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Et remarquez que ces distinctions n'ont pas été effacées par les siècles. Quatre cents ans après l'époque dont nous parlons, au temps de la grande invasion des barbares, les Ingévons s'élancent sur la mer et forment cette ligue anglosaxonne qui envahit la Grande-Bretagne. Les fils des Hermions s'unissent dans cette ligue francique, future conquérante des Gaules, à laquelle appartiennent Siegfrid, Clovis, Charlemagne l'épopée, l'histoire, le roman germanique. Enfin des Suèves reparaissent sur le Rhin et le franchissent, quatre cent cinquante ans après l'époque où César les y avait vus; ils donnent leur nom à la Souabe, et forment la ligue des Allemands (Alle-manner, gens de toute sorte). Dans tout le moyen âge, le peuple du Rhin et celui de l'Elbe, le Franc et le Saxon demeurent distincts. Saxe et Franconie sont, dans les querelles de l'empire, deux drapeaux ennemis. Le dialecte franconien et le dialecte saxon subsistent encore comme deux idiomes opposés.

Il semble en effet que dans la Germanie antique l'unité ne pût être qu'un accident, et que la division fût éternelle. L'énergique sentiment de l'indépendance personnelle formait le caractère principal de cette race; aujourd'hui même encore il se conserve avec une fidélité remarquable dans un des rameaux du tronc germanique, la branche anglo-saxonne. <<< Chez les Germains, dit Tacite, personne, si ce n'est les prêtres, n'a autorité pour punir, pour enchaîner, pour frapper de verges; eux-mêmes le font, non à titre de châtiment, ni par l'ordre du chef, mais comme par inspiration de leur dieu... La puissance des rois n'est ni illimitée, ni arbitraire; celle des chefs est dans la force de leur exemple plus que dans l'autorité de leur commandement (1)... Les moindres affaires se traitent entre les grands de l'État, les grandes affaires devant tout le peuple... Et, par un des abus de leur liberté, au lieu de se réunir tous au jour prescrit, une, deux,

(1) Tacite, German. 7.

trois journées se passent à attendre les absents... Les prêtres ordonnent le silence; le roi... parle sur le ton du conseil, non du commandement. Si la harangue leur déplaît, ils la réprouvent par des murmures; si elle leur plaît, ils agitent les framées... Devant ces conseils, on accuse son juge..... on élit ceux qui doivent rendre la justice dans les bourgades (1)...» A ces hommes si jaloux de se gouverner, toute autorité pesait comme un joug, toute force d'unité semblait une tyrannie. L'indépendance de l'homme brisait l'unité de la tribu, l'indépendance de la tribu l'unité de la nation. Tant que l'esprit germanique a été le même, il n'y a pas eu de nation germanique nulle communauté politique n'a rallié les peuples teutons; la similitude des mœurs, de la religion, du langage, la tradition de l'origine commune a été insuffisante pour créer entre ces peuplades diverses quelque chose comme une patrie.

De là, comme dans un moment nous pourrons le dire avec détail, la longue faiblesse des peuples germains, indépendants et discords, contre l'unité romaine, tant que l'unité romaine eut un peu de vie. Il fallut des siècles de décadence, il fallut l'extinction de la vie intérieure de l'empire pour livrer Rome, décrépite et désarmée, à la merci, je ne dirai pas des barbares, mais du premier barbare qui voulut la prendre.

En face de cette diversité et de cette indépendance germanique, l'Orient nous présente un tout autre spectacle. Les Parthes comme les Germains sont des barbares aux yeux 'de Rome; mais ces barbares ont fondé un vaste empire, puissant d'organisation et d'unité, rival de celui de Rome (2) et plus étendu peut-être. Les Arsacides, Scythes ou Daces, apparus vers le ve siècle de Rome, se sont saisis du plus beau débris de la monarchie d'Alexandre, et ont mis sur leur tête

(1) Tacite, German. 11, 12.

(2) Parthi Romani imperii æmuli. Tacite, Annal. XV. 13.

la tiare de roi des rois, cette couronne de l'Orient qu'avaient portée l'un après l'autre l'Assyrien, le Mède, le Perse, le Macédonien.

La royauté parthique, par ses mœurs, ressemble à tous les empires de l'Asie; par sa constitution elle rappelle l'empire germanique du moyen âge. D'un côté, la polygamie, chez les Parthes comme dans tout l'Orient, fait du souverain l'ennemi obligé de sa famille : ce ne sont que parricides, empoisonnements, révolutions de palais. Un prince qui a tué son père pour monter sur le trône, fait mourir, pour y rester, trente de ses frères. D'un autre côté, le système féodal, dont la Germanie, peinte par Tacite, recèle un germe obscur encore, nous apparaît ici dans son entier développement. Comme dans l'empire d'Allemagne, le roi est élu, mais par une loi conforme à celle des anciens peuples teutoniques (1), toujours élu dans la même famille. Comme dans l'empire, les électeurs sont les grands feudataires. Des rois vassaux, nés du sang des Arsacides, occupent, sous la suzeraineté du roi des rois, les trônes d'Arménie, de Médie, de Perse; puis viennent les dix-huit rois ou satrapes du premier ordre, puis d'autres dynastes ou rois; on compte jusqu'à quatre-vingt-dix de ces royautés subalternes. Les trois grandes préfectures héréditaires rappellent les grandes charges du saint empire. Le connétable (surena), le second de l'empire après le roi, commande les armées; mille chevaux portent ses bagages; dix mille cavaliers, ses vassaux, marchent avec lui. Des marquis gardent les frontières. Des libres (c'est encore un mot de notre langue féodale, frey herrn en all.), barons ou chevaliers, combattent à cheval: eux et leurs destriers sont bardés de fer.

Les grands festins, l'ivresse, les querelles violentes, les diètes souvent ensanglantées par le glaive, la passion de la chasse acceptée comme signe distinctif de nationalité et de

(1) Tacite « Reges ex nobilitate.., sumunt. » Et les codes des peuples barbares,

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noblesse, les révolutions amenées par le caprice et l'indépendance des leudes, les guerres entre les enfants du sang royal, sont des traits communs à la féodalité parthique et à la féodalité francique ou allemande. Le noble est juge, prêtre, guerrier le peuple est serf, ici nous pouvons dire esclave. Le peuple mède ou persan, qui s'est laissé vaincre par les Arsacides, se bat à pied derrière la croupe du cheval de son seigneur; il n'a point d'armure; il tombe par milliers d'hommes sur le champ de bataille: on ne le compte pas; ainsi on raconte que huit cent cinquante hommes d'armes ont vaincu les dix légions d'Antoine, que vingt-cinq lances (on sait que sous ce nom sont compris l'homme d'armes et sa suite), que vingt-cinq lances ont pris Jérusalem. Sous cet empire, comme sous la monarchie féodale, vingt formes diverses de gouvernement, vingt nationalités et vingt races subsistent les unes auprès des autres. Il y a des villes juives; la ville grecque de Séleucie a son sénat, ses assemblées démocratiques, une indépendance presque complète (1). Lisez dans Josèphe la curieuse histoire de ces deux frères juifs qui soulèvent leurs compatriotes contre les barons partes et contre leur suzerain le prince de Babylone. Cependant le roi des rois pardonne à ces aventuriers; il les soutient même, les encourage, afin, dit Josèphe, de s'en servir pour maintenir les grands dans leur devoir (2). Ne sont-ce pas là nos rois favorisant la révolte des serfs contre la noblesse féodale? car dans l'empire Parthique les serfs et les vaincus aspiraient aussi à s'émanciper, et les Arsacides devaient tomber par une révolte de la race Persane et Médique, race conquise, race esclave.

Chose remarquable et qui prouve comment en ce siècle toute chose gravitait vers l'unité! cet empire des Parthes, d'un côté, guerroyait sur l'Euphrate avec Rome, de l'autre touchait à la Chine, dont les annales gardent son souvenir,

(1) Tacite, Annal. VI. 41. Josèphe. —(2) Josèphe, Antiq. jud. XVIII. G.

et était en relation avec la dynastie des Hang comme avec la dynastie des Césars. Ainsi, trois grands empires à peu près limitrophes occupaient toute la largeur de l'ancien continent depuis la pointe des Algarves (ce dernier angle du monde, Cuneus) jusqu'à la mer Jaune. Qu'y avait-il au Nord, que des tribus nomades, sauvages, inconnues? Au Midi, que des peuplades noires, ignorées ou méprisées, les Arabes, peuple à moitié sujet des Romains, et l'Inde ensevelie dans la contemplation et le repos? Aussi à Rome, à Ctésiphon, à Pékin, proclamait-on également la monarchie universelle César se déclarait le chef du genre humain; les Pacore et les Vologèse s'intitulaient maîtres du monde; le monarque de la Chine était, comme aujourd'hui, le fils du ciel, et admettait à peine qu'il y eût une race humaine en dehors du céleste Empire (1).

Le Parthe et le Germain étaient donc, depuis que l'Orient civilisé avait été vaincu, les deux grands ennemis de Rome. Au temps des guerres civiles, soit que Rome, par ses divisions intestines, encourageât l'audace des barbares, soit qu'il se manifestât comme un mouvement précurseur de la grande invasion du ve siècle, ces ennemis furent plus menaçants que jamais. Depuis longtemps ce perpétuel entraînement qui attire vers le Midi les fils du Nord, faisait envier à la pauvreté barbare et à l'ivrognerie germanique les fertiles plaines et les riches vignobles d'au delà des Alpes. Marius (an de Rome 640) (2) avait arrêté, en Provence, le torrent de l'invasion cimbrique; César s'était rencontré avec le Suève Ariovist au pied des Vosges. Rome, maîtresse de la Gaule, touchait les Germains, et était obligée de garder contre eux la ligne du Rhin, à la place de ces Gaulois qu'elle avait eu

(1) V. sur tout ce qui précède les excellents Mémoires de l'Orientaliste Saint-Martin.

(2) La dernière victoire de Trajan est de l'an 850. « Tandiù Germania vincitur, dit Tacite, Germ. 87.

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