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publiques où sont entassées toutes les monstruosités de la poésie grecque. A cette cour où le pieux Horace chante Bathylle, et le chaste Virgile Alexis, un affranchi est puni de mort pour avoir séduit une matrone (1); les deux Julies sont exilées, et Auguste, leur aïeul et leur père, songe à les faire mourir ; leurs amants sont bannis ou mis à mort. Enfin, bien des années après, au milieu d'un monde qui avait été l'impassible témoin de tant de turpitudes, Tacite compte encore parmi les malheurs publics et les présages sinistres les adultères qui souillèrent les grandes familles (2).

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Au reste, disons-le: si nous consentons à oublier l'infamie propre aux siècles antiques, il y avait quelque chose de juste et de vrai dans cette appréciation des fautes humaines. A la honte des derniers âges, la sainteté du mariage et de la famille était tenue en plus haute estime par la morale païenne qu'elle ne l'est par cette morale vulgaire qui s'est furtivement introduite parmi les hommes, à mesure que s'est retirée de leurs cœurs la morale du christianisme. La fidélité due à un engagement solennel, le sérieux du lien de famille, la gravité des fautes qui tendent à l'affaiblir, le respect auquel a droit l'innocence qu'on ne fait point faillir sans un double crime; tout cela était mieux compris, tout cela était traité moins légèrement dans Rome idolâtre et pervertie, qu'il ne l'est depuis un siècle dans les sociétés européennes. Rome, en un mot, si elle ne comprenait pas quel malheur c'est d'être corrompu, comprenait au moins quel crime c'est d'être corrupteur. En tout ceci, sans doute, la pensée politique dominait la pensée morale; la famille était respectée surtout comme un élément de l'État, la femme comme la mère d'un citoyen. Le christianisme, qui juge les fautes humaines, non par rapport à la patrie, mais par rapport à Dieu, seul en a donné la juste et la véritable mesure; seul en condamnant tous les

(1) Suétone, in Aug. 47.

(2) Pollutæ cærimoniæ.... magna adulteria. Tacite, Hist. 1. 2.

désordres, il a su flétrir davantage ceux dans lesquels au libertinage s'ajoute le parjure, au vice la séduction, au crime envers soi-même le crime envers autrui. Seul, tout en protégeant la famille et le mariage, il a su tenir la porte fermée à toutes les fautes et fortifier l'homme d'une manière absolue contre la tyrannie de ses passions: nous le savons. Mais du moins le principe imparfait et la morale politique du paganisme avaient-ils quelques salutaires conséquences, et nous devrions rougir en pensant que certains écrits et certaines idées, tout à fait admises aujourd'hui par ceux qui n'ont plus la foi chrétienne, scandaliseraient un Horace.

S II.

DÉCADENCE DU SYSTÈME ANTIQUE.

Mais de telles traditions et un tel droit, déjà affaiblis, pouvaient-ils durer longtemps sans recevoir de nouvelles atteintes? Les âmes amollies pouvaient-elles supporter longtemps encore cette loi de fer des anciens hommes et des anciennes mœurs? La politique dissociante d'un Tibère pouvait-elle ne pas arriver à rompre le lien de la famille ? Le despotisme paternel pouvait-il subsister sous le despotisme impérial? Non; l'antique loi de famille était trop énergique pour Rome devenue esclave, trop nationale pour Rome envahie par les étrangers, trop patricienne pour Rome gouvernée par des affranchis; ajoutons même trop attaquable au point de vue de l'équité pour Rome disciple des philosophes.

Ici nous touchons à un point capital de la vie et des idées romaines, à un côté tout à fait caractéristique du génie de Rome, et qui ne s'est pas encore rencontré sur ma route. Je veux parler du droit et de l'introduction de la philosophie dans le droit.

La loi des Douze-Tables, ce code barbare tout empreint de la rudesse antique, était légalement encore la règle fondamentale, l'unique droit civil de Rome civilisée. Nul législa

teur n'avait eu la hardiesse de toucher à ce monument des premiers âges; nul article de ce code n'avait été effacé. Cicéron, dans son enthousiasme, mettait cette œuvre des Décemvirs au-dessus de toute la philosophie grecque. Mais Cicéron savait parfaitement combien il restait peu de cette œuvre vénérée, écrite sur le bronze, gravée dans toutes les mémoires, citée sans cesse, bien rarement mise en pratique.

Un travail curieux s'était opéré. Rome n'avait pas tardé à s'apercevoir des iniquités de sa loi. La plebs n'avait pas fait invasion dans le droit civil du patriciat pour le conserver dans son intégrité; les jurisconsultes plébéiens n'avaient pas surpris le secret des formules patriciennes pour en être les aveugles adorateurs. La lutte du génie plébéien contre la loi civile de l'aristocratie, de l'équité contre la tradition, de la justice contre la politique, fut lente, déguisée, respectueuse; mais elle fut réelle, progressive, efficace. Au dernier siècle de la république surtout, lorsque le monde s'ouvrit devant Rome, des idées nouvelles, des idées plus générales et plus grandes entrèrent dans son esprit. Par cela même qu'elle n'imposait point son droit civil aux nations vaincues, elle avait été obligée de connaître le leur. Il avait fallu que les proconsuls dans les provinces, à Rome le préteur des étrangers (prætor peregrinus) jugeassent les vaincus selon leurs coutumes; qu'à Rome et dans les provinces, les procès entre Romains et étrangers fussent jugés selon la seule loi commune à tous, la loi naturelle. On voit dès lors combien avec l'immensité de l'empire, de telles habitudes devaient élargir la sphère et agrandir les notions de la jurisprudence, faire monter l'intelligence de cet ordre d'idées secondaire, local, arbitraire, relatif, que les Romains appelaient proprement droit civil, et que nous appellerons droit national, à un ordre d'idées supérieur, général, absolu, que les Romains appelaient droit des nations, et que nous nommons droit naturel. Mais le droit se distinguant ainsi de la loi positive, la ques

tion devenant générale au lieu d'être romaine, donnait naturellement passage à la philosophie dans la jurisprudence. Les idées générales étaient le domaine propre des philosophes. La dialectique qui les met en œuvre était l'instrument dont ils avaient accoutumé de se servir. Les rapports journaliers avec la Grèce, la décadence des anciennes institutions, l'agrandissement de la sphère politique et de la sphère intellectuelle, tout favorisait cette tendance; et le stoïcisme, la plus pratique d'entre les écoles de la Grèce, fut comme la religion intellectuelle des jurisconsultes.

Cependant nul n'aurait osé abroger la loi des Douze-Tables. A Rome, ni le peuple ni le sénat ne se mêlaient de faire ou de défaire le droit civil. Le grand sens des Romains les avertissait que ce n'est pas au pouvoir politique qu'il faut demander de régler ces questions toujours si complexes de la propriété et de la famille. Ces lois que le temps avait montrées absurdes, que la civilisation repoussait, que l'équité philosophique des derniers siècles taxait d'injustice, ils n'avaient pas voulu les briser. Ils avaient compris qu'un pareil procédé était dangereux peuple en toutes choses habile et patient, plutôt que prompt et impérieux, et qui aimait la subtilité plus que la violence.

D'autres moyens leur étaient donnés de tourner la loi au lieu de la renverser, de l'user au lieu de la rompre. Le préteur urbain, juge des procès civils, avant d'entrer en fonctions, publiait chaque année les principes qu'il comptait prendre comme règles de ses décisions. Une loi même (année 686) (1) lui rendit obligatoire l'observation de cet édit; et comme chaque préteur adoptait d'ordinaire l'édit que son prédécesseur avait publié, ces travaux accumulés formèrent peu à peu un droit secondaire qui rectifiait sans l'avouer le droit imparfait des Douze-Tables. Non-seulement le préteur, mais l'édile, mais le proconsul ou le propréteur dans sa province,

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rendait son édit annuel (1); et de cet ensemble sur lequel influaient les coutumes et les traditions de mille peuples divers, sortait nécessairement une notion d'équité plus philosophique, un plus grand cosmopolitisme en fait de justice. Enfin de son côté le jurisconsulte dans son cabinet, simple particulier qui donnait seulement des avis et ne décidait rien, pliait insensiblement par une influence indirecte la loi à la justice. Dans tout cela rien ne se faisait avec violence; l'honneur de la loi était ménagé. Mais on la faisait peu à peu disparaître sous les distinctions, les interprétations, les sophismes: sophistique après tout salutaire et bien entendue, et qui sauvait la société des étourderies législatives. De cette façon les lacunes de la loi commençaient à se remplir, les injustices étaient redressées. Des voies détournées s'ouvraient à ceux auxquels son silence fermait les voies directes (2). La volonté du législateur officiel cédait devant l'action d'un plus grand législateur, le temps. L'iniquité de la coutume nationale était ramenée à l'équité naturelle du bon sens humain. Le jurisconsulte effaçait le légiste. Le droit, l'équité absolue reprenait son terrain que la loi avait envahi.

C'est alors que le droit commença à former une science (3).

ædilitium peculiare-urbanum

(1) Edictum prætorium, provinciale. L'ensemble du droit qui résultait de ces divers édits s'appelait Jus honorarium. — La grande influence de la législation prétorienne paraît dater seulement des derniers temps de la république. Nous voyons dans Cicéron (de Offic. III. 12) que les formules de dolo malo, nécessaires pour avoir justice d'un grand nombre de fraudes, ne furent introduites que de son temps par le préteur Aquilius (V. aussi Cic., de Nat. deor. III. 30). — V. sur l'édit et les formules du préteur, Cic., de Finib. II. 22. În Verr. 1. 41. 48. Pro Rosc. 8. - Gaius. IV. 46. 47, etc. L'édit s'appelait encore lex annuá (Cic., in Verr. Ibid.) Edictum perpetuum, etc.

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Sur l'édit du préteur étranger, V. Gaius. I. 6. Sur celui des édiles curules, Gaius. Ibid. Cicéron, de Off. III. 17. Aul. G. IV. 2. Sur l'édit provincial, Gaius. Ibid. Cic., Fam. III. 8. ad Attic. V. 21. In Verr. I. 46. III. 65. -- Dès le temps de Cicéron on cessait d'étudier les Douze-Tables, et on s'en tenait à l'édit du préteur (de Legibus. I. 5. V. aussi loi 7 et 8. Dig., de Justitià).

(2) Ainsi Cicéron, de Offi. I. 10. III. 14. De Natur. deor. III. 30.

(3) Déjà au commencement du viie siècle Marcus Caton avait écrit ses commen

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