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CHAPITRE II.

La famille.

SI.

CONSTITUTION PRIMITIVE DE LA FAMILLE ROMAINE.

Je suppose qu'après une journée brûlante, au moment du crépuscule, lorsque l'air commence à fraîchir, un étranger, perdu dans Rome, ait par hasard porté ses pas vers la porte Capène. Là, il aura vu les oisifs et les heureux de la grande cité, après avoir partagé le jour entre le bain, le repas et la sieste, sortant de cette demeure où la chaleur les avait tenus enfermés, et venant comme s'épanouir à la fraîche atmosphère de la nuit. A ce rendez-vous de la fainéantise et de l'opulence romaine, il aura entendu les chevaux hennir, il aura vu se croiser les brillants équipages, et les piétons agiles se mêler sans crainte à ce cortége élégant et confus, qui roule ou qui galope jusqu'aux premiers tombeaux de la voie Appia. Le Champ-de-Mars s'ouvre le matin aux joies et aux exercices du sexe viril à la porte Capène, se rencontrent le soir les prétentions, les grâces, les coquetteries, les intrigues féminines. La porte Capène est le Forum des femmes. Là, l'esclave impudente et hardie, suivant à pied sa jeune maîtresse, cherche du regard un regard qui lui promette la richesse et la liberté. La lourde rheda, attelée de mules, revêtue de lames d'or où sont enchâssées des pierres précieuses, traîne la matrone avec son voile et sa longue robe, sur laquelle une noire Africaine agite doucement l'éventail. A l'encontre, vient étourdiment le léger cisium où la courtisane grecque, vêtue de soie et parée d'or, conduit elle-même ses riches amants;

tandis que l'affranchie en robe brune, perdue au milieu de la foule, regarde avec mépris la matrone dégradée, que l'arrêt du préteur a dépouillée de sa stole et condamne à porter la toge.

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Ce premier coup d'œil nous révèle dès l'abord tous les degrés de l'existence féminine. Parmi les femmes, en effet, comme parmi les hommes: l'esclave vient d'abord; ensuite l'affranchi, et à peu près au même rang, le client, le prolétaire, la courtisane; - puis enfin l'homme ou la femme qui a sa dignité civique tout entière, qui possède le bien (res) et la condition (ingenuitas), qui paye le cens et qui est né libre; en un mot, le patron ou la matrone (remarquez que ces deux mots se répondent). Voilà, dans les deux sexes, les degrés divers de l'échelle sociale.

Par la condition de l'homme, nous venons d'expliquer la société; par la condition de la femme, nous expliquerons la famille. Montrons d'abord à son antique point de départ, à son principe si original et si robuste, ce qu'avait été la famille, cet élément fondamental de la république romaine.

La famille, en effet, c'est l'unité première qui en se multipliant a formé la gens, la curie, la cité; c'est l'unité civile et en même temps l'unité religieuse. Car la famille a son culté, ses rits, les sacrifices qui lui sont propres, et qui, pour le salut de la république, doivent se perpétuer sans interruption. Il lui faut toujours un prêtre pour ses dieux lares, un père pour ses sacrifices domestiques, un gardien pour le foyer, l'atrium (1). Que ces devoirs reposent sur une seule tête, et que cette tête soit celle d'un enfant, peu importe; la famille ne cesse pas d'exister. Quoiqu'il ait encore besoin d'un tuteur, et que de longtemps il ne doive prendre la toge virile; en d'autres termes, quoiqu'il ne soit initié encore ni à la vie civile, ni à la vie politique; du jour où il n'a plus de père, le Romain devient père de famille. Il devient le quirite, l'homme

(1) Scito dominum pro totâ familiâ rem divinam facere. Caton, de Re rust. 143,

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appelé à manier la lance (cur, quir); il devient le patron, l'homme qui protégera devant le juge le client auquel la parole est interdite (elinguis); il devient le maître (dominus), l'homme appelé au commandement de la maison et au gouvernement des esclaves. En effet, le client ou l'affranchi, l'esclave lui-même (familiaris) sont compris dans la famille. La famille, dans le sens latin, c'est la maison: père de famille (paterfamilias) veut dire maître de maison.

Mais la famille jusqu'ici ne comprend que des esclaves ou des inférieurs; par le mariage, elle comprendra des libres (liberi; il faut garder dans toute leur force ces termes intraduisibles de la phraséologie romaine). Ces libres, ce sont les membres de la famille qui, égaux au père par la naissance, lui sont assujettis par la loi. C'est la femme d'abord, à moins que la famille où elle est née n'ait conservé ses droits sur elle (plus tard je m'expliquerai sur ce point); ce sont les fils et les filles; et parmi les petits-enfants, les enfants du fils, ceux qui appartiennent au père de famille par le nœud sacré de la parenté virile.

Tous ceux-là, fils ou filles, enfants ou petits-enfants, filles vierges ou filles mariées, enfants par la naissance ou par l'adoption, quels que soient leur sexe, leur âge, leur dignité, sont sur la même ligne et obéissent au même rang. Rien ne leur appartient, rien ne leur est acquis pour leur propre compte, tout revient au père (1). Le père peut les châtier; si leur crime est grave, il peut les juger et les mettre à mort (2). Il peut les vendre (3); s'ils ont causé un dommage,

(1) Ulp. XIX. 18. XX. 10. Gaius. II. 86. 87. 96. III. 163. Dionys. VIII. 79. (2) Dionys. Halic. II. 26. 27. VIII. 79. Gellius. V. 19. Collatio leg. mosaic. IV. 8. 1. 10. C. de patrià potestate. Le père pouvait enlever son fils aux tribunaux ordinaires (Tit.-Liv. 1. 26. II. 41) et le juger avec l'assistance d'un conseil de parents et d'amis (Valer. Max. V. 8. § 2 et 3; 9 § 1. Sénèq., de Clém. I. 15) ou même à lui seul (Valer. Max. Ibid.).

(3) L'enfant vendu à un Romain était «< in mancipio ». Servorum loco erant. V. Gaius. I. 123. 138. II. 114. 116. 160.

les céder à titre d'indemnité (1). S'il les vend à un Romain, il transporte à ce Romain un droit analogue à celui de la puissance paternelle (jus mancipii); s'il les vend à un étranger, il les rend esclaves. La seule différence qui existe entre eux, est au désavantage du fils: la fille ou le petit-fils vendu par le père et affranchi par l'acquéreur, demeure émancipé; le fils vendu et affranchi retombe sous la puissance paternelle, et ne deviendra libre qu'après une troisième vente et un troisième affranchissement (2).

-

En un mot,—des esclaves à qui aucun droit n'est reconnu, - des clients à qui la parole (la vie publique et légale) est interdite, des enfants et souvent une femme à qui rien ne peut appartenir en propre : - voilà ce qui compose, sous le pouvoir despotique du père de famille, cette communauté austère qu'on appelle la famille romaine; voilà le cercle étroitement formé autour de la table domestique, et dans lequel tout est mis en commun sous l'administration d'un chef absolu; voilà ceux que le père nourrit, gouverne, défend, pour lesquels il veut, il possède, il agit. Le père est tout-puissant pour faire et défaire la famille, garder, admettre, exclure qui il veut. Il émancipera son fils, et dès lors son fils ne sera plus que son affranchi; il émancipera son petit-fils, dont il gardera le père sous sa loi; il affranchira le père en gardant le fils. Il donnera un de ses descendants en adoption, et celui-ci, membre d'une famille étrangère, aura rompu tout lien avec celle où il est né. Il adoptera un fils, et le fils adopté sera l'égal en tout de ceux que lui a donnés la nature. En mariant sa fille, il pourra, s'il le veut, la garder sous sa puissance; il pourra aussi la vendre à son époux, et transporter à celui-ci tous les droits de la puissance paternelle. Enfin, au jour même de sa mort, il disposera encore librement de tout ce qui com

(1) Gaius. I. 141. IV. 75-79. Tit.-Liv. VIII. 28.

(2) SEI PATER FIDIOM TER VENOM DUIT FIDIOS AF PATRE LEIBER ESTOD. V. Ulpien. X. 1.- Gaius, Instit. I. 132. IV. 79.- Dionys. Ibid.

pose sa famille; appellera, déshéritera qui il veut, exclura de l'héritage par son seul silence, nommera un tuteur au fils, affranchira l'esclave. Le testament se fait au Forum; c'est un acte de la puissance publique, c'est la loi du père de famille: comme il aura disposé de la tutelle ou de la propriété DE SA CHOSE, ainsi soit le droit (1).

La famille ainsi constituée avait son signe, le nom. Le fils portait le nom de son père, l'affranchi le nom de son maître, le client le nom de son patron. Seuls parmi les nations de l'antiquité, les Romains, les peuples italiques leurs devanciers, connurent l'usage du nom de famille, cet indicateur si sûr de la parenté, ce lien si faible en apparence, en réalité si énergique. Ce fut un des priviléges et une des marques de la cité romaine. Porter trois noms (2) (c'est-à-dire le prénom qui désignait la personne, le nom qui désignait la race, le surnom qui désignait la branche), cela voulait dire être Romain l'étranger qui devenait citoyen, devait prendre un nom de famille, et portait à titre de client le nom du proconsul ou du César qui l'avait élevé au droit de cité.

De la famille ainsi constituée procède toute puissance domestique, toute parenté, tout droit d'héritage: trois choses qui se tiennent intimement; car la soumission est la condition de l'hérédité. L'enfant qui par l'émancipation, par l'adoption au dehors, par les conditions de son mariage, a cessé d'être la chose du père, qui est sorti de la famille et de la puissance paternelle, n'a pas un sesterce à réclamer dans la succession paternelle. Les héritiers du Romain, quand il n'a pas disposé de son bien, c'est donc, au premier rang, la famille, c'est-à-dire la descendance à lui appartenant (hæredes sui), conservée ou acquise; —à défaut de la famille, la maison

(1) UTEI LECASIT SUPER PECUNIAI TUTELAIVE SOVAI REI ITA JOUS ESTOD. — V. Ulpien, Frag. tit. XI. § 14.- Gaius, Instit. II. § 224. — Justin. Inst., pro de Lege Falcidiâ.— Pomponius. L. 120. D. de Verb. signif. — Cic., de Inventione rhetor. lib. II, 50. Rhetor. ad Here. I. 13. Novell. Justin. XXII. 2.

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