Obrazy na stronie
PDF
ePub

l'empire un Spartacus armant les esclaves, un Catilina appelant à lui les prolétaires, un Mithridate soulevant les provinces conquises, un Brutus frappant César. Si le christianisme, au lieu de se contenter d'introduire dans les choses de ce monde le gouvernement de la conscience, eût prétendu les gouverner par les principes universels, les volontés menaçantes, les théories actives, les procédés violents des révolutionnaires modernes; si la Bonne nouvelle eût été celle de l'émancipation actuelle et universelle assez de millions d'hommes, dans cette société dont l'oppression était la loi fondamentale, eussent adhéré à cette charte du peuple, et combattu pour cet évangile révolutionnaire qui eût fait de Pierre, tout à la fois un Spartacus, un Caligula, un Mithridate, un Brutus.

Mais rien de tout cela. Pierre ne veut être que le serviteur des serviteurs de Dieu. Ce que Dieu permet, il le subit, il l'accepte, il le révère. Quand les institutions iniques sont devenues la loi du monde, il ne les attaque pas, il les tient même pour nécessaires et légitimes. L'esclavage, l'infériorité du pauvre, la domination de Rome sur le monde, la puissance des Césars sur l'univers et sur Rome, lui apparaissent, sinon comme juste dans leur principe, mais du moins comme nécessaires dans leurs conséquences et légitimées par la possession. Nulle part il ne décrie, nulle part il ne pose en principe leur iniquité; les déclarations de droits, les proclamations de principes sociaux ne sont pas à son usage. Que l'esclave ne vienne pas ici, ardent pour la liberté et impatient de s'affranchir : Pierre et Paul lui disent qu'il doit rester dans l'esclavage et demeurer soumis à son maître, tant qu'il ne pourra par les voies légales parvenir à la liberté (1). Que le pauvre ne vienne pas, dévoré d'envie à la vue de la fortune du riche son voisin et plein du désir de s'en emparer: on lui dira qu'il faut souffrir, qu'il faut respecter le bien d'autrui, qu'il faut attendre ce que lui don

(1) Eph. VI. 5. 8. Col. III. 22. Tit. II. 9. 10. I Petr. II. 18.

nera le riche. Que le sujet irrité de César, le patricien dénoncé par les délateurs, le provincial opprimé par les proconsuls, ne vienne pas proférer des plaintes, soulever des révoltes Paul lui dira qu'il doit se soumettre, que toute puissance vient de Dieu, qu'un roi, Néron lui-même, doit être obéi, «< non-seulement par la crainte qu'il inspire, mais par le devoir qui lie nos consciences envers lui (1). » Ainsi point de remède à attendre, point d'ambition à nourrir, point de liberté, de fortune, de voluptés à espérer en ce monde. Et la ressource dernière du désespoir, le droit, incontesté par les philosophes, de cherchèr, quand l'âme s'est épuisée à souffrir, le repos dans la mort, cette ressource-là même, cette épée libératrice, le christianisme la retire des mains de l'esclave. Pour toute consolation et pour toute joie, le christianisme lui impose sa dure et triste vertu, la résignation; il lui offre d'imiter un Maître qui a porté la couronne d'épines et qui a marché sur les roches du Calvaire, les épaules chargées d'une croix. Voilà comment il fait illusion à l'homme, comment il encourage ses espérances, comment il le séduit, comment il enrôle sous son drapeau révolutionnaire ceux qui souffrent, ceux qui gémissent, ceux qui sont irrités.

[ocr errors]

Et d'un autre côté, s'il ne flatte pas les pauvres, flattera-t-il davantage les riches dans leurs plaisirs, les puissants dans leur oppression journalière, César dans sa tyrannie? Si les lois genérales de la société lui paraissent dignes de respect, par cela seul qu'elles sont générales, l'usage que l'homme peut faire de ces lois est un fait individuel sur lequel le christianisme a le droit d'interroger chaque conscience. Il ne discute pas les institutions, mais il juge les hommes. Il n'est pas venu redresser les torts de la société; mais il est venu reprendre les péchés de chacun de ceux qui la composent. Il dit sans crainte au maître de ne pas mépriser son esclave, parce que

(1) Non solùm propter iram, sed etiam propter conscientiam. V. Rom. XIII. 1–7, Tit. III. 1, I Petr. II. 13-15. 17.

[ocr errors]

Dieu est le maître de l'un et de l'autre (1). Il dit au riche de ne pas s'enorgueillir de son anneau d'or et de ne pas traiter le pauvre avec dédain (2). Quand il prie pour les princes, il ne demande point pour eux, comme ils sont accoutumés de le faire, les biens et les plaisirs; il demande ce dont ils ont besoin, la justice et la chasteté. A tous il impose rudement et sans détour le devoir, eux avares, de faire l'aumône, eux superbes et durs, d'être humbles et doux, eux sensuels, de pratiquer le jeûne, eux égoïstes, de courir aux échafauds.

Il entreprend donc la tâche difficile et singulière de prêcher chacun contre son intérêt et ses passions; l'esclave en faveur de l'esclavage, le maître en faveur de la liberté. Ce qu'il interdit au pauvre d'exiger ou de prétendre, il veut que le riche le donne volontairement. Et son triomphe, s'il triomphe, aura cela de merveilleux, que les institutions du paganisme, inattaquées par ceux qu'elles oppriment, seront abolies par ceux qui en profitent; que l'esclave résigné à la servitude sera émancipé par les scrupules du maître; que le prolétaire humble et patient sera enrichi par la conversion du riche; que César enfin, à la voix de ces apôtres qui plient la tête sous la tyrannie, se démettra de sa tyrannie ! Voilà quelles sont ses armes révolutionnaires, et comme il prétend changer la face du monde, enseignant la patience illimitée à ceux qui souffrent, le sacrifice volontaire à ceux qui jouissent.

Mais alors qui sera donc pour lui? Sans complaisance pour les puissants, sans espérance pour séduire les faibles, sur qui compte-t-il? L'esclave versera-t-il son sang pour la servitude, le maître pour l'émancipation? Les grands et les riches ne viennent point à lui, rebutés par la dureté de ses maximes, par son amour de l'humilité et de la souffrance : parmi les chrétiens, en effet, il n'y a «< ni beaucoup de sages selon la

(1) Ephes. VI. 9. — (2) Jac. II. 2. 3. 4.

chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles (1); » le philosophe grec, le docteur juif, n'entrent guère dans l'assemblée chrétienne (2). Et d'un autre côté, les faibles et les petits auxquels le christianisme ne sait prêcher que la soumission et l'amour de leur misère, lui viendront-ils? Factieux aux yeux des grands par cela seul qu'il ne concède rien à leurs vices, impopulaire auprès des petits en maintenant les institutions qui les oppriment, pour qui est-il done? Qui sera pour lui? L'esclave auquel il interdit la fraude, la rébellion et la fuite, ou bien le maître dont il reprend la débauche et l'arrogance? Le pauvre auquel il ordonne de respecter le bien du riche, ou le riche auquel il ordonne de se dépouiller pour vêtir le pauvre? Israël dont il s'éloigne en l'appelant impie et déicide, et dont il flétrit la révolte contre Rome comme une révolte contre Dieu, source d'épouvantables malheurs; ou bien, Rome dont il se sépare également en séparant son culte du sien, en méconnaissant ses dieux, en criant tout haut que son Jupiter n'est que pierre, bois ou métal? Tous les mécontents et les factieux auxquels il prescrit de respecter César, ou bien César qu'il refuse d'adorer? Le malheureux auquel il interdit le suicide, ou l'heureux du siècle auquel il impose le martyre?

Personne, en effet, ne sera pour lui. Nul bras de chair ne s'élèvera pour sa défense. « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas, dit saint Paul, les armes de la chair (3). » Nul secours matériel ne peut entrer dans ses calculs. Ni cette ambition guerrière et nationale que Mahomet a soulevée, ni ces mille passions, ces mille préventions, ces mille instincts que le protestantisme a su mettre en œuvre, ni ce facile ébranlement donné aux peuples par l'esprit révo

(1) Videte enim vocationem vestram, fratres, quia non multi sapientes secundùm carnem, non multi potentes, non multi nobiles. I Cor. I. 26.

(2) Ubi sapiens? ubi scriba? ubi conquisitor hujus seculi? Ibid. 20. (3) In carne enim ambulantes non secundùm carnem militamus. militiæ nostræ non carnalia sunt. II Cor. X. 3. 4.

Nam arma

lutionnaire, les prêchant selon leurs désirs et transformant leurs appétits en maximes; le christianisme n'a rien de tout cela pour lui.

Et pourtant, cette doctrine, prêchée depuis quarante ans à peine, était sous Néron partout manifeste. J'ai déjà dit un mot (1) de cette publicité du christianisme à sa naissance. C'est une grande erreur de croire qu'il fut dans ses premières années obscur et ignoré. La persécution seule et la persécution sanglante le força de descendre dans les catacombes. Jusque-là il ne cherchait point l'éclat; mais encore moins se cachait-il sous le voile du secret. Ces prédications de saint Paul sur toutes les places et dans toutes les assemblées de la Grèce; ces contradictions publiques et violentes que la foi éprouvait («< nous savons de cette secte que de tout côté on la contredit » (2)); ces calomnies et ces haines populaires, dont Tacite et Suétone se font les échos; enfin cette solennelle immolation des premiers martyrs au milieu d'un fête, dans les jardins de Néron, en face de Rome tout entière, presque émue de pitié; ce supplice d'une « grande multitude d'hommes (3) » que Néron tenait à rendre public, d'autant plus qu'il se lavait par là du crime de l'incendie: tout cela prouve que le christianisme, dès les premiers jours de son existence, n'était pas si petit, si secret, si ignoré. Ce n'était pas une occulte franc-maçonnerie que l'association des chrétiens. Elle vivait en plein jour, parlait et prêchait en face de tous. Et quand aujourd'hui elle rappelle ses origines, elle peut dire au monde ce que saint Paul disait au roi juif Agrippa: « Je parle sans crainte devant toi. Rien de tout ce que je rappelle ne peut t'être inconnu: CAR RIEN DE TOUT CELA NE S'EST PASSÉ DANS L'OMBRE (4). »

(1) Tom. I, p. 451–452.— (2) Act. Apost. XXVIII. 22. — (3) Tacite, Ann. XV. 44. (4) Scit enim de his rex, ad quem et constanter loquor. Latere enim eum nihil horum arbitror. NEQUE ENIM IN ANGULO QUIDQUID HORUM GESTUM EST. Act. Apost. XXVI. 26.

« PoprzedniaDalej »