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Mais ce fut aussi l'heure où Rome eut le plus à trembler pour elle-même. En peu d'années le péril éclata partout, et il sembla que tous ces peuples vaincus ou à demi subjugués se fussent donné le mot pour une dernière révolte. Dix-huit ans auparavant, Drusus, par un trait de génie, s'était jeté entre les deux races germaniques, les Hermions et les Suèves (1) (vers l'an 744), avait conquis et fortifié le Mein qui les séparait et, rejetées en arrière par ce redoutable voisinage, les races suéviques s'étaient repliées vers les forêts sans fin de la Bohême (Boiohemum). Mais là s'était trouvé un homme de génie : parmi les Marcomans (markmanner, hommes des frontières), Marbod, barbare que Rome avait élevé, arrivait au pouvoir, ralliait à lui les peuples suéviques, et fondait non loin du Danube, à deux cents milles seulement des Alpes, un empire, romain par la discipline, par la tactique militaire, par la puissance du commandement (2). Et tandis que Rome effrayée envoyait douze légions pour le combattre (an de J.-C. 6, de Rome 759); dans les provinces voisines, depuis le Danube jusqu'à l'Adriatique (Pannonie et Dalmatie), plus de deux cent mille hommes étaient en révolte, faisaient trembler l'Italie, et arrivaient jusqu'à dix journées de Rome. Et, lorsque trois ans d'une guerre opiniâtre (ans 6-9) avaient à peine dompté cette révolte, Armin (Arminius, Hermann), à la tête de quatre peuples du Rhin, surprenait Varus et les légions romaines au milieu du rêve d'une domination pacifique, renversait dans la sanglante nuit de Teut-burg l'œuvre

(1) V. « Luden: Geschichte des Deutschen Volks.

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(2) « Certum imperium et vis regia. » Marbod pouvait mettre sur pied 70,000 hommes et 4,000 chevaux. Les Langobardi étaient ses alliés. Strabon nomme six peuples qui s'étaient ralliés à lui. V. Strabon. Velleius. Plus redoutable, disait Tibère au sénat, que n'avait jamais été Antiochus ni Pyrrhus. » Les Semmons, peuple chef des peuples suéviques (caput totius gentis), étaient au temps de César. divisés en cinq bourgades (pagi; all. gauen), dont chacune fournissait 1,000 hommes pour la guerre, tandis qu'un nombre égal restait occupé à la culture des terres (De B. G. IV...), ce qui suppose une population d'environ 1,000,000 d'àmes.

qui avait coûté vingt-quatre années de guerre aux généraux d'Auguste, forçait Rome à repasser le Rhin, couvrait de cendres les cheveux blancs du vieil empereur, et envoyait à Marbod la tête du Romain Varus comme un gage d'alliance entre la ligue du Rhin et l'empire du Danube, entre les Hermions et les Suèves (1) (an de J.-C. 9).

Au milieu de tant de périls, Rome se sauva par son unité. Drusus, en plaçant entre ces deux races germaniques des solitudes infinies, avait rompu entre elles toute communication efficace. Grâce à cette séparation, Rome put se défendre. Tibère et Germanicus sillonnèrent encore le sol teutonique (2). Auguste mourut (an de J.-C. 14) sans que l'intégrité de l'empire eût été violée; mais plus persuadé que jamais des dangers d'une ambition insatiable et recommandant à ses successeurs de ne pas reculer les limites de la puissance romaine (3).

Telle était la pensée d'un politique ferme et intelligent : ne pas accroître l'empire, mais le fortifier et le garder. Comment les successeurs d'Auguste comprirent-ils les craintes, les prévisions, les pressentiments de leur devancier ?

S II.

TEMPS DES SUCCESSEURS D'AUGUSTE.

Malgré le conseil d'Auguste, que Tibère appelait un ordre (4), Claude envahit la Bretagne (an 43) et légua à ses successeurs une série de guerres inutiles à la grandeur de

(1) Dion. LVI. Suétone, in Aug. 23. Strabon. VII. Velleius. II. 117. 119. Tacite, Annal. I. 55.

(2) Campagnes de Tibère au delà du Rhin, dans les années 10, 11, après J.-C. (Suétone, in Tib. 18. 19. Velleius. II. 120, 121, 122). Campagnes de Germanicus en 14, 15, 16 (Tacite, Annal. I. 50 et II, 5. 25). Germanicus, selon Tacite, pénétra plus avant qu'aucun de ses devanciers.

(3) Tacite, Annal. I. 12. II. 61, in Agricola. 13.

(4) Augustus id consilium vocabat, Tiberius præceptum. Tacite, in Agr. Ibid.

l'empire. Mais, du reste, la tradition d'Auguste fut suivie; car je n'appelle pas conquête la réunion parfois momentanée de quelques monarchies vassales, dont les rois ne laissaient pas d'héritier, ou que supprimait, par forme de châtiment, la police des Césars (1).

Rome, en effet, aux temps de Claude et de Néron, pouvait se croire en sûreté contre les barbares. Elle était une, instruite, prévoyante, contre des peuples épars, ignorants, divisés. Profiter des querelles, encourager les révoltes, soulever des compétiteurs, se faire donner des otages que l'on renvoyait plus tard pour être rois, telle était la constante diplomatie de Rome sur le Rhin, sur le Danube, sur l'Euphrate. « J'ai longtemps guerroyé en Germanie, disait Tibère, et j'ai plus fait par la politique que par les armes (2). »

En effet, par sa seule politique, Rome poussait les barbares à leur ruine. Les Germains, quand leur grande ennemie n'était plus là, tournaient les armes contre eux-mêmes. Armin pour avoir voulu maintenir, par un peu de pouvoir, la ligue qu'il avait formée, Armin passait pour un tyran et était assassiné (an 21). Marbod chez des Suèves plus accoutumés cependant au pouvoir d'un seul, Marbod succombait devant les querelles intestines (an 19), et s'en allait mourir en Italie, prisonnier de Tibère. Les deux grandes ligues teutoniques furent ainsi dissoutes. Les peuples guerroyaient pour leurs incertaines limites, se heurtaient, changeaient de demeure, parfois étaient détruits; parfois venaient demander asile sur la terre romaine. Les belles plaines de la Gaule ne cessaient

(1) Voici celles de ces réunions qui paraissent avoir été définitives: Sous Auguste, le royaume des Galates (an 728). Dion. LIV. Strabon. XII. - Sous Tibère, celui de Cappadoce. Dion. LVII. Tac., Ann. II. 42 (an de J.-C. 18). — Sous Caligula, la Mauritanie (an 42). Dion. LX.-Sous Claude, la Judée après la mort d'Agrippa (an 44); l'Arabie-Itumée (an 49. Josèphe); la Thrace (an 46. Tacite. XII. 63); la Lycie (43. Dion. LX. Suétone, in Cl. 25.) · Sous Néron, le Pont-Polémoniaque (an 66), le royaume de Cottus dans les Alpes. Dion. LX. (2) Tacite, Annal. II. 16.

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pourtant pas de leur faire envie; la somnolence de l'aigle romaine les encourageait; ils essayaient de craintives et rapides invasions, pillant quelques terres et se retirant à la hâte comme le moucheron qui s'est posé sur la crinière du lion endormi. Le lion romain se secouait dans son repos et se soulevait lentement pour une défense qu'il croyait à peine nécessaire. Une sorte de trève s'établissait entre le barbare toujours tenté, effrayé toujours, et le Romain, sentinelle endormie sur sa vieille lance, qui mettait volontiers son sommeil d'aujourd'hui sous la protection de sa gloire passée. Les incursions étaient rares, la défense était molle. Le Germain laissait sommeiller les vedettes romaines; les clairons romains ne venaient plus éveiller les échos des forêts teutoniques. Rome qui n'avait plus, pour pressentir ses adversaires d'audelà du Rhin, le coup d'œil de César et d'Auguste, Rome se reposait sur cette trève tacite qu'elle croyait une paix, et une paix éternelle.

Sur le Danube, sa sécurité pouvait être plus grande encore. L'empire de Marbod s'était brisé, et, à sa place, des royautés vassales, d'humbles monarques qui recevaient leur couronne de César, habituaient la rive gauche du fleuve à l'obéissance envers Rome (1). Ce qui restait de peuples indépendants se consumait en guerres intestines; en face d'eux, une seule légion, paisible spectatrice de leurs combats, était debout sur le bord du fleuve, veillant à la sûreté de la rive romaine (2). La flotte romaine recueillait les fugitifs; Rome, afin que la guerre fût éternelle, se faisait la protectrice des vaincus.

Sur l'Euphrate enfin, d'interminables révolutions affaiblissaient l'empire des Parthes. La diplomatie romaine trouvait son compte dans tous les crimes (3). Parmi ces compétiteurs

(1) Tacite, German. 42. Annal. XII. 30.

(2) Ne victores successu elati, pacem nostram turbarent. Annal. XII. 56.

(3) «Omne scelus externum cum gaudio habendum, » dit un gouverneur romain (Tacite, Ann. XII),

renversés et rétablis d'un jour à l'autre, qui se faisaient la guerre avec le fer ou le poison, le candidat de Rome était toujours celui qui n'était pas sur le trône. Elle avait toujours en réserve quelque jeune Arsacide qu'elle s'était fait donner comme otage et qu'elle avait façonné à la romaine : au jour des révolutions, arrivait sur l'Euphrate ce prétendant oublié, avec ses habitudes civilisées, ses compagnons grecs, son dédain pour l'ivrognerie et pour la chasse; odieux à la noblesse, aimé du peuple. Par ces luttes perpétuelles, la puissance du roi des rois était abaissée. Rome le traitait en vassal (1); ces otages reçus et gardés à Rome, ces rois donnés par César, acceptés, demandés quelquefois par les Parthes (2), c'étaient, aux yeux de Rome, autant d'actes de sa suzeraineté universelle. L'Arménie, cette royauté arsacide, n'était déjà plus qu'un fief romain (3).

Ainsi rassurée contre ces trois grands ennemis, Rome avait eu bon marché de moins redoutables voisins. Par la soumission de la Thrace longtemps inquiète et remuante (an 43), la Macédoine était en sûreté. Depuis la défaite de Tacfarinas (4), Rome n'avait plus à guerroyer en Afrique. La frontière du nord et de l'Orient, cette ligne de plus de mille lieues qui commençait au Zuyderzée et finissait aux sables d'Arabie, était gardée habituellement par vingt légions (5) (cent vingt

(1) Claude parle au roi parthe Méherdate: « De Romano fastigio Parthorumque obsequio (Tacite, Ann. XII. 11). Déjà le roi Parthe, Phraate, «cuncta venerantium officia ad Augustum verterat » ( Id. II. 1). Strabon en dit autant: ils ont renvoyé leurs trophées, confié leurs fils à Auguste, soumis aux Romains le choix de leur roi (VII, in fine).

(2) Tacite. Ibid. 10.

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(3) « Armenii semper romanæ ditionis aut subjecti regis quem imperator delegisset,» dit un chef romain, à peu près prisonnier des Parthes; et tout ce que répond le Parthe vainqueur, c'est : « Imaginem retinendi largiendive penes nos, vim apud Parthos. » XV. 13. 14. V. aussi l'Histoire de Tiridate, tome I, pages 477-480.

(4) Ans 17-24. — V. Tacite, Ann. II. 52. III. 73. 74. IV. 23, etc.

(5) Il semble même qu'après la mort de Néron, il n'y eut que trois légions au lieu de quatre sur le Danube.

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