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dans celui d'Éphèse. Le droit d'asile protégeait les débiteurs obérés, les esclaves fugitifs, les malfaiteurs impunis ; et quand la police romaine voulait sévir, elle était arrêtée par une insurrection populaire. Tibère, ce grand justicier, traita gravement cette question: il n'osa abolir le droit d'asile, il se contenta de le vérifier; toutes les cités grecques envoyèrent leurs députés à Rome; et «< ce fut un grand jour pour le sénat romain,» une grave et importante discussion que celle de ces droits d'asile, dont on cherchait les titres « et dans les édits du peuple romain, et dans les décrets des rois, et dans les traditions des dieux, » auxquels on n'osa toucher qu'avec réserve, «<leur imposant des limites, mais dans un langage toujours plein de respect (1). »

La gloire des sanctuaires illustres ne diminuait donc pas. Les tablettes votives n'étaient pas moins nombreuses à Cos et à Épidaure (2). Jupiter Olympien n'était pas descendu du trône d'ivoire et d'or où Phidias l'avait placé. Junon régnait toujours à Samos, Minerve à Athènes, Vénus à Paphos et à Aphrodise; dans ce peuple de dieux qu'adorait la Grèce, il n'était si obscur vilain qui n'eût au moins sa chapelle; et cent ans plus tard, Pausanias décrit par milliers les temples, les oratoires et les statues. Enfin dans la cité d'Éphèse, sur un des plus beaux points du monde romain, s'élevait le temple de Diane, bâti en quatre siècles avec l'argent de l'Asie entière (3). Toute une classe d'artisans ne faisait que vendre de petites statues d'or et d'argent de la grande déesse ; et quand,

(1) Tacit., Ann. III. 60 et suiv. IV. 14. On voit que Suétone s'est trompé quand il dit que les droits d'asile furent abolis. In Tiberio. 37.

(2) Strabon. VIII. V. dans Gruter et dans Bullet.

(3) « Le temple d'Ephèse, bâti il y a 220 ans, fut établi dans un terrain marécageux pour ne pas être exposé aux tremblements de terre; mais pour l'affermir on assit les fondements sur une couche de charbon pilé et de toisons de laine. Sa lorgueur est de 425 pieds, sa largeur, de 220. Il y a 127 colonnes hautes de 70 pieds, dont chacune a été donnée par un roi; 36 sont cisclées, l'une est de Scopas. Pline, Hist. N. XXXVI. 15.

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à la face de cette grossière allégorie orientale, saint Paul vint prêcher son dieu crucifié, on le chassa aux cris de : Vive la grande Diane des Éphésiens!

Car la Diane d'Ephèse avait en ce siècle une grandeur toute particulière. Placée sur les limites qui séparaient les peuples grecs des races asiatiques, elle était un centre puissant de croyances et d'adorations. Cette déesse si vénérée n'était plus la chasseresse hellénique, la vierge sauvage Artémis. C'était une idole aux nombreuses mamelles; c'était, sous un autre nom, Mylitta, Astarté (1), ce dieu hermaphrodite de la Syrie que l'on nous peint, tenant à la main un sceptre et un rouet, et placé entre les deux autels du soleil et de la lune. Sous ces noms et ces symboles divers, était plus que jamais adoré le dieu-monde de l'Orient, la matière indépendante de l'esprit, aveugle et cependant puissante, inintelligente et pourtant créatrice.

Le génie romain surtout se sentait depuis longtemps poussé vers les cultes orientaux (2). Le culte persan de Mithra était arrivé dès le temps de Pompée par les pirates de la Cilicie. Les Galls de Bérécynthe remplissaient Rome de leurs danses vagabondes (3). Les dieux d'Égypte, proscrits par les lois, avaient fini par se faire reconnaître des lois elles-mêmes. Auguste luttait en vain contre cette invasion étrangère (4) : Isis, Sérapis, le dieu bœuf Apis pour lequel il témoignait son mépris, étaient les vrais dieux du peuple de Rome, ceux que malade on invoquait, ceux qui recevaient les serments les plus sacrés, ceux autour desquels se rassemblaient les jeunes

(1) Astarté à Sidon (Lucien, de Deà Syrâ. 4. Tertullien, Apolog. 24).- Atergatis à Hierapolis en Syrie (Strabon, XVI). — Aphaka dans le Liban (Eusèbe, de Vità Constant. III. 55). Isis en Egypte?— Artémis (Diane) à Ephèse. - Séléné (la Lune) chez les Grecs. Selon Lucien, Junon (Héra), mais elle a plus de rapports avec Diane ou avec Aphrodite (Vénus). Sur ce culte, V. Lucien, de Deà Syrà.

(2) V. ci-dessus, page 176. — (3) Ovid., Fast. IV. 180.

(4) Suét., in Aug. 93.

filles (1), ceux vers qui, folles et ardentes, les femmes poussaient leurs maris plus indifférents (2).

Parlerai-je enfin du culte le plus secret et le plus intime, celui des mystères? Là nous retrouvons la même effervescence de dévotion, la même confusion d'idées, la même prépondérance du panthéisme oriental.

La foule, plus dégoûtée que jamais des religions avouées, plus avide de religions cachées et ténébreuses, se précipitait dans ces redoutés sanctuaires d'Éleusis et de Samothrace. Varron, et après lui Germanicus (3) vinrent exprès se faire initier à ceux-ci; Auguste respectait et protégait ceux-là (4). Mais ces adytes mystérieux étaient faits pour les pas discrets de quelques initiés ; la foule les profanait. La religion du petit nombre se perdit en devenant la religion de la multitude. Le secret des mystères, dissipé sur tout un peuple, se divulgua et s'évanouit. Les tendances orientales l'emportèrent sur l'esprit hellénique; le côté panthéiste et cosmogonique des mystères, sur leur côté spiritualiste et humain : la partie sainte et religieuse, celle qui encourageait à la vertu et promettait l'immortalité, demeura oubliée, incomprise ou perdue; la partie philosophique, s'il y en avait une, dut elle-même s'effacer. La personnalité de l'homme qui, par les mystères, échappait à la tyrannie de la cité, ne put échapper à la tyrannie du panthéisme. Tant il est vrai que le moi humain, malgré son orgueil, devait toujours être asservi dans le paganisme; et qu'à la loi chrétienne seulement, il appartenait en l'humiliant de l'affranchir!

Cette vague et accablante idée du panthéisme était donc

(1) V. Catulle... Properce. II. 24. V. 1.- Ovide, de Arte Amandi. I. 75. Tibul. I. Eleg. III. 23, et alibi, et Horace :

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L'une des régions de Rome délimitées par Auguste portait le nom du temple d'Isis et de Sérapis. (2) Strab. VII, et pour une époque postérieure, Juvén. VI.

(3) Augustin, de Civ. Dei. VII. 28. Tacite, Ann. II. 54. 58. — (4) Suét., loc. cit.

ce qui restait au fond des mystères; avec elle, une pratique grossière, dénuée de toute espérance généreuse comme de toute claire intelligence; avec elle, ce qui peut-être garda plus de puissance que tout le reste, la partie impure des mystères. Dès le temps de Cicéron, mystère et abomination étaient devenus presque synonymes. Le lien de ces sociétés fut souvent la communauté de honte qui unissait les associés. Ce peuple, qui n'eût pas gardé le secret d'un mythe ou d'une doctrine, garda le secret de son ignominie; et il se passa dans l'ombre de telles choses qu'en ce siècle, où la corruption était si patente, on n'osa pourtant pas les avouer (1).

Ainsi échouait la pensée romaine d'Auguste contre les rêveries d'un siècle malade, qui «< ne savait supporter ni ses maux, ni les remèdes de ses maux (2). » Ainsi se développait, au mépris des lois et des cultes héréditaires, « cette vaine superstition, ignorante des anciens dieux (3). » Ainsi, par l'affaissement des cultes nationaux, par le progrès de la superstition personnelle, par le développement et la corruption des mystères, cette société abdiquait de plus en plus et sa dignité romaine et sa civilisation hellénique, pour aller se perdre dans le grossier matérialisme de l'Orient. L'insurrection humaine de l'esprit grec reculait maintenant devant ce vieil antagoniste qu'elle croyait autrefois avoir vaincu. Le monde entier allait boire à cette coupe enivrante et grossière qui le débarrassait du souci de sa propre pensée et de toute estime pour son être; il se rassasiait de ces ténébreux symboles qui tous proposaient à sa vénération les puissances inertes, aveugles, fatales de la nature. Le polythéisme remontait à son origine; il se rafraîchissait à sa source pre

(1) V. saint Augustin, de Civit. Dei. VI. 7. Clemens Alex., Protreptikos. 2. Arnobe adversùs gentes. - Juvénal. VI. 345: « Quel autel n'a aujourd'hui son Clodius? »

Ubi nec mala nostra nec remedia pati possumus.

(2)

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Tite-Live, in præf.

Virg. Æneid.

mière; il se rapprochait de cette idolâtrie primitive des peuples sémitiques que les Saintes-Écritures nous ont peinte en caractères si reconnaissables. A cette Asie occidentale, siége des abominations de Chanaan et de Babylone, à cette Égypte, mère féconde des superstitions les plus honteuses, la Grèce savante, la puissante Rome, demandaient leurs Attys et leurs Anubis, leur fétichisme grossier et leur symbolisme obscène, ces mutilations sanguinaires et ces sacrifices pour le mort, contre lesquels, vingt siècles auparavant, Moïse prémunissait les Hébreux.

Une exception demeurait pourtant un reste sérieux était debout de la religion politique de Rome, un reste aussi des adorations humaines de la Grèce, de ses complaisantes apothéoses et de ses dieux à la façon d'Evhémère. Le vrai culte public, celui qui fut pratiqué chez tous les peuples et au nom de tous, ce fut le culte des Césars. Auguste mort, Néron vivant, tenaient tête aux dieux orientaux, et leur disputaient les prières. Ils avaient pour eux non la persuasion, non la tradition, mais la force. César était le dieu auquel on croyait le moins, celui qu'on adorait le plus.

On peut, d'un règne à l'autre, noter le progrès de ce culte impie. Le principe que l'empereur devenait dieu seulement après sa mort et par décret du sénat, toujours proclamé (1), fut souvent violé. Auguste, fait dieu de son vivant, bon gré mal gré, eut grand'peine à circonscrire sa divinité dans les provinces et à n'être en Italie qu'un simple mortel.

Tibère fut à son tour accablé de demandes; on le supplia de se laisser adorer. Il est curieux de l'entendre sur ce sujet : « J'ai accordé cette permission aux villes d'Asie, et l'on m'a blâmé; je le faisais pourtant par respect pour l'exemple d'Auguste... et d'autant plus qu'au culte de ma personne on ajoutait des marques de vénération pour le sénat. Y avoir consenti une fois peut être pardonnable, me laisser adorer dans toutes

(1) Tacite, Ann. XV. cap. ult. Tertul., Apolog. 34.

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