Obrazy na stronie
PDF
ePub

places publiques, qu'il pérorât dans les carrefours, comme ces philosophes bouffons dont s'amusait la populace. Mais hardi, parlant sans art, avec une rude éloquence; attaquant, au milieu même des fêtes de Néron, toutes les recherches de la mollesse romaine; couchant sur la dure; se moquant des affranchis de César, rejetant les dons de Caligula, répondant hardiment à Néron; ami de Thraséa, dont il recueillit le dernier soupir; du reste, harangueur plutôt que philosophe : Il semblait, dit Sénèque avec emphase, que la nature l'eût mis au monde pour que ni les exemples ni les reproches ne manquassent à un siècle dépravé (1).

Dans le stoïcien Musonius Rufus, apparaît un commencement de cette morale supérieure, plus pure que ne l'avait été celle d'aucun païen, et qui, plus tard, se révéla tout entière dans Épictète et dans Marc-Aurèle. A certains égards même, il est au-dessus d'eux. Ce n'est point la dureté stoïque, cette sagesse impossible, ce mépris de l'homme, cet orgueil de la vertu qui se rend farouche au lieu d'être forte. Il ne brise pas les liens de la famille; il veut même que le philosophe soit marié, parce que le mariage, dit-il, est naturel et nécessaire. Il est plus sage que Marc-Aurèle qui permet le suicide (2); et quand Thraséa lui dit : « J'aimerais mieux la mort aujourd'hui que l'exil demain. »-« Si tu regardes, lui répondit-il, la mort comme un plus grand mal, ton souhait est d'un insensé; si tu la regardes comme un moindre mal, qui t'a donné le droit de choisir (3)? » Il est plus pur qu'Épictète,

[ocr errors]

(1). V. sur Démétrius, Sénèque, de Providentiâ. 3. 5. De Beneficiis. VII. 1. 2. 8. 9. 11. Ep. 20. 62. 91; de Vitâ beatâ. 18. ci-dessus t. II. p. 441. not. 3. Sa hardiesse vis-à-vis de Caligula. Sénèq., de Benef. VII 11.- vis-à-vis de Néron. Epict., apud Arrian. I. 25. Philostrate, in Apoll. IV. 8; VII. 5. Thraséa, assiste à ses derniers moments. Tac., Ann. XVI, 34. Philostr. IV. 14; V. 1. 9.

[ocr errors]

Ami d'Apollonius, Id. - Ami de

Exilé par Néron,

- Revient à Rome sous Vespasien. Tac., Hist. IV. 40.

Il vivait encore sous Domitien.

(2) Marc-Aurèle. VIII. 46. Marc-Aurèle semble ailleurs interdire le suicide; mais ces deux passages sont beaucoup moins positifs que le premier.

(3) Epict., apud Arrian. I. 1.

qui n'ose tout à fait interdire la débauche (1); et il défend, comme le fait la loi de Dieu, tout ce qui n'a pas pour sanction le mariage et pour but l'accroissement des familles. Ailleurs, son langage se rapproche de celui des livres chrétiens : << L'intempérance est une grande occasion de pécher; tenezvous en garde contre elle deux fois par jour (2). — Évitez les paroles obscènes, parce qu'elles conduisent aux actions. N'ayez qu'un seul habit (3). Si vous voulez ne pas com

mettre de fautes, regardez le jour où vous êtes comme le dernier jour de votre vie (4). » Il dit avec un certain bonheur d'expression: «< Après une bonne action, la peine qu'elle a pu nous coûter est finie, il nous reste le plaisir de l'avoir faite après une mauvaise action, le plaisir est passé et la honte subsiste (5). » Aussi le nom de Musonius a-t-il obtenu les louanges les plus diverses. Philostrate le loue, comme le philosophe qui a le plus approché de son dieu, le fabuleux Apollonius; Julien l'Apostat vante sa patience; et les Pères de l'Église, par un témoignage autrement glorieux, le comptent avec Socrate parmi les païens dont les exemples peuvent être cités même par des chrétiens (6).

(1) V. ci-dessus, pag. 309. not. 3.

(2) Apud Stobæum.

(3) Nolite possidere aurum neque argentum......... neque duas tunicas. Math. X. 9. 10. Et præcepit eis... ne induerentur duabus tunicis. Marc. VI. 8. 9. Nihil tuleritis in viâ.., neque duas tunicas habeatis. Luc. IX. 3.

(4) In omnibus operibus tuis memorare novissima tua, et in æternum non peccabis. Eccli. VII. 40. — (5) Aul. Gelle. XVI. 1.

(6) C. Musonius Rufus; natif de Bolsène, chevalier romain (Tac., Hist. III. 81), philosophe stoïque; selon Philostrate (IV. 12), astrologue; ·

-

--

[ocr errors]

emprisonné au moment de la conjuration de Pison; détourne Rubellius Plautus d'aspirer à l'empire (Tac., Ann. XIV. 59; Philos., Ibid.). Banni en 65 (Tac., Ann. XV. 71. Dion. LXII). Il a de nombreux disciples (Tacite aux deux endroits cités. Pline. III. Ep. 11). Forcé de travailler à la coupure de l'isthme de Corinthe (Lucien, in Nerone, Philost. V. 1. 9. VI. 6). · Son exil à Gyare (Phil. VII. 16). (Ces faits, rapportés par Philostrate, sont très-douteux.) — Rappelé, probablement par Galba (68), cherche à apaiser les guerres civiles (Tacite, Hist. III. 81), poursuit les délateurs (Id. Ibid. IV. 10. 40). — Selon les uns, reste seul à Rome, quand Vespasien expulsa tous les philosophes; selon d'autres, rappelé par Titus (Pline, loc. cit. Dion. LXVI).

-

Vient enfin Sénèque, celui par lequel nous connaissons quelque chose de cette philosophie, et le seul qui nous laisse des écrits où nous puissions la juger.

J'hésite en parlant de Sénèque. Ce fils d'un rhéteur espagnol, élevé au milieu de l'emphase paternelle et de la corruption de Rome sous Tibère; ce parleur à la mode, qui essaie de tout, plaidoyers, poëmes, dialogues; ce confident d'Agrippine, panégyriste officiel de Claude, précepteur et faiseur de discours de Néron, enrichi par son terrible élève, ne se présente pas dans l'histoire avec l'aspect presque mythologique d'un Pythagore, ni même (quoique Platon n'ait pas été sans faiblesses) avec l'aspect grave et antique d'un Platon. Ce n'est pas une vertu dégagée de toute concession aux petitesses humaines. Il faut songer en quel monde il vécut et quelle place il tint en ce monde (1).

De plus, il faut connaître quel est le vrai temps de la philosophie de Sénèque. L'homme de cour qu'Agrippine avait placé auprès de Néron, à cause de sa réputation de rhéteur et de la politesse de ses manières (2), le ministre de Néron, qui possédait de si beaux jardins et une table si somptueuse, pouvait bien prendre la vertu pour une de ses thèses de rhétorique, et la pousser jusqu'à l'hyperbole, mais non pas jusqu'à la pratique. Il convenait même, avec une certaine bonne

- « Les

(1) << Dans toutes les sectes de philosophie..... quelques hommes ont tellement changé leur nature, qu'ils ont mérité d'être proposés comme les modèles d'une vie excellente. Ainsi, parmi les héros, on nomme Ulysse et Hercule; dans les siècles plus récents, Socrate, et en dernier licu, Musonius, » Origène, C. Celsum. III. 66. stoïciens ont du moins perfectionné la morale... ; mais ceux qui ont suivi cette pure doctrine n'ont pu échapper à la haine ni aux persécutions. Nous pouvons citer Héraclite que nous nommions tout à l'heure, Musonius qui a vécu de notre temps, et d'autres encore. Car les démons ont toujours su faire que la haine des hommes poursuivît ceux qui, d'une manière ou d'une autre, cherchaient à vivre selon la raison et à fuir le vice. » Saint Justin, Apolog. II. 8. V. encore sur Musonius Rufus, Plutarch., de Vitando ære alieno. Aul. Gell. V. 1; IX. 2; XVI. 1; XVIII. 2. Stobée, in Sermon. Suidas, in Mcuocvicg. Burigny, Mém. de l'Acad. des insc. t.XXXI

(2) Claritudo studiorum. Tacite, Ann. XII. 10. Præceptis eloquentiæ et comitate honestà. XIII. 2.

foi, qu'un tel luxe convenait assez mal à la philosophie. En face de ses ennemis, il s'accusait de cette villa si ornée, de ces pages si bien vêtus, de ces esclaves si nombreux. « Je le confesse, disait-il, je ne suis pas un sage. Que votre jalousie soit satisfaite, je ne le serai jamais. Je tâche seulement de retrancher chaque jour quelque chose de mes vices, de reprendre chaque jour quelqu'une de mes erreurs. Je me sens encore profondément enfoncé dans le mal... Je fais l'éloge de la vertu et non de moi. Quand j'attaque les vices, j'attaque les miens tous les premiers (1)... »

Mais plus tard, Burrhus était mort (63); Néron commençait à trahir ses libres allures (2); la cour devenait dangereuse aux philosophes. Épouvanté par l'incendie de Rome et par l'horrible supplice des chrétiens (an 65), Sénèque cherchait à se tenir en arrière pour ne pas porter le poids de tant de sacriléges (3). Dans cette retraite dangereuse et menacée, sa philosophie devint plus grave, plus mûre, plus sérieuse. Le seul voisinage de Néron et la crainte d'un empoisonnement (4) prescrivaient une vie plus sévère à cet homme qui, dès sa jeunesse, avait abandonné l'usage des bains, des parfums, du vin et des délicatesses de la table (5). Le temps ne lui manquait plus pour se rappeler les leçons des philosophes qui avaient enflammé sa jeunesse d'un ardent amour pour la frugalité et la vertu, affaibli, il en convenait, par les années (6). De cette retraite datent la plupart de ses ouvrages et les plus graves (7); ses lettres à Lucilius surtout, dans lesquelles sa philosophie, plus familière, est aussi plus sé

[merged small][ocr errors][merged small]

(3) V. Tac., Ann. XIV. 52. 53; XV. 45. — (4) Id. XV. 45.

(5) Ep. 83. 108. « Je juge nécessaire de faire ce que bien des grands hommes ont fait, de prendre quelques jours pendant lesquels nous nous exerçons à la pauvreté véritable par une pauvreté imaginaire. » Ep. 20. (6) Epître 18.

Sous Ca

(7) Voici l'ordre chronologique des écrits de Sénèque, selon Fabricius. ligula de Irâ. — Peu après la mort de ce prince (an 41): de Brevitate vitæ (V. Ibid. ch. 18), Sous Claude et pendant l'exil de Sénèque (ans 41-50): ad Helviam, ad

rieuse, où sa pensée, plus épurée, s'élève davantage, et, en même temps plus naïve, sourit parfois, conte avec grâce et nous repose de la monotone emphase des déclamateurs de ce temps.

Sénèque, de plus, a le mérite de n'appartenir à aucune école, de les représenter toutes. Les grandes écoles n'existaient plus que dans les livres. Stoïcisme, platonisme, cynisme, ces mots ne désignaient plus des sectes vivantes encore, mais des systèmes écrits, des livres muets, des hommes morts depuis longtemps. La succession des maîtres avait cessé. Forcément éclectique, le stoïcien n'acceptait pas tout Zénon, ni le cynique tout Antisthène. Pour Sénèque surtout, une curiosité active, un certain goût de vérité l'avait promené au pied de toutes les chaires. Il avait écouté le pythagoricien Sotion; il avait admiré le stoïcien Attale; il cite continuellement Épicure (1) que pourtant il n'aime pas. Dans sa vieillesse, il allait encore à l'école du stoïcien Métronacte (2). Il s'arrêtait pour causer avec le cynique demi-nu Démétrius, et revenait le proclamant le plus sage des hommes (3). Ni les Juifs, ni les chrétiens ne purent lui être inconnus.

Il est vrai: sa philosophie ne saurait être une, empruntée à tant de sources. Il n'aura la vérité que par fragments; il l'aura partielle, mêlée, incomplète. Mais, d'un autre côté, cette philosophie qui marche sans parti pris a quelque chose de plus sincère et de plus désintéressé. Stoïcien, parce qu'il a trouvé dans le Portique un instinct moral qui le touche, Sénèque cependant se sent blessé plus d'une fois par les spé

Polybium, ad Marciam. — Après la mort de Claude (an 55) : l'Apocoloquintose. Sous Néron de Providentià, de Clementià, de Vità beatâ. — Vers la fin de sa vie (63–65) : de Animi tranquillitate, de Constantiâ sapientis, de Beneficiis, Epistolæ ad Lucilium, Quæstiones naturales.

(1) V. surtout Ep. 20. 21. « Je fais avec Epicure, dit-il, ce que l'on fait au sénat où, quand une opinion émise avant la vôtre ne vous convient qu'en partie, on demande la division. » Ep. 21.

(2) Ep. 76. — (3) Ep. 62.

« PoprzedniaDalej »