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le Pomérium par la porte triomphale, traversez ensuite le Forum, montez sur le Palatin, enfoncez-vous jusqu'à l'extrémité du grand cirque; c'est cet espace de trois ou quatre milles de longueur qui est la Rome solennelle, monumentale et publique. Le Forum, siége de ses délibérations, le Champde-Mars, théâtre de ses récréations viriles, le Capitole, sa citadelle et son temple se rejoignent par une foule de monuments ici la colline des Jardins et sa verdure entremêlée de mausolées; au bas, la voie Flaminia bordée de statues, et le champ d'Agrippa, que ce seul homme a couvert de somptueux édifices (1); là, cette immensité de portiques où se promène la foule paresseuse, tandis que la foule active et jeune lutte dans le Champ-de-Mars ou nage dans le Tibre; l'Area du Capitole, Forum des dieux; les toits dorés du Palatin, séjour d'un dieu plus grand, César; la longue enfilade des marchés; les Septa Julia, le Palais-Royal de Rome; la Voie Sacrée, sa rue Saint-Honoré, théâtre des flâneuses rêveries d'Horace (2), en un mot la Rome boutiquière et marchande. Par là, nous touchons le Forum, la Maison de ville des Romains, en plein air (en plein Jupiter, sub dio), le Forum avec ses temples, ses basiliques retentissantes de la clameur du barreau et de la bourdonnante trépidation du commerce; avec le sénat et les rostres, muets emblèmes de la liberté morte; les portiques et les bains, vivants symboles de la volupté toujours vivante; le Lupercal et le Comice, souvenirs paternels de la Rome antique; la colonne dorée, ombilic du monde, d'où partent toutes les voies de l'empire et d'où les distances se comptent jusqu'à la Clyde d'un côté et jusqu'à l'Euphrate de l'autre : le Forum, place unique dans le monde,

(1) Le Panthéon, les Thermes, la Piscine d'Agrippa, le portique de Neptune. V. Suétone, in Augusto. XXIX. Pline. XXXVI. 15. Dion. LIII. Strabon. V.

(2)

Ibam fortè Viâ Sacrà, sicut meus est mos,
Nescio quid meditans nugarum, totus in illis.

qui, avec ses quelques toises de terrain, tient dans l'histoire plus d'espace que des royaumes entiers.

Rome ne s'est pas départie de son centre. Voyez comme elle fourmille au Forum; c'est là que bat son cœur, ses veines y aboutissent; son peuple, comme le sang, circule sans cesse de ses demeures au Forum, du Forum à ses demeures. Le matin, autour des rostres et des basiliques; à midi retournant faire la sieste dans ses maisons; puis ensuite à la grande palestre du Champ-de-Mars; puis au bain, jusqu'à ce que le coucher du soleil le ramène au souper domestique, il va toujours chercher la vie, la pensée et le soleil dans ce magnifique emplacement du Forum et du Champ-de-Mars, que l'on peut appeler les parties nobles de Rome. On habite ailleurs, mais c'est là qu'on vit. Grâce au nombre de monuments qui encombrent cette portion de Rome, les maisons y peuvent à peine trouver une place étroite; la vie privée en est chassée par la vie publique, les citoyens par la cité, les mortels par les dieux, les hommes d'os et de chair par les hommes de marbre et d'airain; à tel point qu'il a fallu, à plusieurs reprises (1), déblayer le Forum du peuple de statues qui l'encombrait. Refoulée en arrière, la vie domestique s'est éloignée le moins qu'elle a pu; les riches et les nobles ont planté leurs demeures dans le quartier des Carènes, sur la croupe des collines qui dominent le Forum (de là cette locution, descendre au Forum); les pauvres, dans les détours fangeux de la Suburra, ou plus en arrière, dans les faubourgs, au delà du Pomérium.

Pour en finir, mesurez d'un regard tout le reste de Rome, et comptez, s'il se peut, tout ce qui vit, tout ce qui pense,

(1) Auguste fut obligé de transporter dans le Champ-de-Mars les statues qui encombraient l'Aréa du Capitole (Suétone, in Caligulâ. 34). V. aussi Pline, liv. XXXIV, chap. V. Caligula à son tour renverse et détruit les statues, et défend d'élever à qui que ce soit une statue sans sa permission. (Suétone. Ibid.) Rome étant pleine d'images et de statues, Claude en fit transporter ailleurs un certain nombre et défendit d'ériger une statue sans la permission du sénat. Dion, liv. LX.

tout ce qui meurt dans cette ville sans enceinte. Au loin, les maisons sont éparses et respirent à l'aise; plus près du centre, elles sont l'image d'une foule de peuple qui s'amoncelle, se coudoie, et dont les têtes se serrent et se dressent pour regarder les unes au-dessus des autres. Laissant à peine entre elles de longues ruelles étroites, irrégulières, tortueuses, accumulant leurs étages jusqu'à la hauteur qu'Auguste leur a fixée, hissées sur leurs assises de ciment, étayées par leurs piles énormes, elles semblent, cependant, comme trembler de leur hauteur, et par d'épaisses solives s'appuient les unes sur les autres, s'épaulant avec effort pour ne former qu'une masse unique, qui voit le Forum à ses pieds et le Capitole face à face (1). Sur les sommités de ces toits règne le niveau des terrasses, sol factice ouvert aux pas de la multitude; et, dit un ancien, il y a plusieurs villes en hauteur, comme il y en a plusieurs en étendue.

C'est que les hommes sont pressés là comme les demeures; non-seulement les hommes, mais les peuples, les langues, les dieux (2). Il y a une ville des Cappadociens, une ville des Scythes, une ville des Juifs, une armée de soldats, un peuple de courtisanes, un monde d'esclaves. Plus encore que de tout le reste, il y a de cette multitude sans nom, sans condition et sans patrie : peuple mêlé, de toute origine, de toute croyance; peuple romain presque tout entier né de

(1) J'évite de citer ici les rhéteurs et les philosophes. On vient de lire Cicéron; Vitruve, écrivain positif, dit aussi : « .... Pilis lapideis, structuris testaceis, parietibus cœmenticiis. » Liv. II. Le grand nombre des écroulements obligea Auguste de restreindre la hauteur des édifices à 70 pieds. V. encore Sénèque, Controverse. II. 9. Pline, Hist. Nat. III. 15. Juvénal. III. 269.

(2) Polemo sophista apud Galenum. Frequentia cui vix immensa tecta sufficiunt... Videbis majorem partem esse quæ relictis sedibus venerit in maximam urbem, sed non suam. Sénèq., ad Helviam, chap. 6. Sur le grand nombre des Juifs habitant

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à Rome, V. Josèphe, Antiquités, où il parle de 8,000 Juifs demeurant à Rome qui sc joignirent à une demande adressée à Auguste par leurs frères de Judée. XVII. 12. · Sous Tibère, 4,000 affranchis juifs furent transportés en Sardaigne. Josèphe Antiquités. XVIII. 5. Tacite, Annal. II. 15. Suétone, in Tiberio. 36.

races étrangères, peuple libre presque tout entier né dans l'esclavage, peuple fainéant et fortuné qui ne possède pas un sesterce, qui a pour bien l'air de Rome, l'eau des bains et des aqueducs, le soleil du champ-de-Mars et la largesse des empereurs. César et Auguste, pour plaire à cette multitude aux mille langues, lui ont donné des histrions qui débitaient leurs lazzis dans tous les idiomes, et à la mort du Dieu Jules, qui avait ouvert la cité aux étrangers, autour de son bûcher nuit et jour gardé par les Juifs, toutes les nations sont venues tour à tour (lugubre et redoutable spectacle!) hurler, chacune à sa mode, leurs lamentations barbares (1).

Au moment où cette Babylone, selon l'expression de l'apôtre saint Pierre (2), se retire pour la nuit, asseyons-nous pour recueillir la voix de cette grande cité, et pour comprendre ce qu'elle va nous enseigner. Que fait là tout ce peuple? quelle est sa pensée ? quelle est sa vie? Nous avons assez interrogé la pierre, l'airain et le marbre; interrogeons la pensée humaine.

SII. L'ESCLAVE.

La réponse est tout entière dans un seul mot: l'esclavage! Non-seulement l'esclavage proprement dit est la base pratique de la société, de sorte que sans lui il n'y aurait ni république, ni fortune, ni famille, ni liberté, telles qu'elles sont constituées; mais encore, dans tous les ordres et à tous les degrés, existe un esclavage plus déguisé, aussi réel : et tous les rapports sociaux sont modelés sur le rapport de l'esclave au

. Ces

(1) Suétone, in Cæsare, chap. 84. Suétone, in Cæsare. 39. in Augusto. 43. derniers faits sont positifs, mais il ne faut pas prendre à la lettre les paroles emphatiques des rhéteurs, des sophistes, ou même de Sénèque et de Pline. J'ai dû rendre dans son exagération même l'impression que devait produire sur un provincial la vue de la grandeur et de la magnificence de Rome; du reste, V. la note à la fin du volume. - (2) I Petr. V. 13.

maître, de même qu'au moyen âge ils se modèleront sur le rapport du vassal au suzerain.

Pour le comprendre, parcourons les quatre degrés de la hiérarchie romaine : l'esclave, le client, le sujet et César.

Voyez l'esclave; je ne dis pas l'esclave chéri de son maître, le chanteur ou le comédien spirituel, le médecin heureux, le précepteur érudit; je dis encore moins la folle, le bouffon, l'eunuque, le joueur de lyre, l'improvisateur habile: mais le pauvre esclave ordinaire, plébéien de cette nation domestique qui habite le palais d'un riche; celui qui, perdu dans cette foule, connaît à peine son maître et n'en est certes pas connu; celui qu'on a acheté 425 francs au Forum (1), sur les tréteaux d'un maquignon;-le janitor, immeuble par destination et qu'on vend avec la maison, scellé, pour ainsi dire, dans le mur de sa loge par une chaîne qui le prend à la ceinture, comme le chien dont la niche fait face à la sienne: - ou le vicarius, l'esclave d'un esclave (2); ou celui qui, debout à la table de son maître pendant les nuits d'orgie, voit la verge prête à le punir pour une parole, un sourire, un éternument, un souffle; qui, courbé aux pieds des buveurs ivres, essuie les ignobles traces de leur intempérance (3). C'est bien là celui sur lequel tombe et toute l'ignominie domestique et tout le mépris légal; c'est l'être méprisé auquel, pour ne point profaner sa parole, son maître souvent ne parle que par signes et au besoin par écrit (4) : vrai gibier de fouet et de

(1) 500 dragmes, quingentis empto drachmis, Horace. II. satir. VII. 43. M. Delamalle, dans son chapitre sur le prix des esclaves, croit pouvoir fixer, d'après Columelle et d'autres autorités, le prix de l'esclave cultivateur à 1,500 ou 2,000 fr. Mais cet esclave qui produisait un revenu pouvait être plus cher que l'esclave improductif de la ville. Dans un autre passage d'Horace. II. Ep. II. v. 5, on demande 8,000 sesterces (1,600 fr.) d'un esclave urbain, mais celui-là a de l'éducation et des talents. (2) V. loi 17. Digeste, de Peculio. Plutarque, in Catone.

(3) Sénèque, Ep. 47.

(4) Nil unquàm se domi nisi nutu aut manu significâsse, vel si plura demonstranda essent, scripto usum, ne vocem consociaret (Tacit., Ann. XIII. 23). C'est l'affranchi Pallas que Tacite fait ainsi parler.

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