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de César, «< se donna à consoler » à un certain Aréus, philosophe de son mari (1). Quand il pleuvait, quand les jeux du cirque étaient ajournés, on se faisait apporter Chrysippe, on entendait un stoïcien dans son école, un cynique dans la rue; gens qui connaissaient leur auditoire et n'avaient garde de l'ennuyer.

Ce discrédit de la philosophie ne laissait à Auguste autre chose à faire que relever les autels des dieux romains. J'ai dit ailleurs le succès de cette tentative (2), les vestales marchandées à prix d'argent (3), les sacerdoces négligés, la science des augures perdue (4), les livres sibyllins devenus tout à fait indéchiffrables (5). Le monde, moins national que jamais, pouvait-il garder le principe de la nationalité des dieux? Relever, quand la république était tombée, le culte de la république, une religion patriotique lorsqu'on avait supprimé toute patrie, la foi romaine quand Rome devenait cosmopolite, était-ce chose possible?

Beaucoup de gens, il est vrai, acceptaient volontiers, à titre de devoir officiel, la religion que leur proposait Auguste; Horace, qui est le type de ces hommes, avouait «< qu'il avait été quelque peu épicurien; mais un coup de tonnerre par un ciel serein l'avait converti (6), » et il offrait pieusement son encens poétique à tous les dieux.

Mais qui donc plus qu'Horace se moqua des hommes, des

(1) Philosopho viri sui se consolandam præbuit. Sénèque.

(2) V. tome I, pag. 195 et s., 198 et s.

(3) Tacite, Ann. II. 86. IV. 16. Pour honorer les vestales, Tibère ne trouva rien de mieux que de placer à côté d'elles sa mère, la vieille Livie, intrigante et impudique. Id. IV. 16. — (4) Tacite, Ann. XI. 15. —(5) Id. VI. 12

(6)

Parcus Deorum cultor et infrequens,

Insanientis dùm sapientiæ

Consultor erro nunc retrorsùm

Vela dare atque iterare cursus

Cogor relictos; namque Diespiter',

Igni corusco nubila dividens...

V. encore, Ode III. 6. 24. IV. 15. Epod. 7. Carmen Secul.

Ode. I. 28.

dieux et de lui-même? Horace, à un certain diapason officiel, est Romain et croyant; quand sa lyre descend d'un ton ou deux, il est Grec, débauché, incrédule. Horace qui maudit les soldats de Crassus « époux déshonorés de femmes barbares (1), » et qui trouve « si beau et si doux de mourir pour la patrie (2), » n'en rappelle pas moins en riant «< sa fuite si prompte au combat de Philippes, lorsqu'il jeta peu glorieusement son bouclier (3). » Horace qui tant de fois prêcha pour les mœurs et pour les dieux, n'en reste pas moins « un pourceau du troupeau d'Épicure (4); » s'accommodant avec les passions et la conscience, de façon que ni l'une ni l'autre ne le gêne ou ne trouble sa santé, faisant provision de courage contre le malheur; mais surtout, pour quoi que ce soit au monde, ne s'exposant au malheur :

Et mihi res, non me rebus submittere conor.

Et bien des épicuriens, à son exemple, après avoir brûlé leur grain d'encens officiel sur l'autel de Romulus, se moquent tout à leur aise de la louve de Romulus, et ne se croient pas obligés de refouler au fond de leur cœur « la doctrine contemptrice des dieux (5). » Auguste soupe un jour chez un de

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(5) Doctrinam Deos spernentem. Tite-Live. X. 40. V. aussi in præf. Nondùm hæc quæ tenet seculum negligentia Deûm venerat. III. 20.

ses vétérans, et lui raconte gravement que la déesse d'Ancalis a puni, par la perte des yeux et même par la mort, le sacrilége qui avait pillé son temple: «< César, dit le maître de la maison, c'est moi qui suis ce sacrilége, et tu soupes aujourd'hui de la jambe de la déesse (1). »

Mais tous ne parlaient pas ainsi. L'athéisme pratique des épicuriens ne pouvait convenir à la multitude; la religion officielle d'Auguste ne lui convenait pas davantage. La philosophie ne lui présentait rien de certain, la tradition rien de satisfaisant, la politique rien de respectable : qu'importe, elle cherchait ailleurs. Si le culte de la cité était brisé, est-ce à dire que l'homme devait rester sans culte? Le besoin personnel de rits et de prières n'en avait que plus d'énergie; l'homme n'en voulait que plus de cérémonies et de sacrifices, non pour l'État, mais pour lui-même; la superstition privée succédait au culte public, l'instinct à la tradition, le polythéisme humain au polythéisme romain.

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Ne cherchez donc ici ni dogmes positifs ni pratiques constantes; tout était bon pour satisfaire l'éternelle soif de l'esprit humain traditions héréditaires, cultes étrangers, mystères, superstitions, sciences occultes. Rien de réglé, rien de précis: sous les anciennes républiques la religion était loi, aujourd'hui elle était caprice; sous mille noms et sous mille formes diverses, les âmes se jetaient plus désespérément dans l'erreur au moment même où, « du milieu des ténèbres, la lumière » de la vérité « naissait pour les justes. »

Entrons dans le détail, examinons chacune des formes principales de la superstition humaine, et voyons si le polythéisme, en devenant personnel au lieu d'être politique, avait perdu de sa puissance et de sa vie.

Parlerons-nous d'abord de la superstition individuelle, de la foi aux talismans, aux songes, aux présages? Celle-là croissait chaque jour. Horace demande non pas à un homme

(1) Pline, Hist. N. XXXIII. 24.

du peuple, mais à son interlocuteur : « As-tu peur des fantômes et des sortiléges nocturnes (1)? » Il eût pu faire cette demande même à l'incrédule César. César, depuis une chute qu'il avait faite, ne montait pas en char sans prononcer une parole magique qui devait le préserver de tout accident (2); César raconte dans ses mémoires les prodiges qui avaient annoncé sa victoire de Pharsale, et il gardait (3) précieusement le palmier noir qui ce jour-là, dit-il, avait percé tout à coup le pavé d'un temple (4).

Le froid Auguste est-il plus esprit fort que le brillant César? Auguste craint le tonnerre; il a peur des jours néfastes, des songes, des présages; il attribue une révolte de son armée à l'imprudence qu'il avait commise de chausser ce jour-là son pied gauche avant son pied droit (5). Livie enceinte fait couver un œuf pour savoir si elle aura un garçon; il en sort un poulet avec une crête magnifique, qui présage la royauté de Tibère (6). Et Tibère lui-même, ce contempteur des dieux, tremble aux révélations d'un astrologue, et porte un laurier pour se garantir de la foudre (7).

Tite-Live ne rapportait qu'avec un doute mal déguisé (8) les antiques traditions de la mythologie romaine. Mais laissons passer une génération : Suétone, Tacite même, écrivant une histoire presque contemporaine, la rempliront de présages, de songes, de prodiges; Pline l'ancien sera plein de merveilles de ce genre. Ces historiens étaient-ils plus faibles

(1) Nocturnos lemures portentaque Thessala curas? —(2) Pline, H. N. XXVIII. 2. (3) Plutarq., in Cæsar. Pline, Hist. N. XVII. 25.

(4) De Bell. civil. III. 101. 105. Suétone, in Cæs. 61. 81.

(5) V.sur les superstitions d'Auguste, les présages, songes, oracles, prodiges relatifs à sa vie, huit chapitres de Suétone, in August. 90-97. Pline, H. N. II. 7. Dion. XLVIII. Gellius. XV. 7 (6) Suét., in Tiberio. 14. - Pline, H. N. X. 55.

(7) Suét., in Tiberio. 14. 67. 79. Pline, H. N. XV. 30. Il tenait beaucoup à être salué quand il éternuait, et observait pour se faire raser les jours de lune. Pline. XVI. 30. XXVIII. 2. Josèphe, Ant. XVIII. 8. Dion. LV. Tacite, Ann. VI. 21.

(8) V. Præf. V. aussi I. 4.

d'esprit, ou croyaient-ils devoir s'accommoder à des lecteurs plus crédules? peu nous importe. Pline le jeune écrit encore à Suétone « Tu es effrayé d'un songe, et tu veux faire remettre ta plaidoirie.... Le songe, en effet, vient de Jupiter (Kai yáp tövap Ex Aíos EGT); mais il faut te demander si d'ordinaire tes rêves sont contraires ou conformes à l'événement? ceci est un point important (1). »

Autrefois Cicéron se moquait des oracles et parlait, entre autres, des sorts de Préneste comme d'une vieillerie discréditée (2). Soixante-dix ans plus tard, Germanicus et Agrippine visitent tous les oracles qu'ils rencontrent sur leur chemin (3). Tibère leur rend hommage par sa peur : il se fait apporter, pour les confisquer, ces petits morceaux de bois fatidiques qu'on appelle les sorts de Préneste; mais, ô miracle! dit Suétone, la caisse dans laquelle on les a apportés à Rome se trouve vide le lendemain, et les sorts, en une nuit, sont revenus tout seuls à Préneste (4).

Parlerai-je maintenant de la dévotion en commun, des temples, des sanctuaires, des assemblées? Montrerai-je Alexandrie élevant avec un zèle égal des autels à tous les dieux? Vous mènerai-je avec nos voyageurs lire sur les jambes mutilées du dieu Memnon les témoignages d'admiration et de reconnaissance inscrits par des voyageurs moins incrédules que le douteur Strabon, et qui croyaient avoir entendu le chant du dieu au lever du soleil (5)?

Chez les peuples helléniques surtout, les sanctuaires religieux, les rendez-vous de la dévotion païenne étaient demeurés sacrés. Le culte grec était sans puissance politique; mais il lui restait une grande sympathie avec les traditions poétiques et les affections populaires. Ces peuples, si peu soucieux de leur liberté, se révoltaient volontiers pour leurs temples. Ils défendaient contre Cléopâtre Arsinoé réfugiée

(1) Pline, Epist. I. 18. (2) De Divin. II. 41. 57. (3) Tac., Ann. II. 54. 58. (4) Suét., in Tib. 63.—(5) Pline, Hist. Nat. XXXVI. 7. Strabon. XVII.

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