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station commerciale entre l'Inde et l'Asie (1). Antioche, Séleucie, Laodicée, cent autres villes grecques sont nées de l'invasion macédonienne. Et enfin cent quatre-vingt-treize peuples Celtes, si Pline les a bien comptés (2), ont, à la suite de l'irruption de Brennus, fondé dans le centre de l'Asie mineure la république des Galates.

Chez la plupart de ces peuples sur lesquels tant de dominations ont passé, on cherche en vain une trace de liberté politique ou d'indépendance nationale. Une seule chose est nationale et puissante: le culte religieux. Le Juif, protégé par les généraux et le sénat romains, maintient sa liberté religieuse, et, de l'aveu des proconsuls, ferme les portes de Jérusalem aux drapeaux de légions qui portent l'image idolâ– trique des empereurs. Astarté, sous des noms divers, règne depuis les cimes du Liban jusque par delà le Taurus. Les dieux barbares de l'Asie mineure ont élevé leur culte à la hauteur d'une puissance politique, et Rome a consacré, accepté, agrandi même cette puissance souvent hostile à celle des rois. Les temples de ces dieux sont presque des royaumes; de puissants revenus, un vaste territoire, des milliers d'esclaves, souvent une ville entière, accrue ou fondée par les fugitifs que le droit d'asile protége, sont gouvernés au nom du dieu par un pontife (3): puissances admises dans l'empire romain, à peu près comme dans la grande fédération germanique du moyen âge étaient admis les électeurs ecclésiastiques et les abbés souverains du saint empire! Mais par-dessus l'antique Orient, la conquête macédonienne

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(3) Le temple de Mà (Bellone) à Comana de Cappadoce était peuplé de devins et d'esclaves, tous appartenant à la déesse. - Apollon Cataonique avait 3,000 esclaves et 15 talents (80,000 fr. environ) de revenu. Le temple de Comana de Pont avait 6,000 esclaves, sans compter les prostituées, qui en faisaient comme une autre Corinthe. - Le temple des Branchides, près de Milet, comprenait un bourg dans son enceinte. Celui d'Ephèse plaida à Rome pour son droit de pêche que les publicains lui disputaient. Strabon. XII.

et la civilisation grecque ont débordé. Les dieux Grecs sont partout auprès des dieux antiques, confondus sans répugnance ou séparés sans être ennemis. Le grec se parle dans les villes; les rhéteurs, les philosophes, les écrivains grecs abondent parmi les fils de ces cités asiatiques. Tarse enseigne à l'Orient les sciences et la littérature helléniques.

Enfin allez plus loin; vous trouverez la Grèce : non pas la Grèce de Miltiade et de Platon, triste et languissante comme on la voit à Athènes, sensuelle et déshonorée comme on la rencontre à Corinthe; mais la Grèce d'Homère, la Grèce asiatique, suave, poétique, riche, souriante, sans prétention de puissance ni de liberté. La Troade, ce théâtre des épopées nationales; l'Ionie, ce berceau d'Homère; en un mot, toute cette côte occidentale de l'Asie mineure depuis la Propontide jusqu'à la pointe qui est en face de Rhodes; c'est là aujourd'hui la Grèce véritable, et une des plus magnifiques portions de l'empire romain. Les vallons pierreux de la Béotie, les arides coteaux du Céphise sont bien tristes maintenant que le génie et la gloire les abandonnent. Mais ici, sur ce long rivage où la mer a dessiné tant de golfes et tant de ports; dans ces îles riches et glorieuses de Rhodes, de Chios, de Lesbos ; près de ces beaux fleuves qui dans leurs méandres infinis promènent avec eux une fraîcheur et une abondance de végétation que la Grèce ne connaît pas (1); à la vue de ces magnifiques paysages, de ces horizons à la fois suaves et grandioses que ne saurait deviner l'habitant du Nord, qui peut demander quelque chose de plus ? qui peut avoir besoin encore d'indépendance, de gloire ou de génie?

Aussi, sur cette terre facile à gouverner, les rois de Perse ont-ils été avec respect salués comme rois des rois; la domination macédonienne n'y a pas trouvé de rebelles ; et un proconsul, avec quelques esclaves armés de faisceaux et de haches inutiles, sans une cohorte, sans un soldat, est le sou

(1) Asia amœna et fecunda. Tacite. Germ. 2. V. aussi Ann. III. 7.

verain aisément accepté de cette Asie mineure où cinq cents villes, selon Josèphe (1), fleurissent sous le sceptre romain. Ces peuples, en effet, ne sont pas des Spartiates farouches : ce sont des Ioniens; race plus spirituelle, plus sensible, plus appliquée, moins énergique et moins guerrière; race démocratique, qui fait bon marché de la liberté pour l'égalité, et du patriotisme aristocratique des anciennes cités pour quelque chose comme la liberté intérieure, le mouvement commercial, le bien-être industriel des cités modernes.

Ce sentiment démocratique et cette intelligence financière caractérisent la race ionique, à laquelle ont appartenu et la riche Éphèse, et la féconde Milet, et l'intelligente Athènes. Les institutions de toutes ces villes ont une base commune : elles repoussent ce patriotisme aristocratique qui, dans les cités doriennes, organise l'État seulement pour la guerre. Elles honorent le commerce; elles excitent le sentiment démocratique; elles promettent tout à tous, système excellent lorsqu'il ne conduit pas à la ruine. Cicéron, lui Romain, s'indigne de voir à Tralles et à Pergame le simple artisan, le cordonnier se mêler aux délibérations publiques (2). Mais en même temps Cicéron nous fait comprendre l'habileté financière de ces villes, qui savent se passer de trésors et de riches domaines; elles lèvent des impôts et elles empruntent (3): c'est déjà l'économie financière des États modernes opposée à celle de l'antiquité.

Aussi cette province d'Asie regorgeait de richesses (4), Foulée tour à tour par Rome et par Mithridate, par les légions et par les publicains, après avoir payé aux Romains jusqu'à 12,000 talents (environ 60 millions), elle demeurait encore la plus opulente province que possédât la république, et seule accroissait le trésor, quand les autres ne faisaient que

(3) Ibid. 7. 8.

(1) De Bello. II. 16. (2) Ciceron, pro Flacco. 6. (4) Cicéron, pro lege Maniliâ. 7. pro Rabirio Posth. 2. ad Quintum. I. 1. § 12. et excellent chapitre de M. Delamalle. Économie politique, IV. 11.

payer leur défense (1). L'Asie était le grand atelier, comme Alexandrie le grand entrepôt de l'empire. Par Délos, station du commerce entre l'Europe et l'Asie, arrivaient à Rome, à l'Italie, à tout l'Occident, les étoffes de laine de Milet, les fers ciselés de Cibyra, les tapis de Laodicée, les vins de Chios et de Lesbos.

Ces villes, asservies par le droit de la conquête, demeuraient libres par le fait de leur richesse. Smyrne, Éphèse, Tralles, souveraines chacune de plusieurs bourgs et commandant à tout un pays, étaient comme les villes anséatiques de l'Ionie. Les deux fédérations carienne et lycienne, avec leurs bourgades, leurs députés, leurs assemblées communes, nous rappellent l'indépendance des Suisses au moyen âge; et, dans leurs réunions délibérantes où chaque ville, selon son importance, envoyait un ou plusieurs mandataires, nous trouvons un exemple de ces formes que, sous le nom de gouvernement représentatif, notre siècle se flatte d'avoir inventées. Enfin, aux deux extrémités de cette province d'Asie, deux cités maritimes, plus aristocratiques et plus nationales, par suite plus suspectes aux Romains, — Rhodes et Cyzique, l'une sur son rocher au milieu de la mer, l'autre dans une île de la Propontide jointe par un pont à la terre ferme; ces deux villes des eaux nous représentent Venise. Rhodes surtout est voyageuse, navigatrice, conquérante comme Venise: gouvernée comme elle par une aristocratie à la fois marchande et nobiliaire, elle ferme au peuple ses arsenaux, dépositaires du secret de sa force maritime; mais elle ouvre au peuple ses greniers, appuis de sa puissance intérieure; elle abaisse le pauvre devant le riche, mais elle force le riche à nourrir le pauvre; payant ainsi au peuple sa liberté avec du blé, des monuments, c'est-à-dire en bien-être, en plaisir et en gloire.

Il faut en effet au génie grec «< cette consolation de la ser

(1) Pro lege Manilià. 6.

vitude (1). » L'Asie hellénique, c'est, avec le commerce et la richesse de plus, l'Italie des derniers siècles, toute consolée de ce qu'on appelle la tyrannie de ses despotes par les souvenirs de sa gloire, les chefs-d'œuvre de ses artistes, les joies nonchalantes de sa poésie. Florence disputa sa Vénus de Médicis aux spoliations de la conquête française: Pergame, quand Néron voulut la dépouiller de ses chefs-d'œuvre, se révolta et le gouverneur romain n'osa sévir (2). Respectez les dieux et les tableaux, les priviléges des temples et ceux des galeries, et l'Asie adorera son maître. Le temple est doublement saint par le dieu qui l'habite et par l'artiste qui l'a élevé. Celui qu'Éphèse a rebâti avec la parure de ses femmes est la merveille du monde et le sanctuaire de l'Orient. Celui de Magnésie, moins vaste, est, dit-on, plus admirable encore. Chaque ville a ainsi son dieu et son chef-d'œuvre : Milet Apollon, Pergame Esculape, Aphrodise Vénus. Smyrne, la plus belle des cités ioniennes, s'est faite la ville d'Homère ; elle lui a élevé un temple; elle frappe sa monnaie à l'effigie du poëte, comme s'il était son souverain; à peu près de même qu'au moyen âge, les Mantouans proclamaient Virgile duc de Mantoue. La poésie ne disparaîtra jamais de ces rives homériques où, dernièrement encore, deux de nos compatriotes, admirant les débris de ces temples, croyaient lire traduite par le ciseau la poésie de Sophocle et d'Homère (3).

Parlerez-vous à ces hommes de gloire et de liberté? Les arts, les temples, les fêtes, ne suffisent-ils pas à la vie d'une

(1) Solatia servitutis. Cic. in Verr. de Signis. 60. « Non-seulement nos ancêtres, dit-il, laissaient volontiers à leurs alliés ces chefs-d'œuvre des arts qui faisaient leur gloire et leur richesse; mais il les laissaient même aux peuples qu'ils avaient rendus tributaires; ils voulaient que de tels biens, que nous jugeons frivoles et que ces nations estiment si précieux, leur fussent une consolation et comme une distraction de leur servitude. »

(2) Tacite, Ann. XVI. 23. Agrigente et d'autres villes de Sicile s'opposent également par la force aux déprédations de Verrès. Cicéron. Ibid. 43. 44.

(3) V. dans la Revue des Deux-Mondes (1843) une lettre de M. Ampère sur son voyage dans l'Asie mineure.

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