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vivre et vivent sans but, qui agissent beaucoup et ne font rien, qui s'essoufflent gratuitement et, tout en s'agitant, demeurent oisifs (1)? » N'opposerait-il pas à l'orgueil de notre époque une parole vraiment belle de Sénèque, bonne à répéter et à approfondir dans tous les sens : « Rien n'est grand que ce qui est calme (2)? »

Jetant les yeux sur l'ensemble du monde, il verrait sans doute sur beaucoup de points, mais depuis quelques années à peine, des communications plus actives, plus promptes, plus journalières qu'elles ne le furent jamais. Et cependant le monde civilisé lui paraîtrait bien loin encore de l'unité romaine! Au lieu de cette unité de pouvoir, de science, de civilisation, tant de souverainetés indépendantes, souvent ennemies, toujours jalouses! dans les lettres mêmes et dans les arts, tant de discordances de peuple à peuple! au lieu de cette communauté de langue, œuvre de la conquête de Rome, la suprématie bien méconnue, toujours contestable de la langue française, contre laquelle, depuis 1813, les deux races germanique et slavonne sont en pleine insurrection!

Si l'Occident est devenu plus riche, plus peuplé, plus instruit, l'Afrique est improductive et barbare; et ces deux belles provinces d'Égypte et d'Asie, les plus opulentes de l'empire, pourrissent tristement sous une domination inintelligente et décrépite.

Trouverait-il donc, ce revenant des siècles passés, notre époque en définitive inférieure à la sienne? Un plus long examen, une vue plus réfléchie, n'aurait-elle rien de plus à lui apprendre? Ce que je viens de dire des grandeurs et du bien-être de la société romaine, contredit-il ce que j'ai dit

(1)

Est Ardelionum quædam Romæ natio,
Trepidè concursans, occupata in otio,
Gratis anhelans, multa agendo nil agens,
Sibi molesta et aliis odiosissima.

(2) Nihil magnum nisi quod est placidum. De Irà, lib. 1, in fine.

Phèdre. I. 5.

ailleurs, de sa dégradation et de sa misère? Une vie aussi facile et aussi douce s'accorde-t-elle avec ce que j'ai tant de fois dépeint, la dégénération de la race, l'appauvrissement du sol, l'horrible tyrannie des gouvernants? Tant de force et tant de gloire peuvent-elles se concilier avec tant d'abaissement, tant de bien-être avec tant de misère?

La réponse est nécessairement dans le côté intellectuel et moral des choses. La réponse sera donc dans le tableau des doctrines et des mœurs qui achèvera ce livre, lugubre opposition à la peinture de ce bien-être extérieur, qui appartenait aux privilégiés de la civilisation romaine.

Mais avant d'aller plus loin, un remarquable exemple va manifester toute ma pensée. Un précieux débris de l'antiquité nous a été conservé par la catastrophe même qui devait le détruire. Des cendres du Vésuve, il y a un peu plus de cent ans, une ville antique est sortie, vivante pour ainsi dire, ou du moins tout empreinte des traces de la vie, de même que la couleur, l'attitude, l'air de la vie en un mot, demeure longtemps à l'homme qui a été tué d'un seul coup.

Si nous entrons dans Pompéii, et si nous le comparons à une ville moderne du même rang, tous les contrastes entre l'antiquité et nous deviennent palpables. Nous ne les voyons pas seulement, nous les touchons sur le corps de cette curieuse momie que la lave nous a conservée.

L'homme, aux temps païens, vivait plus dans la cité que dans la famille. Aussi les demeures privées sont-elles étroites. Celles de Pompéii ne sont guère que d'élégants boudoirs ; quelques chambres sans jour ouvrent sur une cour à moitié couverte et éclairée seulement par le haut (cavædium, atrium). Pas de séparation, pas de clôture; un passage étroit où couche le portier est seul entre le salon et la rue (1). Des rideaux. seulement séparent l'atrium, le salon des clients, du tablinum,

(1) Les cris des passants me réveillent; la ville est à la porte de ma chambre à coucher (Martial).

le salon des amis; et le tablinum du péristyle ou jardin. Rien ne rappelle la retraite, la solitude, le sérieux de la méditation ou l'isolement de la famille; peu de place pour le recueillement, pour l'étude, pour la prière; les dieux sont au fond du jardin ou quelquefois dans la cuisine. On ne vit pas dans cette maison, on s'y repose le bourgeois de Pompéii, las de la chaleur du jour et des tracas du forum, fatigué du gouvernement de sa ville, vient y respirer et y dormir; l'élégant de Rome, aux jours des grandes chaleurs, trouve là une villa d'été, voisine de la mer, moins brillante que la grande ville, moins monotone et moins solitaire que sa maison de campagne, une retraite obscure, élégante, où la volupté moins magnifique est plus commode, quelque chose comme la petite maison du XVIIIe siècle.

Mais ce boudoir, cet abri de quelques heures de repos ne doit pas offenser les yeux délicats du maître. Il faut que l'atrium soit pavé de mosaïque ou de marbre, que des jets d'eau et des fontaines y entretiennent la fraîcheur, que la douce clarté qui l'illumine descende sur des fresques, des bronzes, des statues. Jusqu'en des boutiques et d'étroites maisons, des décorations moins élégantes révèlent encore quelque intention d'art et d'ornements.

Mais surtout, si la maison est petite, la cité est grandiose. L'architecture domestique se rapetisse et s'efface devant l'architecture municipale. Qui peut s'enfermer dans la famille quand la cité est si belle? rester chez soi quand les thermes, les forum, les théâtres déploient tant de magnificence ? Pompéii n'était qu'une ville de troisième ou quatrième ordre. Un tremblement de terre, quinze années seulement avant sa catastrophe, avait renversé ou ébranlé la plupart de ses édifices (1). Et pourtant dans la seule partie que nous connais

(1) Au mois de février 63, un tremblement de terre renversa une grande partie de la ville de Pompéii, ainsi qu'une portion d'Herculanum, et détruisit plusieurs édifices à Nucérie et à Naples. Tacite, Ann. XV. 22. Sénèq., Natur. Quæst. VI.1. L'inscription de Pompéii citée plus haut, page 103.

sons, et qui forme à peu près un cinquième de sa superficie totale, quelle place ne tient pas le luxe municipal, la vie publique! Deux forum entourés de temples et de statues servaient aux assemblées, aux marchés, aux affaires. A l'entour, le sénat de cette petite ville, ses magistrats, ses corps de métiers avaient pour leurs réunions des édifices que l'on est tenté de prendre pour des temples, et le lieutenant criminel de ce bailliage siégeait dans une basilique, destinée à faire honte aux ignobles mairies et aux prétendus palais de justice qui enlaidissent souvent nos plus grandes cités.

Les affaires sérieuses à leur tour cédaient le pas au plaisir, l'architecture civile à l'architecture voluptueuse, la cité au théâtre. Qu'avait à faire ce gouvernement si bien logé, sinon la joie et l'amusement communs? Deux maisons de bains publics ont été découvertes (1), qui unissent à toutes les recherches de la volupté romaine toutes les délicatesses de l'art hellénique. Les salles de spectacle de Pompéii, si je puis leur donner ce nom qui rappelle les tréteaux, étaient trois monuments bâtis avec le marbre, le bronze et la lave du Vésuve. Les banquettes, les loges, que dis-je, la scène et les décorations étaient en marbre. Là, comme ailleurs, on retrouve et les portiques destinés à abriter la foule, et les galeries, les escaliers, les innombrables entrées qui lui donnent passage, et les traces de ces moyens acoustiques dont le secret est perdu (2). L'amphithéâtre pouvait contenir de 18 à 20,000 hommes. Cent ouvertures y donnaient entrée, et l'on calcule que, grâce à leur disposition, l'amphithéâtre pouvait être vide en deux minutes et demie (3).

Ce qui venait là en effet n'était pas un public; c'était la

(1) La plus grande, découverte en 1754, a été recouverte.

(2) On trouve dans le grand théâtre des espaces destinés à contenir les vases de bronze qui augmentaient la sonorité de la voix.

3) Il y avait 40 ouvertures par lesquelles deux personnes pouvaient sortir en même temps, 57 par lesquelles une personne seule pouvait passer; de plus, deux entrées du côté de l'arène et une pour les bêtes féroces. V. les descriptions.

cité, la cité entière présente au théâtre comme au forum. Le consul ou duumvir était là sur sa haute tribune (podium) et sa chaise curule; les sénateurs et les prêtres sur les premiers bancs; au-dessus et en arrière, les chevaliers, les riches, ceux qui portaient la toge; plus haut sur les places gratuites, le peuple en tuniques, les prolétaires; au couronnement de l'édifice étaient les loges des femmes. La société était là tout entière; la chose publique siégeait au spectacle, exacte au plaisir comme à un devoir.

Et ces édifices, ce n'était pas une spéculation inquiète et laborieuse qui les avait élevés, ni des souscriptions recueillies sou à sou, ni de pesantes charges imposées au budget municipal. Les colons de Sylla ou de Néron, installés dans un des faubourgs, paraissent avoir eu grande part à la construction de l'amphithéâtre (1). Deux citoyens, pour l'honneur de la colonie (ob decus coloniæ), avaient élévé à leurs propres frais le grand théâtre, un tribunal et un portique souterrain (2). Un autre, après le tremblement de terre, avait

(1)

C. QVINCTIVS. C. F. VALGVS.
M. PORCIVS. M. F. Dvo VIR.
QVINQ. COLONIÆ. HONORIS.

CAVSSA. SPECTACVLA. DE. SVA
PEC. FAC. COER. ET. COLONEIS.
LOCVM. IN. PERPETVVM. DEDER.

(2) Inscriptions de Pompeii:

M. M. HOLCONII. RVFVS. ET. CELER.
CRYPTAM. TRIBVNAL. THEATR. S. P. (suâ pecuniâ).
AD. DECVS. COLONIE.

M. M. HOLCONII. RVFVS. ET. CELER. CRYPTAM,

TRIBVNALIA. THEATRVM. S. P.

Le fragment d'inscription suivant semble placer la construction de ce théâtre en l'an de Rome 753 (1er avant l'ère vulgaire) :

AVGVSTO PATRI. patriæ

consuli XIII. PONTIF. MAX. TRIB.

potEST. XXII.

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