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tant de peine à désarmer. D'un autre côté, l'imprudente agression de Crassus avait ouvert aux Parthes la frontière romaine; un vaste mouvement d'invasion les portait au delà de l'Euphrate; la Judée avait été envahie (1); la Syrie était sans cesse menacée; les proconsuls d'Asie tremblaient pour leurs provinces (2); et Antoine, après avoir mené seize légions contre les Parthes et les avoir combattus avec un fabuleux courage, ne gagna à cette aventureuse expédition que l'honneur d'une belle retraite (an 718) (3).

Le danger n'avait pas échappé à l'œil de César. Dans les Gaules, à la vue de ces tribus germaniques qui passaient le Rhin l'une après l'autre, et que séparait de l'Italie la seule Helvétie, à peu près vide d'habitants, sa crainte avait été pour Rome elle-même. Non-seulement il avait combattu les Germains dans la Gaule, mais il avait voulu voir de près ces futurs destructeurs de l'empire, et il était allé deux fois les relancer dans leurs bruyères. Et, si sa première gloire avait été de vaincre les races teutoniques, sa dernière pensée fut de marcher contre les Parthes. Par ce suprême effort de son génie, il allait venger l'injure de Crassus, reprendre ces drapeaux et cette tête romaine dont les barbares étaient si fiers; et, par un coup de fortune qui eût dépassé toutes les proportions historiques, unir à sa toge de dictateur romain le diadème de Cyaxare, de Cyrus et d'Alexandre, donner à Rome toute l'Asie, la rendre peut-être limitrophe de la Chine, dont elle ne savait pas même le nom.

Mais la mort coupa court à ces pensées : l'anarchie du dernier triumvirat rendit l'empire plus accessible encore aux barbares. Sur Auguste retombait le triple labeur de le relever, de l'organiser, de le défendre.

On peut appeler Auguste le grand ouvrier de l'empire ro

(1) En 714. V. surtout Josèphe, Antiq. XIV. 23. De Bello. I. 2.

(2) Cic., Fam. XII. 19. XV. 1 et s. Attic. V. 17 et suiv.

(3) Dion, Justin. Appien, in Parth.'

main. C'est lui que nous allons retrouver partout, donnant à l'Occident sa civilisation, à l'empire sa forme, aux provinces leur loi administrative, à Rome son droit public, à la frontière romaine sa sécurité et sa force. Génie sérieusement, efficacement, profondément organisateur, sur les traditions duquel l'empire vécut pendant trois siècles!

Auguste comprit que la défense de Rome réclamait sur quelques points de dernières et prudentes conquêtes, dictées par la raison du politique, non par l'ambition insatiable du soldat. Rome, pour sa nourriture, avait besoin de l'Égypte ; l'Égypte, déjà vassale de Rome, devint province romaine (723), dès que se fut terminé, dans un tombeau d'Alexandrie, le tragique roman des amours d'Antoine et de Cléopâtre. La paix de l'Espagne exigeait la soumission des trois peuples du Nord, Astures, Gallègues et Cantabres: Auguste, Agrippa, Pollion, l'accomplirent par une guerre de sept ans (ans de Rome 728-735). La Dalmatie, cette riveraine de l'Adriatique et cette voisine de l'Italie, qui résistait depuis deux cent vingt ans, fut amenée enfin à reconnaître la suprématie romaine (725)(1). Mais rien n'était conquis si le rempart des Alpes n'était pas décidément romain. Il fallut des années de guerre (726-741), des luttes opiniâtres, des révoltes fréquentes, écrasées avec peine, mais écrasées enfin. Il fallut traquer de contrées en contrées et de montagnes en montagnes ces peuplades désespérées, dont les femmes, au moment de la défaite, se jetaient avec leurs enfants dans les flammes, ou les écrasaient contre terre pour les sauver de l'esclavage. Il fallut faire disparaître des populations entières, ne laisser libres que les enfants et les vieillards, vendre les hommes avec défense de les affranchir avant vingt ans. Ainsi Rome triompha-t-elle (2), et un trophée élevé dans les Alpes maritimes (an 741) attesta la

(1) Ad certam confessionem imperii redacta. Vell. Paterc. V. aussi Florus. IV. 12. (2) V. sur ces guerres Dion. LIII. Strabon. IV. Suétone, in Aug., 21. Appien, de Bello Illyr. Pline. III. 20. Florus. IV. 12 (ans de Rome 728-735).

défaite de cinquante nations et la soumission de toute la chaîne alpestre, depuis la Méditerranée jusqu'à l'Adriatique (1). Ainsi Rome, poussant toujours ses légions en avant, arriva-t-elle à transporter ses frontières jusque sur le Danube (728-742) (2), conquit la Pannonie où, avant Auguste, jamais soldat romain n'était entré; et un nouvel arc de triomphe élevé sur le Danube (3) attesta son dernier pas vers le nord (742).

Rome alors put tracer sa ligne de défense depuis l'Océan Germanique jusqu'au Pont-Euxin (4): le Rhin et le Danube furent sa frontière. Une ligne de forteresses (5) s'éleva sur ces fleuves, sur lesquels montaient et descendaient sans cesse deux flottes romaines, et qui eux-mêmes étaient un puissant rempart contre des barbares, étrangers à la science militaire. En arrière, entre ces fleuves et les Alpes, son dernier rempart, Rome s'était fait comme une immense zone militaire où ses légions pouvaient manoeuvrer à l'aise. C'était une série de provinces, toutes gouvernées par l'épée, peuplées de vétérans, semées de colonies, gardées par des châteaux forts: la Gaule belgique, avec ses deux armées de haute et basse Germanie; puis les deux régions alpestres de Rhétie (6) et de Vindélicie (7); puis le Norique (8), l'Illyrie, la Dalmatie, les

(1) Dion. LIV. 19. 25. 26. Strabon. IV. 6. Pline. III. 20. Florus. IV. 12.

(2) Dion. LIV. Horace, Od. IV. 4. 14. Velleius. II. 95. 96. Liv., Epit. 136. Suét., in Tiber. 9. 16. 21, et l'inscription d'Ancyre complétée par les fragments de la traduction grecque. (3) A Carnuntum (Hainburg entre Vienne et Presbourg?).

(4)

I. 9.

« Clausum mari Oceanum aut amnibus longinquis imperium. » Tacite, Annal.

(5) Sur le Rhin, plus de 50 forts (Florus. IV. 12): Cologne fondée plus tard par Claude, Bonn, Gesonia sur la rive droite, Mayence, Strasbourg (Argentoratum), Brisach, Windisch (Vindonissa), etc... Sur le Danube, Carnuntum, etc.

Auguste, dit le Grec Hérodien, donna pour boulevards à l'empire, de grands fleuves, de hautes montagnes, de puissants remparts, des terres désertes et presque impénétrables.

(6) Les Grisons et le Tyrol.

(7) La Bavière et la partie de la Souabe qui est au midi du Danube.

(8) L'Autriche proprement dite.

provinces les plus guerrières de l'empire; enfin sur le Danube, la Pannonie (1) et la Mésie (2); sentinelles de cette immense frontière, fidèles gardiennes de l'Italie.

Là demeurait une population militaire que Rome avait fait sortir de son sein pour remplacer la population indigène détruite par la guerre : là aussi des peuples vaincus, après avoir énergiquement lutté contre les Romains, s'étaient faits Romains, et donnaient de vaillants soldats aux légions (3). Quelquefois Rome prenait au delà du Rhin des tribus germaniques (4), les transportait dans la Gaule, et leur donnait, comme à ces Cosaques des frontières de l'empire russe, un campement sur la limite romaine; quelquefois elle se faisait des amis parmi les barbares, et investissait du droit de combattre pour elle (commilitium) des peuplades situées au delà de sa frontière, et qui étaient comme les postes avancés de son empire (5). Parfois enfin au delà de sa limite elle jetait des châteaux forts ou des soldats (præsidia); et de temps à autre ses généraux passaient le Rhin, le Danube, l'Euphrate, les premières chaînes de l'Atlas, pour aller, par de hardies trouées dans les forêts ou les déserts, avertir les barbares du voisinage de Rome.

En effet, Auguste n'ignorait pas qu'une telle frontière ne pouvait être défendue que par l'invasion et par l'attaque; de tels avertissements étaient nécessaires à des ennemis comme le Germain et le Parthe. Ainsi la honte de Crassus fut vengée, et ses drapeaux revinrent à Rome (an 733). Un empire daci

(1) Hongrie en deçà du Danube. (2) Servie et Bulgarie.

(3) Ainsi en Gaule: Vangions, Nemètes, peuples Germains établis dans les Gaules avant César. V. César. I. 51. Pline. Strabon.

(4) Ainsi les Ubiens et les Sicambres, transportés sur la rive gauche du Rhin, les uns, par Agrippa, les autres par Tibère (an 745). Suét., in Aug. 21, in Tib. 9. Tacite, Annal. II. 26. IV. 47. XII. 39.

(5) Ainsi en Germanie: Bataves, Frisons, Caninéfates, confédérés par Drunes (an 740). Tac. Annal. IV. 72. Hist. IV. 12. 17. 32. V. 25. Germ. 29. En Sarmatie : lazyges. Tąc., Hist. III. 5 (an de J.-C. 70).

que, qui s'était comme subitement élevé sur les bords du Danube et dont les armées, passant le fleuve sur la glace, poussaient leurs pillages jusque dans la Macédoine, fut combattu, repoussé, détruit; la force militaire de ces peuples réduite de deux cent mille hommes à quarante mille: Auguste les eût soumis si la Germanie n'eût été de trop près leur voisine (1). Enfin la Germanie elle-même était pénétrée; les armées romaines passaient le Mein (2), passaient l'Elbe, élevaient un autel à Auguste sur la rive droite de ce fleuve (3), jetaient sur les marécages de la Frise d'immenses ponts de bois, dont les restes se retrouvent encore par le canal de Drusus, qui amenait l'eau du Rhin jusque dans le Zuyderzée (lacus Flevo), la flotte romaine naviguait librement entre deux rives barbares et arrivait de là par l'Océan jusqu'aux bouches de l'Elbe. Il fallut qu'Auguste arrêtât lui-même ses généraux et leur défendît de passer l'Elbe (4); que Drusus, pour ne pas aller plus loin, prétextât un avertissement des dieux (5). La Germanie jusqu'au Weser devenait, malgré Rome elle-même, la conquête de Rome; elle semblait prête à payer le tribut; elle plaidait comme une province romaine au tribunal de Varus. Cette heure fut l'apogée de la puissance guerrière de Rome.

(1) Inscription grecque d'Ancyre. Strabon. V. Horace :

Penè occupatam seditionibus
Delevit urbem Dacus...

Et Virgile:

Et conjurato descendens Dacus ab Istro.

Et memoratus mutuis cladibus Dacus. -Tacite, German. Florus. IV. 12. (2) Domitius OEnobarbus en 746. V. sur les campagnes de Tibère, en 739, 746, 756, 757; de Drusus en 740, 741, 742, 744, 745. Florus. IV. 12. Dion. Pline. XI. 18. Suétone, in Tib., 9. Sénèque, Consol. ad Marciam. 3.

(3) Sur le canal de Drusus (ans de Rome 740-741), V. Tacite, Annal. XIII. 53. Hist. V. 19. Suétone, in Cl. 1.

(4) Il avait plus d'une fois battu l'ennemi et l'avait poussé jusque dans les plus profondes solitudes; mais il s'arrêta à l'apparition d'une femme barbare, d'une taille gigantesque, qui lui défendit en latin d'aller plus loin. Suétone, in Cl. 1.

(5) Omnis usque ad Visurgim pœnè stipendiaria Germania. Velleius. II. 97.Į

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