'ambre de Livonie, la soie du pays des Sères lui sera apportée : « Tant il faut, s'écrie Pline, de fatigues et de voyages pour que nos matrones aient des habits qui ne les voilent pas (5) ! » L'Inde, non contente de trafiquer avec Rome, veut communiquer avec elle par des ambassadeurs. Deux ambassades indiennes (6), après des fatigues infinies, sont arrivées à Auguste; et, de même

(1) Tacite, in Agricolâ. 10.

(2) « Ultima omnium quæ memorantur, Thule » (Pline. II. 17, 112. IV. 30). (3) Strabon.

(4)

Venient annis

Secula seris

Quibus Oceanus

Vincula rerum

Laxet et ingens

Pateat tellus

Nec sit terris

Ultima Thule.

(Sénèque, trag.)

(5)

II. 4.)

<< Tanto labore, tanto itinere paratur, ex quo matronæ transluceant. » (Pline.

(6) Ans de Rome 729 et 734. Suét., in Aug. 22. Hieronym. Chronic. Oros. IV.

qu'Alexandre reçut à Babylone des députés gaulois et espagnols, le fils d'Atia dans Tarragone a reçu les députés qui lui demandaient son amitié au nom d'un Porus, souverain de six cents rois.

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Au contraire, hors de Rome, hors de l'influence et de la portée de son nom, que trouvons-nous? Voyez ces steppes immenses qui s'étendent entre la Baltique et la Mer Noire, dans lesquelles s'échelonnent les deux races gétique et sarmatique, qui seront célèbres dans l'avenir, qui sont obscures et méprisées aujourd'hui. Les plus proches voisins de Rome sont les Daces, déjà puissants et connus, les pères, dit-on, de la race Slavone moderne; plus loin et plus obscurs, les Venèdes ou Vandales (Venedi, Vendili), illustres au siècle de la destruction de l'empire et dans l'histoire slave du moyen âge; au delà, parmi ces tribus sarmates qui les poussent sur le Danube, tous les degrés et tous les caprices de la barbarie. Ceux-ci noircissent leur visage et ne combattent que par des nuits sombres, bataillon funéraire dont nul, dit-on, ne supporte le regard; ceux-là pourrissent dans la torpeur et la saleté, ignorant le mariage et se souillant par une promiscuité honteuse. Les Finnois (Fenni) ont pour lit la terre, pour vêtements des peaux de bête, pour aliments le produit de leur chasse, pour armes des flèches garnies d'arêtes de poisson; les branches des arbres sont leur demeure: «< Bienheureux, dit Tacite dans un accès de misanthropie à la façon de Rousseau, qui ne craignent ni hommes ni dieux, et n'ont plus même un vœu à faire (1)! » -Voulez-vous marcher davantage? Voulez-vous entrer dans le domaine de la géographie fabuleuse? Etes-vous curieux de connaître les Oxions à têtes d'hommes sur des corps de

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(1) Et Horace de même :

Campestres meliùs Scythæ]

Vivunt et rigidi Getæ

Quorum plaustra vagas ritè trahunt domos. Ode.

bêtes, les bienheureux Hyperboréens, les Agathyrses aux cheveux bleus; les monts Riphées, l'axe du monde, lieux où les ténèbres sont éternelles : toutes choses que Tacite a la bonté de ne pas affirmer et qu'il laisse dans un doute prudent (1)?

Ainsi, près de Rome la lumière, loin de Rome la barbarie : à mesure qu'on s'éloigne d'elle les ténèbres s'épaississent; on arrive au monde des fables et des chimères. N'est-elle pas en droit de se dire le centre du monde? Bien que ses conquêtes n'aient pas dépassé le Rhin et l'Euphrate, ses voyageurs l'Elbe et l'Oxus (2), tout ce qui est civilisé la connaît; tout ce qui la connaît vient à elle; tout ce qui s'approche d'elle sent plus ou moins son influence. Son empire, comme un vaste édifice, projette autour de lui une grande ombre sous laquelle décroît et l'indépendance et la barbarie des nations. Si quelques peuples, disgraciés de Jupiter, vivent en dehors de cette influence et, comme dit Pline, de cette «< immense majesté de la paix romaine (3), » leur obscurité permet de les oublier, et Rome ne perd pas son temps à compter << tout ce qu'il y a de nations errantes par delà l'Ister (4). » Elle dit, sans soupçonner qu'on puisse l'accuser de mensonge, que toute terre habitable, toute mer navigable lui obéit (5); elle dit à meilleur droit encore : « Il n'est pas de nation au monde qui ne soit ou subjuguée au point d'avoir presque disparu, ou maîtrisée au point d'être réduite au repos, ou pacifiée au point de n'avoir qu'à se réjouir de notre domination et de notre triomphe (6). » Et quand ses armées se trouvent en face des barbares, et que ceux-ci leur crient : Qui vive!

(1) « Quod ego, ut incompertum, in medio relinquam. » Germania, in fine. V. aussi Pline. IV. 2.

(2) Strabon. XI, 13. —(3) Immensâ pacis romanæ majestate. H. N. XXVII. 1. (4) « Et quidquid ultrà Istrum vagarum gentium est... Gentes in quibus Romana pax desinit.» Sénèque, de Providentiâ. 4.

(5) Josèphe, de Bello. II. 16. — Denys d'Halicarnasse. Et Virgile: rerum dominos. » →→ (6) Cicéron.

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